Prose·Récits, dialogues

Marie : témoignage d’une nuit de Noël

J’aimais ces petits matins calmes, toute seule dans la cuisine familiale. Toujours la première levée, je préparais le pain pour la nouvelle journée. Je pouvais ainsi me retrouver seule avec moi-même, libre de laisser vagabonder mes pensées, de rêvasser, de fredonner tant que je voulais !

Car dès que le reste de la famille se réveillait, l’effervescence gagnait la maisonnée ! Rires et discussions souvent futiles. Les uns interpellaient les autres… et parfois se chamaillaient. Une maisonnée normale, pleine de vie ! Plus tard, chacun viendrait dans la cuisine chercher du lait des brebis que mon père venait de traire, du fromage de nos chèvres et bien sûr une bonne galette de pain encore chaude que je venais de sortir de notre four en terre cuite.

Mes frères les emportaient dans leur besace pour la journée avec quelques dattes ; mes sœurs les servaient à mes parents et grands-parents dans la salle commune. Je pouvais les imaginer tremper le pain encore fumant dans le lait tiède.

Durant le reste de la journée, je m’occupais, avec mes sœurs, du ménage, des repas, de la lessive. Mes moments préférés, c’était quand, matin et soir, je posais la grande jarre sur mon épaule pour aller au puits. À cette occasion, je croisais d’autres jeunes filles et nous pouvions nous laisser aller à discuter, plaisanter et rire ensemble. De bons moments, loin des occupations et des travaux domestiques.

Je croisais souvent Rachel, mon amie depuis l’enfance, qui venait aussi puiser de l’eau… Hier, elle n’a pas pu s’empêcher de me taquiner, comme elle le faisait souvent, à propos de Joseph… « le beau Joseph », comme elle disait.

Joseph était mon fiancé. Depuis quelques mois, nos parents avaient entrepris des discussions et des démarches pour concrétiser leur accord par un mariage. Ils devaient décider de la date un jour ou l’autre. C’est vrai que Joseph était bel homme, même s’il était plus âgé que moi ! Sérieux et ne rechignant pas à la tâche, il travaillait comme charpentier dans l’entreprise de son père. Leur affaire marchait bien… si Dieu nous accordait un jour des enfants, ceux-ci ne manqueraient de rien ! Mais il était surtout un homme droit, intègre et un croyant fervent, de la lignée de David.

Je crois que Rachel était un peu jalouse… elle n’avait pas de fiancé et donc pas de mariage en vue, et elle cachait sa déception sous des plaisanteries qui sonnaient faux.

Ce matin-là, comme tous les matins précédents, j’étais seule dans la cuisine. J’avais allumé le feu dans le four et les bûches crépitaient joyeusement tout en éclairant la pièce. J’avais déjà cherché le grand pot de farine sur l’étagère, la jarre d’eau puisée la veille au soir et le levain que je prélevais chaque jour. J’avais mélangé les ingrédients dans les bonnes proportions, ajouté un peu de sel, et je pétrissais la pâte avec enthousiasme tout en repensant à la bonne nouvelle que nous avions apprise quelques jours auparavant.

Notre cousine Élisabeth, qui habitait avec son mari Zacharie dans un village des montagnes de Judée, attendait un bébé ! Elle était enceinte de presque six mois ! C’était une véritable surprise, je devrais même dire un véritable miracle, car ils étaient déjà bien vieux tous les deux. Personne ne s’attendait à cette nouvelle et, d’après ce qui se racontait, même Zacharie en était resté muet !

Ces pensées m’amenèrent à rêver à mon futur mariage… au moment où je serais non plus la fiancée, mais l’épouse de Joseph… au moment où je pétrirais la pâte à pain dans notre foyer, pour nos enfants… Mes gestes ralentissaient… je souriais béatement. Quand je sortis de ma rêverie, je constatai que je m’étais arrêtée de pétrir et que j’avais un sourire niais sur les lèvres !

Je me remis à travailler avec ardeur. Une fois la pâte prête et séparée en petits pâtons, je m’apprêtai à aller dans la réserve pour remplir le grand pot de farine. En me retournant, j’ai été tellement surprise par la présence d’un homme que je n’avais pas entendu arriver que j’en ai lâché le pot, qui s’est fracassé sur le sol.

