Dans Le Cheval et son écuyer, tous les personnages ont leur intérêt, leur profondeur et leurs failles qui laissent passer la lumière. Pour les écrivains en herbe, c’est certainement un très bon manuel pour travailler et approfondir la personnalité de ses personnages de fiction. Dans l’article précédent, nous avons étudié quelques facettes du personnage principal, Shasta. Aujourd’hui, pour terminer cette série sur la Grâce dans Narnia, nous allons nous pencher sur deux autres personnages : Aravis, une femme de la classe dirigeante calormène, et Bree, le cheval parlant et compagnon de Shasta. Tous les deux se dirigent vers Narnia et nous allons voir comment Aslan leur inculque de véritables leçons pour les faire progresser sur le chemin de sa Grâce.
Introduction et sommaire de la série « La Grâce dans Narnia » (10 articles)
Aravis apprend la compassion

Aravis ne fuit pas l’esclavage comme Shasta, mais elle fuit le monde qu’elle connaît pour échapper à un mariage forcé. Lewis nous laisse découvrir assez vite son principal défaut : elle est plus inquiète de ses propres intérêts que de ceux des autres. Par exemple, elle raconte comment, alors qu’elle s’enfuit de chez elle, elle drogue la suivante de sa belle-mère sans aucun remord :
— Et qu’est-il arrivé à la jeune fille, celle que vous avez droguée ? demanda Shasta.
— A coup sûr, elle aura été fouettée pour s’être réveillée trop tard, répondit Aravis avec détachement. Mais c’était une espionne au service de ma belle-mère. Je suis très contente qu’on l’ait fouettée.
— Dites donc, ce n’était pas très correct, observa Shasta.
— Rien de tout cela ne m’a été inspiré par le souci de vous plaire à vous, laissa tomber Aravis.
Le cheval et son écuyer, Gallimard Jeunesse, Chapitre 3, p.49
Aravis considère sa servante comme inférieure et ne se soucie pas de sa souffrance. Mais pour Aslan, cet incident est très important. Plus tard dans l’histoire, il poursuit Aravis et la frappe dans le dos avec sa patte droite. Lorsqu’elle se réfugie enfin chez l’ermite, celui-ci remarque :
— C’était apparemment un lion bizarre ; au lieu de vous faire tomber de votre selle et de planter ses dents dans votre chair, il n’a fait que balayer votre dos de ses griffes. Dix griffures, douloureuses, mais ni profondes ni dangereuses.
— Dites donc ! s’exclama Aravis. J’ai eu de la chance.
— Ma fille, dit l’ermite, j’ai maintenant vécu cent neuf hivers dans ce monde, et n’ai jamais rencontré quoi que ce soit qui ressemble à de la chance, il y a quelque chose dans tout cela que je ne comprends pas. Mais si jamais nous avons besoin de le savoir, vous pouvez être sûre que nous le saurons.
Le cheval et son écuyer, Gallimard Jeunesse, Chapitre 10, p.156
Quand Aslan lui explique plus tard pourquoi c’est arrivé, voici ce qu’il dit :
Les plaies sur ton dos, déchirure pour déchirure, douleur pour douleur, sang pour sang, c’étaient les coups de fouet qu’a valus à l’esclave de ta belle-mère le sommeil où ta drogue l’a plongée. Il fallait que tu saches l’effet que cela fait.
Le cheval et son écuyer, Gallimard Jeunesse, Chapitre 14, p.210
Cela peut vous paraître choquant et dans une série dont le thème annoncé est celui de la Grâce. Le même Aslan qui avait donné sa vie pour sauver tout Narnia est capable de se montrer également très sévère. Aravis doit apprendre à penser aux autres et pas seulement à elle-même. Aslan lui apprend la compassion et cela fonctionne, car elle prend ensuite des nouvelles de sa servante. Peu de temps après, elle s’excuse auprès de Shasta (Cor). La Grâce de Dieu est adoption et cette nouvelle relation comprend non seulement la protection, mais aussi l’éducation :
Je serai un père pour lui et il sera un fils pour moi. S’il agit mal, je le punirai comme un père punit son fils.
