Scène IV
Les mêmes – MYRIAM
Voix de MYRIAM
Chantez, chantez
Qu’il soit exalté
Car il est le Dieu de nos pères.
Louez, louez
Le Dieu d’éternité
Des prodiges il opère.
(Elle apparaît sur scène, chantant et dansant.)
Il est notre grand guerrier.
Il est notre bouclier.
NAZAR
Par Baal ! Cette chipie pousse l’outrecuidance
À venir à la mort par des chants et des danses.
De nous narguer, en somme, elle fait tout un art.
MYRIAM
Pardonnez-moi, messieurs, si je suis en retard.
La séparation, les longues embrassades,
On n’en finit jamais avec les accolades.
(voyant l’idole renversée)
Vous n’avez toujours point dégagé cet affreux.
Tu es encor couché ! Lève-toi, paresseux !
Ce monument ruiné par la ronce et le lierre,
C’est ça le grand Milcom que partout l’on vénère ?
NAZAR
C’est Moloch, s’il vous plaît, ne mélangeons pas tout,
Et vos plaisanteries ne sont pas à mon goût.
MYRIAM
Votre humour, il est vrai, non plus ne me plaît guère,
Mais j’aime ce mouton quand il broute la terre.
NAZAR
Le feu vous servira de brûlante leçon.
Vous devez avoir peur.
MYRIAM
Louez, louez,
Chantez, chantez…
NAZAR
Ah ! Changez de chanson !
MYRIAM
Père, tu es venu pour soutenir ta fille
Car cet événement n’est pas une broutille,
C’est le jour où Myriam s’offre à son créateur
Et pour tous ses péchés trouve le rédempteur.
Myriam disparaîtra, masquée par la fumée,
Vous tous verrez sa chair mortelle consumée.
Vous, Jéred et Nazar, étiez-vous bien certains
Qu’à votre rendez-vous je posais un lapin,
Qu’effrayée je fuyais devant la mort cruelle ?
Mais je n’ai point manqué au devoir qui m’appelle.
Votre fête, sans moi, n’aurait pas réussi.
Vous m’avez attendue, chers amis, me voici.
NAZAR
Peste de la ribaude !
MYRIAM
Ribaude, osez-vous dire ?
Vilain petit barbu, votre raison chavire.
NAZAR
Je vous hais ! Je vous hais ! Finissons-en ! Allez !
Il est l’heure passée de la faire brûler.
MYRIAM
Verrez-vous mon esprit au ciel monter ?
NAZAR
J’enrage !
D’où lui vient cet aplomb ? D’où lui vient ce courage ?
JEPHTÉ
Ô Seigneur ! Prends pitié, vois-tu mon désespoir ?
Myriam devrait aussi me haïr en ce soir.
C’est moi qui l’ai livrée à ces hommes avides,
Faux prêtres, faux prophètes, ravisseurs et cupides.
Myriam, pardonne-moi, je mérite la mort.
MYRIAM
Père, ne tremble pas, relève-toi, sois fort !
À l’ennemi ne donnons pas la jouissance
De voir notre douleur, et c’est lui faire offense
Qu’affronter le supplice avec un cœur joyeux.
Approche, que j’essuie les larmes de tes yeux.
JEPHTÉ
Précieuse Myriam, jeunesse merveilleuse,
Tu aurais mérité une vie plus heureuse.
MYRIAM
Ne vois-tu pas briller dans mes yeux le bonheur ?
Je m’en vais combattant pour le nom du Seigneur.
Et toi, mon beau Zakan, ne dis-tu rien ?
ZAKAN
Je t’aime
Que ne puis-je pour toi mourir à l’instant même !
MYRIAM
Ne pleurez pas, je vole et monte vers les cieux,
Vous verrez ma fumée s’élever jusqu’à Dieu.
Mais n’oubliez jamais Myriam, la bienheureuse,
La vierge tant aimée, l’agréable chanteuse.
N’oubliez pas Myriam, la fille du bandit,
La fille qu’on lapide, celle que l’on maudit,
Gourgandine, dit-on, au mal abandonnée,
Pécheresse éplorée, cependant pardonnée.
J’ai trouvé le repos dans les bras du Seigneur,
De la mort, de l’enfer, j’ai perdu toute peur.
JEPHTÉ
Nous ne t’oublierons pas, vierge tendre et fidèle
Qui pour tous nos enfants servira de modèle,
Exemple de courage, parfaite en piété.
Toujours on chantera la fille de Jephté.
NAZAR
Finissons-en ! Assez de plates jérémiades !
MYRIAM
Mais soyez donc patient. Je monte à cette estrade
Où vous pourrez enfin de moi vous divertir
Et régaler vos yeux en me voyant rôtir.
(Elle monte sur le bûcher, chantant et dansant.)
Louez, louez,
Chantez, chantez…
NAZAR
Qu’attendez-vous, Jephté, pour lier votre fille ?
JEPHTÉ
Je ne pourrais…
MYRIAM
Je suis une enfant bien gentille.
À ce poteau de bois pourquoi donc m’attacher ?
Je ne bougerai pas, debout sur ce bûcher.
(Zakan monte à son tour sur le bûcher.)
Que fais-tu là ?
ZAKAN
Depuis longtemps le cœur me brûle.
T’aurais-je abandonnée à ce feu, sans scrupule,
Et regardé mourir comme ces spectateurs ?
Qu’importe la fournaise, qu’importe son ardeur !
Je t’aime et ne veux pas simplement te le dire,
Je veux tout partager, ta vie et ton martyre.
Nous partirons tous deux vers le même caveau.
MYRIAM
Ici, dans un instant, il va faire très chaud.
Pars, il est encor temps, ne fais pas l’imbécile.
Quoi ? Mourir avec moi ! Sacrifice inutile !
NAZAR
Deux victimes pour une ! Moloch sera ravi.
Moloch a faim de chair, il s’en trouve assouvi.
(Zakan et Myriam s’étreignent pendant que Nazar allume le feu. Survient Asaël qui, comme au premier acte, éteint le bûcher.)
© 2024 Lilianof
https://lilianof.fr
https://www.thebookedition.com/fr/765_lilianof
https://www.publier-un-livre.com/fr/recherche?q=lilianof
https://plumeschretiennes.com/author/lilianof
https://vk.com/lilianof