Je suffoquais de peur, j’étais tétanisée. L’homme s’adressa à moi, disant :

« Réjouis-toi, toi à qui Dieu a accordé sa faveur : le Seigneur est avec toi. »

Quelle drôle de salutation ! Me réjouir, alors que j’étais morte de peur ? J’étais très troublée, mais je sentais confusément que l’homme ne me voulait pas de mal. Il me parla encore : « N’aie pas peur, Marie, car Dieu t’a accordé sa faveur. Voici : bientôt tu seras enceinte et tu mettras au monde un fils ; tu le nommeras Jésus. Il sera grand. Il sera appelé « Fils du Très-Haut », et le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David, son ancêtre. »

Moi enceinte ? Un fils ? J’étais en plein délire… j’avais dû m’assoupir… Mais l’homme était pourtant bien réel et je voyais la farine étalée par terre. Tout ce que je trouvai à balbutier fut : « Comment cela pourrait-il être possible puisque je n’ai jamais eu de relation avec un homme ? »

L’homme me répondit :

« L’Esprit Saint descendra sur toi, et la puissance du Dieu très-haut te couvrira de son ombre. C’est pourquoi le saint enfant qui naîtra de toi sera appelé Fils de Dieu. Vois : ta parente Élisabeth attend elle aussi un fils, malgré son grand âge. Car rien n’est impossible à Dieu. »

À ces paroles, je compris que ce n’était pas un homme qui me parlait, mais un ange envoyé par Dieu. Alors je lui répondis :

« Je suis la servante du Seigneur. Que tout ce que tu m’as dit s’accomplisse pour moi. »

Et l’ange disparut aussi soudainement qu’il était venu. Je restai là, au milieu de la cuisine, désemparée, pleine de questions, mais pas désespérée. Si le Seigneur en avait décidé ainsi, alors j’étais prête.

C’est seulement le soir, allongée sur ma couche, que j’ai pu me rendre compte de l’étendue des questions qui se posaient à moi. Comment annoncer à Joseph que j’allais avoir un enfant, mais pas de lui ? Et mes parents ? Qu’allait-on penser de moi à Nazareth où les nouvelles se propageaient vite !

Ma mère a remarqué que quelque chose ne tournait pas rond. Elle me proposa de prendre un peu de repos. Je sautai sur l’occasion : « Oh ! Maman, j’aimerais bien rendre visite à la cousine Élisabeth qui attend son bébé. »

Je partis vers les monts de Judée dès le lendemain. La route fut longue, mais j’eus le temps de réfléchir et je décidai de faire entièrement confiance à Dieu. Enfin, j’arrivai chez Zacharie et Élisabeth. Quand je suis entrée dans leur maison, Élisabeth s’est tournée vers moi et m’a dit : « Tu es bénie plus que toutes les femmes et l’enfant que tu portes est béni. »

Je n’avais même pas eu besoin de lui annoncer la nouvelle ! Le Seigneur s’en était chargé par son Esprit Saint. Remplie d’une grande joie, j’ai chanté un cantique nouveau :

« Mon âme chante la grandeur du Seigneur et mon esprit se réjouit à cause de Dieu, mon Sauveur… »

Je suis restée environ trois mois avec Élisabeth. À mon retour à Nazareth, tout n’a pas été facile. Joseph, parce qu’il était un homme juste, avait d’abord décidé de rompre en secret nos fiançailles pour ne pas me livrer au déshonneur. Mais un ange lui apparut en rêve et lui dit :

« Joseph, ne crains pas de prendre Marie pour femme, car l’enfant qu’elle porte vient de l’Esprit Saint. »

À son réveil, Joseph fit ce que l’ange avait commandé.

Puis, un édit de l’empereur Auguste ordonna un recensement. Nous avons dû quitter Nazareth pour Bethléem, la ville de David. À notre arrivée, il n’y avait plus de place pour se loger. Joseph a dû parlementer avec un aubergiste. Une petite fille nommée Salomé m’a raconté qu’il ne restait que l’étable. Et c’est ce qui est arrivé. Jésus est né pendant la nuit.

Nous avons eu la visite de bergers. Des anges leur avaient annoncé la nouvelle dans les champs : « Un Sauveur vous est né aujourd’hui dans la ville de David. » Plus tard, au temple de Jérusalem, nous avons rencontré Siméon. Il prit Jésus dans ses bras et dit :

« Mes yeux ont vu le salut qui vient de toi. »

Mais il me dit aussi :

« Tu auras le cœur comme transpercé par une épée. »

Ces paroles étaient dures, mais je les gardais dans mon cœur.

Les mois ont passé. Nous nous étions installés dans une petite maison quand des mages d’Orient sont arrivés, guidés par une étoile. Ils se sont agenouillés devant Jésus et lui ont offert de l’or, de l’encens et de la myrrhe.

Cependant, le danger rôdait. Un ange avertit Joseph qu’Hérode voulait faire du mal à l’enfant. Nous avons fui en Égypte. Ce n’est qu’après la mort du roi qu’un ange nous dit de rentrer. Nous sommes alors revenus nous établir à Nazareth.

En repensant à tous ces événements, je ne peux que m’émerveiller de la manière dont Dieu a pris soin de nous. Il a préservé la vie de Jésus, venu sur terre pour être le Sauveur du monde ! Mais cela est une autre histoire…

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