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Dans ma ville

Je pose un pied, puis l’autre, sur le quai qui tremble encore.

Dans ma ville, la gare est la meilleure façon d’entrer. Le flot continu des passants donne la pulsation de la promenade.

J’en ai connu plusieurs, bruyantes et bouillonnantes : Saint-Étienne-Châteaucreux, Lyon-Part-Dieu, Dijon-Ville, Mâcon-Ville, Le Creusot-TGV, Paris Gare de Lyon…

La gare de Bas-Monistrol, elle, ne compte pas vraiment : elle ouvre sur le calme de la campagne. Je pourrais pourtant écrire un poème entier sur son chef de gare esseulé (mais pas solitaire), gardien des trains, des champs et du silence. Je me souviens de lui comme un vieux panneau en bois légèrement brinquebalant, où je lisais, en lettres fines et calligraphiées, ce mot tant espéré : Maison.

Je déferle sans me briser vers les berges de ma ville. C’est une sensation étrange, cette vague humaine qui avance, sans jamais s’arrêter, sans jamais reculer. Autour de moi, je capte des regards qui ont l’éclat et la saveur des belles histoires. Alors, je m’arrête. Quelqu’un rouspète, je lui offre un sourire.

Je sais que si je prends le temps de regarder, chaque personne deviendra quelqu’un.

Il y a ceux qui passent, portés par un tourbillon de tissus flottants, frôlant le sol. Leurs valises raclent et râpent comme des dérives sur les graviers d’une plage. Vers quelle aventure courent-ils ainsi, dans ce grand vertige océanique ?

Puis, il y a les immobiles, paisibles, posés sur des bancs en bois ou sur des marches de marbre, à l’abri de la marée. Cette jeune femme, avec ses vieux cabas usés, a sûrement déposé à côté d’elle toute une vie de lassitude. C’est un fragment de poésie. Elle regarde la grande horloge, elle sourit. Elle a le temps.

Enfin, il y a ceux qui errent, suspendus entre ceux qui passent et ceux qui restent. Flottent-ils ou se noient-ils ? Ballotés par les vents, malmenés par les courants, ils tentent de survivre à leurs émotions. Ce sont les hypersensibles, les vulnérables, les rêveurs, les artistes. Ceux qui rêvent d’écrire ou de peindre le destin de chaque âme croisée, oubliant souvent où ils vont. Ils entrent dans la ville avec une fascination teintée d’angoisse. Ce sont les nôtres.

Je marche seul, dans les rues qui se donnent…

Les rues et les faubourgs m’aspirent et je ne sais pas si je chante ou si j’écoute. Quand j’ai découvert Jean-Jacques Goldman, j’ai découvert la poésie. Je me souviens de ce matin-là, qui ne servait à rien, sans un coup de main. Aujourd’hui, vais-je oublier les heures ? Ma ville est pleine de pièges et ce ne sont pas vraiment mes privilèges.

Mes yeux ne savent pas où se poser dans ce dangereux dédale aux affiches tapageuses. Un roulis me ballote de bâbord à tribord, avec une certaine violence. Je regarde alors vers le ciel et murmure une prière :

« Merci, Seigneur. Je roule peut-être, mais je ne tangue pas, car tu m’as ancré dans le ciel. »

Je pourrais coller des autocollants Jésus t’aime partout, mais ce serait sûrement considéré comme de la dégradation d’un bien public. Si on se croise, fais-moi penser à te le dire.

Je me laisse porter par la brise de mon cœur, vers un lieu accueillant, chaleureux, comme un port, un refuge. Une librairie bien sûr, la première que je croiserai. On est toujours bien reçu parmi les livres, par des libraires passionnés, heureux, extraordinaires.

Les portes s’ouvrent toutes seules, et la chaleur et les senteurs des livres neufs me submergent. Les étagères débordent, le long des couloirs étroits et propres. Cette accumulation d’histoires me rassure, encore une fois.

Au fil des rayons, c’est l’étendue de mon âme qui s’expose. Je repense à ces après-midis pluvieux où j’explorais des mondes insoupçonnés, à la recherche d’un phare dans l’abondance des livres.

Peut-on vraiment marcher seul ?

Je ressors avec un bouquin assez épais sous le bras, dans la ville agitée. Le soir est tombé. La foule est encore là, aussi belle et dangereuse qu’une tempête de sable fin dans le désert.

Où vais-je maintenant ?

Il y a mille choses à faire dans ma ville, mais je suis déjà fatigué. Une poussière s’est glissée dans mon œil. Je ne vais pas pleurer. Ou peut-être bien que si finalement, caché derrière mon livre.

Je trouve un joli banc, dans le reflet des vitres.

Dans ma ville sans nom, j’ouvre un roman sans titre…

David, 25/09/24, en réponse au défi d’écriture #27 Ecris la ville.

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