Dans un palais en ruine entouré par la jungle du Bengale vivait une rose. Ce jour-là, elle profitait d’un rayon de soleil qui perçait le feuillage. Quand, tout à coup, un tigre qui cherchait à s’isoler se trouva nez à nez avec cette belle fleur. Celle-ci l’interpella :
– Que faites-vous ici ? Vous ne voyez pas que vous empêchez la chaleur de ce rayon de soleil de m’atteindre ?
Le félin fut surpris de l’attitude de cette chose si insignifiante.
– Tu n’as pas peur de moi, végétal inconnu ?
– Dis donc, on n’a pas élevé les cochons ensemble : un peu de respect ! répondit-elle avec irritation. Pourquoi aurais-je peur de vous ?
– Comment connais-tu ma langue ? réagit le tigre, étonné.
– Je connais le langage des hommes et des animaux.
– Bon d’accord, tu connais ma langue !
– Comment, je ne sais pas…
Devant cette attitude étrange, la Panthèra tigris lui tint ce langage, d’un air hautain :
– Tout le monde a peur de moi ! Tous les animaux, et même les hommes. Je suis le roi des animaux.
– Je croyais que c’était le lion, dit la rose.
– Oui, en Afrique ! Ici, en Asie, c’est moi ! Regarde comme je suis grand, majestueux, colossal par rapport à toi. Observe mes griffes : elles sont acérées et longues. D’un seul coup de patte, je peux ôter la vie et mon rugissement retentit à plus de trois kilomètres. Un simple petit grognement de ma part et tu n’existes plus.
La fleur se retint de rire afin de ne pas blesser son hôte inattendu et l’informa :
– Je vois que tu ne connais pas mon espèce. Tu as vu mes épines ? Elles peuvent te paraître insignifiantes, mais détrompe-toi ! Elles ont déjà tué beaucoup de monde. Alors ne t’aventure pas sur ce chemin-là, cela pourrait te coûter cher. Ne te berce pas d’illusions en voyant ma robe rouge, mes petites feuilles et ma tige verte recouverte de petites épines. Je peux aussi te faire mal.
Le fauve se retint de protester et se mit à réfléchir à ce que venait de dire l’insolente. Il choisit de la combattre sur le domaine de la notoriété afin de lui rabaisser son caquet :
– Tu sais, je suis très connu. Depuis des milliers d’années, j’ai fasciné les hommes par ma fourrure, ma corpulence et mon rugissement. On pouvait déjà trouver mon nom dans la Bible au livre de la Genèse. Ma renommée était si grande que l’on me retrouvait sur des vases en anaglyphe. Des écrivains de toutes les époques me citent. Et toi, minuscule ?
La rosa déploya son C.V…
– Je suis célèbre depuis l’Antiquité et admirée par les poètes, les écrivains et les peintres… Même en théologie, j’étais le symbole préféré de Luther : la rose qui contient un cœur traversé par La Croix du Christ. D’après ce que j’ai compris, cela veut dire qu’un cœur touché par l’Esprit-Saint change et fleurit comme une rose. Il porte un fruit de justice. Un parfum de vie se répand.
– Tu es le roi d’Asie. Moi, je suis la reine d’Asie. Mais ma notoriété va au-delà de l’Asie, je suis connue dans le monde entier. Tu vois, si l’on se compare, c’est évident. D’habitude, je suis entourée et appréciée dit la fleur, alors que toi ! Tu es seul ! Tu es un animal traqué et en voie de disparition. Alors arrêtons notre rivalité et profitons de ce moment à part. Tu peux me protéger par ta force des prédateurs de toutes sortes. Moi, je t’apporterai une compagnie agréable en répandant mon parfum que tant de personnes apprécient. Comme disait Jean de la Fontaine : « On a toujours besoin d’un plus petit que soi ». Rappelons-nous que nous avons le même créateur. Nous avons un rôle à jouer dans cet écosystème, où Élohim nous a placés. »
Devant une telle sagesse, le tigre écouta le conseil. Il se plaça en guetteur et la rose écarlate laissa échapper son doux parfum. Ils passèrent ainsi une bonne journée en prenant soin l’un de l’autre.
Alain Guégan
Réponse au défi d’écriture #9 : le Tigre et la Rose
Plumes Chrétiennes 