Jephté·Rois, Soldats et Prophètes·Théâtre

Jephté – Acte III (2)

Scène II

JEPHTÉ – MYRIAM – GALAAD

GALAAD

                                   Voici ton héritière !
Combien j’ai de regrets de n’avoir vu grandir
Cet enfant plein de charme au regard de saphir,
Et ta jeune beauté, Myriam, douce princesse,
Me rappelle déjà ma sinistre vieillesse.
Oh ! que d’années perdues et de jours dépensés
À nourrir des rancœurs, de perfides pensers.
Ma folie d’autrefois, dans mes jeunes années,
D’une fille de rien, sur la couche traînée,
Ma raison, ma vertu, ma fierté, déshonneur !
M’a poussé vers le vice et, craignant les rumeurs,
J’ai caché cet enfant, fruit de ma turpitude
Afin de protéger contre la multitude
La mère qu’on aurait lapidée sans merci,
Ma réputation sauvegarder aussi.
Revenu vers ma femme en des rapports intimes,
Je lui donnai deux fils, héritiers légitimes.
Les dangers révolus je repris au foyer
L’enfant de mon amour occulte et dévoyé.
Mais les années s’écoulent et les enfants grandissent
Et grandit avec eux l’égoïsme et le vice.
Tes deux oncles jaloux, sans âme et sans amour
Pour le désespérer le querellaient toujours.
Lorsqu’on vint à parler de mon pauvre héritage
Il ne fut point question de penser au partage.
À nos biens, dirent-ils, tu n’auras point de part,
Disparais loin de nous, chien, cloporte, bâtard.

MYRIAM

Comme c’est gentil !

JEPHTÉ

                               Oui, c’est vraiment charitable !

GALAAD

De contrer leurs desseins je ne fus point capable.
Vers le pays de Tob mon enfant rejeté
S’enfuit devant ses frères.

MYRIAM

                                       Hélas ! Pauvre Jephté !

GALAAD

Depuis ce jour de deuil et depuis cet outrage
Il ne me fut permis de revoir son visage.
J’appris que sous sa tente un enfant lui est né ;
Son épouse, Rachel, une fille a donné,
Mais, fragile et souffrante, la malheureuse femme
En lui offrant la vie rendit à Dieu son âme.

MYRIAM

Je comprends mieux pourquoi ces oncles scélérats
Furent devant mes yeux traités comme des rats.

JEPHTÉ

Ainsi, pauvre Myriam, tu vécus dès l’enfance
Sans autre enseignement que l’âpre violence.
Car je n’ai point reçu dans mon humble taudis
Que des hommes perdus, des voleurs, des bandits.

MYRIAM

Et dans ce lourd désert écarté de la ville
Tu me tins loin des bourgs aux murailles hostiles.
J’appris l’art des combats : à frapper de mes poings,
À jeter dans ma fronde mille pierres au loin,
À lancer une dague, à tenir une épée,
– Enfant, je préférais bercer une poupée. –
Sans amies j’ai vécu mon dix-huitième été.
C’est la vie de Myriam, la fille de Jephté !
Que me sert d’être belle et d’appeler l’envie ?

JEPHTÉ

Ne pleure pas, Myriam, je veux changer de vie.
Courir comme un brigand, je ne désire plus.
Nous sommes tous les deux du peuple des élus ;
Je l’avais oublié. Avec indifférence
Je reçus de mes frères la plate doléance,
Mais Galaad, flanqué de deux ou trois anciens
Monta jusques à moi en vue d’un entretien.
Il dévoila son cœur et ses regrets sincères.
Je méprisai Lothan et j’écoutai mon père.

GALAAD

Au pays d’Israël, par les vaux et les monts
Nous subissons la guerre contre les fils d’Ammon.
Ces maudits étrangers nous humilient sans cesse.
Leurs princes et leur roi chaque jour nous oppressent.
Nos plus vaillants soldats en sont terrorisés ;
Nous avons combattu, nous sommes épuisés.
Pour secourir tes frères tu n’étais point docile,
Alors, j’ai rencontré les anciens de la ville :
« Je connais le seul homme qui nous peut délivrer,
Il vit dans les écarts, il nous faut le trouver
Et parler à son cœur. C’est un homme intraitable. »

MYRIAM

Vous vîntes à Jephté, spadassin redoutable.

JEPHTÉ

Ma fille, tu connais ce qui est arrivé :
J’ai retrouvé mon père par le mal éprouvé.
« Embrassons-nous, dit-il, et luttons tous ensemble.
Soyons unis, nous attaquons, l’ennemi tremble.
Abandonnons enfin les ires d’autrefois. »
Nous prêtâmes serment au nom de notre foi.

MYRIAM

Voilà donc le bandit devenu capitaine !

JEPHTÉ

Le vieux brigand est mort, la chose en est certaine ;
Le voici qui s’engage à servir l’Éternel
Et frapper de l’épée pour son peuple, Israël.
Mais je ne connais rien de sa sainte exigence
Et voudrais près de Dieu racheter mes offenses.

(apercevant Baalhakim)

Mais quel est donc cet homme ?

Scène III

JEPHTÉ – MYRIAM – GALAAD – BAALHAKIM

BAALHAKIM

                                               Baalhakim, serviteur,
Le roi d’Ammon m’envoie près de vous, mon Seigneur.

JEPHTÉ

Du roi d’Ammon, c’est vrai, j’attendais son message.
Votre roi, je l’espère, est un souverain sage.
Je souhaite trouver la paix chez ce païen.
Amis, laissez-nous seuls, si vous le voulez bien.

(Sortent Myriam et Galaad.)

© 2024 Lilianof

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