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Chant XI, les oiseaux

Né en Suisse en 1729, Jean Guillaume de La Fléchère, a passé la plus grande partie de sa vie en Angleterre, où il devint très connu comme prédicateur sous le nom de John Fletcher (jugez de l’inventivité des Anglais dans cette transcription 😊). Il n’oublie pas pour autant sa langue maternelle puisqu’il compose un grand poème en 24 Chants, intitulé La Grâce et la Nature, qui aura un grand succès à Genève, où il parut d’abord sous le titre de La Louange, puis en Angleterre quand on le traduisit.

Prendre un nom d’oiseau comme nom de plume, nous semblant approprié sur ce site, nous avons pensé à donner comme exemple le Chant XI de ce poème. On y admirera, le beau français des vers de La Fléchère et son sens de la parabole biblique. Quant à la place qu’il a occupé dans l’histoire de l’Église, Fletcher devint grand ami de John Wesley avec qui il partageait la même passion pour l’évangélisation. Sa piété et sa charité remarquables le firent passer à la postérité en Angleterre, et si son nom est aujourd’hui à peu près inconnu en France, il n’en était pas ainsi du temps de Voltaire: mis au défi de nommer un personnage qui ressemblait le plus au Christ, le mécréant répondit immédiatement: La Fléchère.

❧ ☙
L’Éternel ordonna, que dans son vaste empire,
Tout ce qui rampe, court, vole, nage, ou respire,
Annonçant la bonté d’un Dieu-Conservateur,
Aux esprits attentifs chantât le Créateur;
Et si de vains mortels, rivaux des mauvais anges,
Lui refusent encore des chants et des louanges ;
Pour payer ce tribut, les animaux divers
Bondissent dans les champs, s’élancent dans les airs.

Oiseaux, qui voltigez sur ces plaines riantes,
Gazouillant à l’envi vos antiennes charmantes,
Aux humains, du repos languissants possesseurs,
D’un réveil matineux apportez les douceurs;
Et des champs d’Amérique aux portes de l’Aurore,
Célébrant à l’envi le Grand Dieu que j’adore,
Dans les plaines de l’air, sous l’ombrage des bois,
Pour un sacré concert unissez tous vos voix.


Le Coq
Ennemi du sommeil, fier oiseau domestique,
Réveille tous nos cœurs par ce même cantique,
Dont le pâle Céphas éprouvait les effets,
Alors que, plein de honte, il pleura ses forfaits.
Si de lâches chrétiens à leur Dieu font la guerre,
Sans leur lancer du ciel sa foudre et son tonnerre,
Toi qui, cloussant, volant, pour montrer ta tendresse,
Combats pour ta couvée, ou la nourris sans cesse.

Toi qui, cloussant toujours pour marquer ta tendresse,
Combats pour ta couvée, ou l’échauffes sans cesse,
Modèle peu suivi des soucis maternels,
Tous tes soins empressés instruisent les mortels.
Tel, et plus généreux, dans un affreux orage,
A tous nos ennemis opposant son courage,
Jésus pour les humains, par un dernier effort,
Bravait, sur le calvaire, et l’opprobre et la mort:
Et telle sa bonté, sous une aile propice,
Couvre encore les pécheurs, qui, renonçant au vice,
De près suivent ses pas, s’élancent à sa voix,
Et cherchent leur salut à l’ombre de sa croix.


La Colombe
Paisible et tendre oiseau, symbole de la Grâce,
Par ton rapide vol peins sa prompte efficace;
Que ta douce descente, et ta vivacité,
Annoncent à nos yeux l’active Charité:
Quand le Christ, au Jourdain, consacra le baptême,
De l’amour du Très-Haut tu fus l’heureux emblème:
Par ta pure innocence, et ta vive douceur,
Représente à jamais l’Esprit-Consolateur.

Pour voler à Jésus l’asile des fidèles,
Grand Dieu, de la colombe accorde moi les ailes:
Que ta grâce aujourd’hui, guérissant ma langueur,
Descende, me baptise, et vive dans mon cœur:
Et, de peur qu’avec Ève enfin je ne succombe,
Dans mon âme au serpent unissant la colombe,
Par les saintes leçons de ton Esprit divin,
Rends moi doux sans faiblesse, et prudent sans venin.


L’Alouette
Prends l’essor, alouette, et d’une aile hardie,
Le matin, jusqu’au ciel porte ta mélodie:
Elle dit à mes sens, que, joyeux comme toi,
Le Chrétien, soutenu par l’aile de la Foi,
Sitôt qu’il voit l’aurore annoncer la lumière,
Présente à l’Éternel ses chants et sa prière.
Oui, mon Dieu, chaque jour, m’élevant vers les cieux,
Sur ta gloire, en chantant, je fixerai mes yeux,
Et, rendant mon hommage au Maître du tonnerre,
Je verrai sous mes pieds les grandeurs de la terre.

