Par Alain Maurino, en réponse au défi d’écriture 27 « Écris la ville »
– Tu veux dire visite de Romans ?
– Non, non, visite de Romains, tu verras !
J’arrive par avion et découvre la ville sous les rayons du soleil couchant. Elle semble respirer comme une poitrine qui se soulève et s’affaisse. Je suis accueilli par mon guide, Paul, un homme de petite taille au regard vif, qui m’accompagne dans une navette. Sur le trajet, il me fait remarquer le beau coucher de soleil.
– Il y a 16 arrondissements. Je vous accompagnerai dans la plupart, je pense que vous saurez vous débrouiller pour les autres ! me souffle-t-il.
Nous arrivons à la gare, un quartier toujours mal famé. Je devine des prostitués hommes et femmes rôder tels des fantômes dans la pénombre. Intrigué par les tags et fresques sur les murs, des figures d’animaux, je demande à Paul de m’expliquer.
— C’est presque une religion ici, ils sont fascinés par toutes sortes d’animaux, y compris ceux de la mythologie ou les monstres… Je me sens mal à l’aise.
— Attention surtout aux pickpockets ! me souffle-t-il.
Sur une esplanade, j’aperçois une grande stèle. J’imagine un monument aux morts, mais en m’approchant, je lis des vulgarités gravées dans la pierre ! Deux hommes semblent se disputer :
— Ça ne me concerne pas ! crie le premier, tout vêtu de noir – apparemment un juif religieux.
— Moi non plus, et je n’ai pas besoin de religion, j’ai ma morale laïque ! s’exclame le second.
— Ils ignorent qu’ils ne valent pas mieux l’un que l’autre, me dit Paul, et nous ne sommes pas meilleurs qu’eux…
Nous continuons à marcher et débouchons sur une grande avenue.
— On l’appelle la voie romaine !
Je regarde le sol, m’attendant à voir surgir les pavés d’une route antique. Paul rit :
— Il nous reste quelques endroits où les pavés sont apparents, aux numéros 58, 109-110, 323, et 623. Notez-les !
Puis il me laisse :
— C’est tout droit, vous ne pouvez pas vous tromper, l’Hôtel de la Paix est au numéro 51.
Sur le trajet, un magnifique arc de triomphe enjambe l’avenue : l’Arc d’Abraham. La nuit est plutôt calme, malgré les scooters bruyants et quelques fêtards nocturnes.
Le lendemain matin, je sors de l’hôtel et deux colonnes de pierre attirent mon regard : d’un côté, la colonne d’Adam, noircie par la pollution, et de l’autre, la colonne de la Grâce, en calcaire blanc lumineux sous les premiers rayons du soleil. Je dépasse ces édifices et découvre un vaste cimetière. J’aime bien visiter les cimetières et lire les versets bibliques sur certaines tombes. Je m’y aventure pour une rapide incursion.
Je suis frappé par les épitaphes : « Mort au péché, mort à la loi », comme on écrirait « Mort pour la France » ailleurs ! Un employé nettoie les allées avec un grand balai de bruyères. Les feuilles s’envolent au vent matinal.
Je ressors et atteins le numéro 623. Là, des pavés apparaissent sous le bitume, protégés par un verre épais et éclairés, révélant un texte grec gravé. Paul m’attend :
— C’est ici le secteur le plus spirituel de la ville, on l’appelle le quartier du « Saint-Esprit ».
De beaux immeubles art déco s’élèvent de chaque côté de l’avenue, avec des noms surprenants : « L’Espérance », « L’Héritage », ou encore « L’Amour ». Les panneaux publicitaires n’annoncent ni voitures ni cosmétiques, mais exhortent à être remplis de l’Esprit ou à marcher par l’Esprit (what else dans ce quartier ?).
Du 9e au 11e arrondissement, ce sont les quartiers juifs. Des hommes en noir, kippa sur la tête, passent rapidement, le regard aussi sombre que leur tenue. Ils se dirigent probablement vers une synagogue. Sont-ils ashkénazes ou loubavitchs ? Je passe devant une boucherie casher ornée d’une étoile de David. « Shalom ! » me crient deux enfants aux boucles brunes. J’entends des personnes chanter de façon répétitive « élu ! Élu ! ». On croirait la sortie d’une élection politique, mais Paul m’explique qu’en fait ils se vantent d’être le peuple élu de Dieu. Paul est très ému, les larmes aux yeux. Je comprends qu’il n’ira pas plus loin.
Je continue seul et tombe sur un verger. Curieux, je m’y aventure et rencontre un jardinier greffant des oliviers. Il m’explique greffer des branches d’olivier sauvage sur des oliviers cultivés pour obtenir encore plus d’olives et de meilleure qualité.
Le 12e arrondissement s’anime avec un grand marché. De petits vieux emmitouflés dans leur anorak attendent les clients derrière leurs étals de fruits et légumes d’hiver. Un marchand plus jeune interpelle les passants :
— Deux salades pour le prix d’une !
Un stand attire mon attention : une jeune femme pétillante peint des aquarelles sous nos yeux. Je m’approche d’une carte illustrant une feuille d’automne orangée, sur laquelle est inscrit « Soyez patients dans l’affliction ». Je l’achète.
Une jeune fille soutient une vieille dame par le bras pour l’aider à faire ses achats :
— Quelques oranges, mamie ?
Un peu plus loin, je passe devant un EPAD et un hôpital. Je suis surpris par les noms des rues : rue de la Patience, de la Joie, de la Prière. Je m’y enfonce, laissant derrière moi le bruit d’un scooter. Quelques cris d’enfants résonnent dans une cour de récréation, mais sinon, quel calme propice au recueillement. Je m’assois sur un banc et remercie Dieu pour cette belle journée.
Le 13e arrondissement est dominé par l’hôtel de ville, situé sur une place fleurie. Des militaires en armes assurent la sécurité, Vigipirate oblige. Le vent se lève, des pigeons s’envolent devant moi, et j’entends claquer les stores en tissu sur les balcons des immeubles. Un balcon encombré de plantes vertes abandonnées arbore un drapeau tricolore délavé, flottant doucement.
Je dois filer. Je traverse rapidement le 14e et le 15e arrondissement pour finir mon parcours dans le 16e – non, pas celui de Paris ! Une grande église semble m’ouvrir les bras. C’est l’heure d’une réunion, et Paul m’a demandé de bien saluer Aquilas, Priscille, Marie, Julie et Olympe. Il m’a laissé un bout de papier avec leurs prénoms.
— Bonjour, je suis Aquilas, bienvenue ! me dit-il chaleureusement en me serrant la main.
Alain Maurino
