Chrétiens en URSS·La Grappe de raisin·Théâtre

La Grappe de Raisin – Acte III (2)

Scène II

BORIS – FRIDA

BORIS

Quelle mauviette ! Un malheureux litre de vodka, et le voilà allongé pour la semaine.

(On frappe à la porte.)

Qui peut vouloir me déranger à une heure pareille ? C’est fermé. Revenez vers dix heures.

FRIDA

Boris ! Ouvre, c’est Frida.

BORIS (Il lui ouvre.)

Frida ! Pour toi, le régime est différent. Tu peux venir me trouver à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. Tu seras toujours ma belle Frida chérie.

FRIDA

Pardonne-moi, Boris. Je vois bien que je t’importune. Je ne parvenais pas à dormir, alors je suis allée marcher dans la rue. Puis j’ai vu de la lumière dans ton bureau, j’ai supposé que tu étais déjà au travail. J’ai donc pris la liberté de frapper à ta porte.

BORIS

Au travail ! Le terme est tant soit peu excessif. Mais tu as eu raison de venir. Tu recherches ma présence, à présent. Je ne m’essouffle plus à te poursuivre, ma farouche Lorelei. Ma blonde Walkyrie. Mon aimée.

FRIDA

Ne m’appelle pas ton aimée, Boris. Je ne suis que ton animal, ta possession, ta pouliche.

BORIS

Plus aujourd’hui, Frida. J’ai été un homme égoïste et pervers, mais tu as changé ma vie. Je suis tombé tellement amoureux de toi que je suis prêt à de très grands sacrifices pour mériter ton amour. Je m’éloigne de ma vie de débauche, car tu me suffis à toi seule. Je songe même à t’épouser.

FRIDA

Tu es marié.

BORIS

Tatiana est très malade.

FRIDA

Boris, je t’interdis de nourrir de telles pensées dans ton cœur. Si Dieu te retire ta chère épouse, tu choisiras de rester veuf ou de te remarier. Mais tant qu’il lui accorde la vie, oublie ce que tu viens de me dire.

BORIS

J’ai été bien gauche et maladroit. Mais si ce malheur arrivait, refuserais-tu de m’épouser ?

FRIDA

Je ne sais pas, Boris. Il est vrai qu’après ce que j’ai vécu, le mariage ne me rendrait pas ma pureté bafouée, mais il soulagerait un petit peu ma conscience flétrie.

BORIS

Pauvre petite Frida. J’ai tant de remords pour ce que je t’ai fait subir. Je suis un homme sans morale, je le sais bien, mais tu es la seule capable de me faire éprouver du repentir.

FRIDA

Le penses-tu vraiment ? Je pourrais t’aider à venir à une vie meilleure ?

BORIS

Si tu partageais mon amour, tu pourrais davantage encore.

FRIDA

Oh ! Boris !

BORIS

Tu es une fille si courageuse, si vaillante. Ivan vient de me quitter et nous parlions de toi à l’instant même.

FRIDA

De moi ? Avec Ivan ?

BORIS

Nous évoquions ce fameux jour de pluie. Vaincue enfin, mais si magnifique, tu tombais à genoux. Tes longs cheveux mouillés recouvrant le plancher. Telle une pure vestale, tu t’es offerte, tu t’es sacrifiée, pour sauver ton pauvre père. Quel amour ! Ah ! Frida ! Frida ! Quand je repense à cet instant ! Seras-tu capable de me le pardonner ?

FRIDA

J’appartiens au Seigneur. Jésus a pardonné à ceux qui le clouaient sur la croix. Il m’a appris à faire de même. C’est lui aussi qui transforme tes désirs bestiaux en amour véritable.

BORIS

Je ne crois pas en Dieu. Je n’ai pas le droit d’y croire.

FRIDA

Nous en reparlerons, Boris. Écoute-moi bien. J’étais bien embarrassée pour aborder la question, mais tes sentiments sont en train de changer. J’ai une grande nouvelle à t’apprendre.

BORIS

Une grande nouvelle ? Je suis tout impatient de t’entendre.

FRIDA

Tu vas bientôt être père.

BORIS

Mais Tatiana ne peut… Qu’est-ce que tu dis ?

FRIDA

Tu m’as bien comprise. Nous allons avoir un enfant, toi et moi.

BORIS

Quoi ?

FRIDA

J’attends un enfant.

BORIS (Il la frappe.)

Tu ne pouvais pas faire attention ? Pauvre idiote !

FRIDA

Mais Boris ! Je ne comprends pas.

BORIS

Tu n’es qu’une imbécile, tu ne comprends jamais rien.

FRIDA

Mais… Je croyais…

BORIS

Il ne fallait pas croire. Je ne veux plus de toi. Je ne veux pas de cet enfant. Je ne veux jamais le voir. Avorte-le, noie-le, étrangle-le. Peu m’importe !

FRIDA

Très bien ! j’ai compris ce qu’il me reste à faire.

BORIS

Fais-le vite.

FRIDA (Elle sort en claquant la porte.)

Adieu, camarade Ismaïlov.

Scène III

BORIS

Par les cendres de Lénine ! Qu’ai-je donc fait pour mériter un tel sort ? Cette grue s’est imaginé que je l’aimais, et voilà qu’elle me sort un enfant de son tiroir pour me forcer à l’épouser. Que faire, maintenant ? Que faire ? Comme je suis contrarié ! Qui pourra chasser ces idées-là ? Nadia ! Où est-elle encore cette petite peste ? Nadia ! Nadia !

© 2025 Lilianof

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