L’Hirondelle
Prévoyante hirondelle, au retour des hivers,
En gazouillant tes chants, va traverser les mers;
Mais, quand le doux zéphyr, ton agréable guide,
A fondu les glaçons, viens d’une aile rapide,
Aux humains paresseux, avant le point du jour,
Prodiguer tes leçons d’industrie et d’amour.

En mère diligente, en habile ouvrière,
Suspends, construis ton nid sans compas, sans équerre,
Par d’obliques détours dans les plaines de l’air,
Rasant d’un vol léger les guérets ou la mer,
D’insectes engloutis compose la béquée,
Dont tes soins assidus vont nourrir ta nichée;
Et, loin de te fixer, comme nous, dans ces lieux,
Pars avec ta couvée et vole vers les cieux.

Ainsi le vrai Chrétien, rempli de prévoyance,
Imitant tes travaux, tes chants, ta diligence,
Avant d’être surpris par la glace des ans,
Vers le Ciel, par la foi, sait guider ses enfants;
Et, craignant votre sort, tardives hirondelles,
Dans son active joie il se joint aux fidèles,
Qui, loin de nos frimas, du crime, et des douleurs,
Vont goûter de leur Dieu les célestes faveurs.


Les Canaris
Vous, que l’on apporta des Îles Fortunées,
Consolez par vos chants les âmes consternées,
Et répétant toujours vos touchantes leçons,
Chantez le Dieu de paix dans vos tristes prisons:
Ainsi Paul et Silas, que des mains inhumaines,
Au fond d’un noir cachot, avaient chargés de chaînes,
Contents de leur état, joyeux dans la douleur,
Touchaient leur geôlier, et chantaient le Sauveur.

Le Rossignol
Amphion des forêts, touchante Philomèle,
C’est à toi de chanter une ancienne nouvelle:
Variant à minuit tes airs mélodieux,
Peins nous, sans te lasser, les cantiques des cieux.
Soudain précipitée et soudain ralentie,
Ta voix à la douceur unit la mélodie;
Et tes chants variés égalent dans ce bois,
Les orgues, et la flûte et l’éclatant haut-bois.

Quel prélude charmant! Quelle vive cadence!
A pas lents je m’approche, et j’écoute en silence;
Le bruit des vains plaisirs n’agite plus mon cœur;
Du fond de ce bosquet instruis ton auditeur.
Un illustre païen de ta voix ravissante
Eprouva les attraits et la vertu puissante:
Touche aussi les Chrétiens, et comme lui charmés,
Nous offrirons au Ciel nos accents animés.


Le Paon
Fier et superbe oiseau, qui, privé du ramage,
Etales sottement l’éclat de ton plumage,
Et bouffi, rengorgé, viens d’un air fastueux
Imiter l’arc-en-ciel par ton cercle pompeux;
Si d’un pinceau divin les touches lumineuses
Te rendent, tous les ans, ces nuances heureuses,
Que ces yeux veloutés, et tes vives couleurs,
Parlent à nos regards, et disent à nos cœurs:
Vains mortels, enivrés des faveurs singulières,
Que sur vous répandit le Père des lumières;
Au plus sot des oiseaux laissant la vanité,
De votre Créateur annoncez la bonté.

Mondains, qui des réduits, où vous prîtes naissance,
Allez dans les châteaux encenser l’opulence;
Flatteurs, qui brillants d’or, et couverts de velours,
Imitez et l’éclat et l’orgueil de la Cour;
Quand, pour nous éblouir, des plumes étrangères
Rehaussent de vos fronts les beautés passagères,
Par de vils artisans vos cheveux sont ornés,
Mais de la main d’un Dieu les paons sont couronnés.
Ah! si l’amour du beau dans ce jour vous enflamme,
Ornez par des vertus la beauté de votre âme;
A l’oiseau, dont l’orgueil s’attire vos mépris,
En vain d’un faux éclat vous disputez le prix!


Le Perroquet
Et vous, pics indiens, dont la vive parure
L’emporte sur l’éclat d’une riche verdure;
Si répétant toujours nos mots articulés,
Rivaux des vains mortels, sans raison vous parlez;
A votre Créateur, par un si vain ramage,
Vous rendez toutefois un innocent hommage:
Votre bruyant jargon, vos chants continuels,
De la Chine à Paris semblent dire: Mortels,
Que le perroquet seul du don de la parole
Fasse, sous vos lambris, un usage frivole;
S’il égale vos sons; que vos discours pieux
Egalent, à leur tour, le Langage des cieux!