2 Samuel 7. 14
Bree apprend l’humilité

Regardons maintenant du côté d’un autre personnage du même livre : Bree. C’est un cheval de guerre fier et féroce, qui connait très bien Narnia. Dès sa rencontre avec Shasta, il décrit Narnia avec précision :
— Narnia, répondit le cheval. La bienheureuse contrée de Narnia… Narnia aux montagnes couvertes de bruyère, aux collines fleurant bon le thym, Narnia et ses multiples rivières dont le clapotis emplit les vallons, ses cavernes moussues et ses forêts profondes où résonnent les coups de marteau des nains. Oh ! la douceur de l’air de Narnia ! Une heure de vie là-bas vaut mieux que mille ans passés à Calormen.
Le cheval et son écuyer, Gallimard Jeunesse, Chapitre 1, p.15
Bree a passé de nombreuses années à faire semblant d’être un cheval stupide et sans esprit pour cacher ses origines. Il a développé une très haute opinion de lui-même en compagnie des chevaux qui ne parlent pas, renforcée également par son statut de coursier prisé d’un Calormen. Il se préoccupe beaucoup de la façon dont il apparaît aux autres. Il est parti depuis longtemps de Narnia et il a très peur d’avoir oublié comment on se comporte là-bas. Par exemple, Bree adore se mettre sur le dos pour rouler. Shasta le voit faire un jour et éclate de rire. Immédiatement, Bree s’inquiète :
— Tu ne penses pas, non, que ce soit là une chose que ne devraient jamais faire les chevaux qui parlent ?… Un truc stupide, clownesque, que j’aurais emprunté aux chevaux muets. Ce serait terrible de découvrir, en revenant à Narnia, que j’ai pris un tas de mauvaises habitudes, des comportements vulgaires. Qu’est-ce que tu en penses, Shasta ? Allez, franchement… Ne ménage pas ma sensibilité. Est-ce que tu penses que les vrais chevaux libres – ceux qui parlent – font bien des roulades sur l’herbe ?
De plus, ayant passé moins de temps à Narnia que la plupart des chevaux parlants, il a des notions faussées sur les croyances narniennes. Il affirme en particulier qu’Aslan n’est pas un vrai lion, que ce n’est qu’une métaphore de la férocité et de la puissance d’un lion. Il craint lui-même secrètement les lions :
— Bree, dit Aravis, que cette histoire de coupe de poils n’intéressait pas beaucoup, il y a une chose que j’ai envie de vous demander depuis longtemps. Pourquoi jurez-vous tout le temps « par le Lion » et « par la crinière du Lion » ? Je croyais que vous détestiez les lions.
— C’est le cas, répondit Bree. Mais quand j’évoque « le Lion », je veux évidemment dire Aslan, le grand libérateur de Narnia qui a fait fuir la sorcière et l’hiver. Tous les Narniens jurent par lui.
— Mais est-ce un lion ?
— Non, non, bien sûr que non, dit Bree d’un ton plutôt choqué.
— Toutes les histoires sur lui à Tashbaan disent qu’il en est un, répliqua Aravis. Et si ce n’est pas un lion, pourquoi l’appelez-vous « Lion » ?
— Eh bien, il vous serait difficile de comprendre cela à votre âge, dit Bree. Et comme je n’étais qu’un petit poulain quand j’ai quitté Narnia, je ne le comprends pas tout à fait moi-même.
Le cheval et son écuyer, Gallimard Jeunesse, Chapitre 14, p.207
Bree sera forcé d’affronter cette peur des lions dans l’épisode où Aslan bondit sur Aravis. Lors de cette poursuite, Shasta saute et revient en courant pour aider Aravis. De son côté, Bree prend la fuite ! Cela dégonfle tout son égo, car il est honteux d’avoir laissé les deux femmes derrière lui tandis qu’un garçon qui n’a jamais tenu une épée a trouvé le courage de revenir en arrière. Il découvre qu’il n’est pas vraiment le cheval courageux qu’il croyait être. Il doit accepter la vérité qu’il n’est pas plus ou moins important que n’importe qui d’autre. L’ermite, qui est un homme sage, dit à Bree :
— Mon brave cheval, intervint l’ermite qui s’était approché sans qu’ils s’en rendent compte, car ses pieds nus ne faisaient aucun bruit sur cette herbe douce, humide de rosée. Mon brave cheval, tu n’as rien perdu, à part ta vanité. Non, non, cousin. Ne mets pas tes oreilles en arrière et n’agite pas ta crinière devant moi. Si tu es vraiment aussi humilié que tu en as eu l’air il y a une minute, tu dois apprendre à écouter la voix du bon sens. Tu n’es pas exactement le fantastique cheval que tu en étais venu à imaginer à force de vivre au milieu de pauvres chevaux muets. Bien sûr, tu étais plus brave et plus intelligent qu’eux. Tu aurais eu du mal à ne pas l’être. Cela ne veut pas dire que tu seras quelqu’un de très important à Narnia. Mais tant que tu seras conscient de ne pas être quelqu’un de très important, tu seras à tout prendre un cheval d’un genre très convenable.