Les Tourterelles
Cherchant dans les forêts vos compagnes fidèles,
Joignez vos chants aux miens, plaintives tourterelles,
Et, redoublant sans fin vos doux gémissements,
Rappelez moi ces jours, ces trop heureux moments,
Où de l’Amour divin la vive et pure flamme,
En embrasant mon cœur, illuminait mon âme:
Et bientôt, attendri, gémissant comme vous,
J’irai chercher, en pleurs, mon adorable Époux

Ainsi Job, plein d’ennuis, et couvert de poussière,
Dans ses maux, du Seigneur implorant la lumière,
Disait à ses amis: Quand verrai-je le jour,
Où me comblant encore et de paix et d’amour,
Mon Dieu, levant sur moi la clarté de sa face,
De mon cœur endurci viendra fondre la glace?
A mon âme, grand Dieu, rends enfin ta faveur;
Et ma bouche, à jamais, chantera mon Sauveur.


Le Cygne
Le voilà, cet oiseau, que la belle nature
Orna d’une superbe et sublime encolure,
Qui, toujours rengorgé, de son brillant poitral
Fend, ou l’azur d’un fleuve, ou l’argent d’un canal,
Dans un beau réservoir se joue et se balance,
Plonge un col allongé, le relève, s’élance,
Se lave en s’agitant, et régnant sur les eaux,
Dans un calme parfait aime à former des flots.

Quand, se plongeant soudain dans un fleuve limpide,
Sans tache il reparaît sur son courant rapide,
Et surpasse des lys l’éclatante blancheur,
Par sa couleur d’albâtre il instruit le pécheur,
Fait voir comment, blanchis de leurs taches impures,
Les justes baptisés détestent leurs souillures;
Et dépeint à nos yeux la douceur de leur sort,
S’il étend l’aile, et chante, et triomphe à sa mort.

Oui, le Chrétien mourant, qui s’élance à la gloire,
Partageant du Sauveur la dernière victoire,
Elève au Ciel ses mains, ses regards et son cœur,
Et nous dit, par ses chants, qu’il est déjà vainqueur.


Les Passereaux
Vous, oiseaux passagers, que l’automne rassemble,
Qui paissez, et partez, et revenez ensemble,
De concert franchissant et les monts et les mers,
Allez par votre exemple, instruire l’univers.

Aux saisons attentifs, et prévoyant l’orage,
Sans renvoyer ou craindre un immense voyage,
Vous tendez jour et nuit à ces lieux fortunés,
Qui des fleurs du printemps sont toujours couronnés.
Mais, quand ce doux instinct vous anime et vous guide,
Traversant nos climats d’un vol droit et rapide,
Invitez ces mortels qu’embrase leur courroux,
A s’unir, à s’aimer, à chanter comme vous.

Ainsi, par la concorde et la foi la plus vive,
Se forma, s’agrandit l’Église primitive,
Lorsque, près de Damas, les Juifs et les Païens,
Sous la croix rassemblés, s’unissaient aux Chrétiens.
Les fidèles, brûlants d’une céleste flamme,
Entr’eux n’étaient alors, et qu’un cœur et qu’une âme:
Tels que leur divin Chef, poursuivis en tous lieux,
Sur ses pas bienfaisants ils tendaient vers les cieux,
Et découvraient déjà ces brillantes collines,
Où fleurit à jamais la rose sans épines.

Humbles imitateurs de ces saints immortels,
Joignons à leurs concerts nos accents solennels:
Mais, pour nous animer, parais, guide céleste;
Et de ton peuple élu réunissant le reste,
Loin d’un monde pervers, sur l’aile de la foi,
Conduis nous pour chanter et régner avec Toi.


L’Aigle
Fort et terrible oiseau, qui, par un vol sublime,
Des rochers sourcilleux vas habiter la cime,
D’où t’élançant au loin sur la terre et les mers,
Tu gardes tes aiglons et l’empire des airs;
Redoublant tes efforts, d’une aile vigoureuse
Porte jusqu’au zénith ta tête audacieuse;
Dans ta rapide ardeur, montant vers le soleil,
Va contempler de près son éclat sans pareil:
Aussi prompt que l’éclair échappé de la nue,
Pars, et fonds sur l’agneau que découvre ta vue;
Et, pour monter plus haut, ranimant ta vigueur,
Peins l’essor d’un croyant, qui vole à son Sauveur.

Tel que toi, le Chrétien, du Soleil de justice
Recherche, et la lumière et la chaleur propice:
Par la sublime ardeur, qu’en lui nourrit la foi,
Maître de ses désirs, il se conduit en roi:
A ce festin mystique, où Jésus le convie,
Il trouve, en cet Agneau, le sacré pain de vie;
Et reprenant toujours son vol ambitieux,
Il va voir son Soleil, et régner dans les cieux.

❧ ☙

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