Mais ce n’est pas tout à fait fini : Bree doit encore découvrir qu’Aslan n’est pas une métaphore. Lorsqu’Aslan lui-même visite l’ermitage, Bree bat en retraite et se recroqueville jusqu’à ce qu’on lui ordonne d’avancer :
—Allons, Bree, dit-il, pauvre, fier, craintif cheval, approche-toi. Encore plus près, mon fils. N’aie pas peur. Touche-moi. Sens-moi. Voici mes pattes, voici ma queue, ceci, ce sont mes moustaches. Je suis une vraie bête.
—Aslan, dit Bree d’une voix brisée, J’ai dû avoir l’air assez ridicule, je le crains.
— Heureux le cheval qui comprend cela alors qu’il est encore jeune. De même pour l’humain.
Le cheval et son écuyer, Gallimard Jeunesse, Chapitre 14, p.209
J’y vois une référence à ceux qui croient à un Dieu impersonnel (peut-être même une référence à la période théiste de Lewis, qui croyait en Dieu sans croire en Jésus). Lewis fait également écho à l’épisode où Jésus apparait à ses disciples après qu’il soit mort et revenu à la vie :
Puis il dit à Thomas : « Avance ton doigt ici et regarde mes mains. Avance aussi ta main et mets-la dans mon côté. Ne sois pas incrédule, mais crois ! »
Jean 20.27
Dieu a donné à Thomas ce dont il avait besoin pour pouvoir croire et Aslan a fait la même chose pour Bree… Il lui a donné la preuve qu’il n’est pas seulement le Fils de l’Empereur, mais aussi un être réel incarné dans un corps de lion. Je pense que nous sommes tous comme Bree à un moment ou un autre : notre orgueil nous pousse à l’incrédulité. Laissons Jésus dans sa Grâce nous apprendre la vraie humilité, qui est le commencement de la Sagesse…
Merci à vous d’avoir suivi cette série sur les chroniques de Narnia ! N’hésitez pas à laisser vos questions en commentaires, j’y répondrai avec plaisir.
merci infiniment de cette sérié que j’ai tellement aimé et j’attendais la suite avec impatience
J’en redemande car je suis une lectrice assidue de C S Lewis
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Avec grand plaisir, merci beaucoup pour ce commentaire ! Je m’arrête là pour l’instant, mais c’est vrai qu’il reste quelques personnages dont j’aurais pu parler, je pense notamment à Peter ou à Joyau… Peut-être un jour ! 🙂
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Oui merci pour tous ces commentaires, éclaircissements, explications sur cette série 🙂 Pour ma part, j’ai terminé Le cheval est son écuyer et j’ai beaucoup aimé l’histoire, les rebondissements, l’humour, la tendresse, les personnages attachants…. Lewis est très doué ! Pas facile d’écrire au 2ème degré avec des métaphores et des évènements complexes, une géographie inventive, un humour retenu… Chapeau bas !
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Merci beaucoup ! Je suis vraiment content que tu aies apprécié « Le cheval et son écuyer ». J’ai longtemps hésité à me lancer dans cette série, mais je ne regrette pas ! Tu as bien cerné le style Lewis en parlant d’humour et de tendresse… et oui, il était extrêmement talentueux, Narnia est un monument littéraire.
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Merci pour cette série, cela m’a donné à penser.
De plus, ayant lu Narnia il y a longtemps, cela me donne envie d’y replonger avec un regards neuf !
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Merci à vous pour ce commentaire ! Je suis vraiment content de l’avoir écrit si cela vous a donné envie de replonger dans Narnia !
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