Scène II
KÉZIA (à l’écart) – MANASSÉ – NAZAR
NAZAR
Mon bon roi Manassé, quel bel acte de foi !
Les dieux de Canaan ouvrent leurs mains vers toi.
Des étoiles des cieux vois toutes les armées
De ton autel d’airain absorbant la fumée.
Te voici consacré par le soufre et le feu,
Tu t’es montré servile et fidèle à leurs yeux.
De ta dévotion quel puissant témoignage :
Tu leur offris un fils à la fleur de son âge !
Pour gagner leur faveur tu n’as point hésité.
Mes dieux te combleront, car tu l’as mérité.
Ne veux-tu pas l’honneur, l’amour et la puissance,
Des princes et des rois la pleine obéissance ?
MANASSÉ
Oui, Nazar, je le veux. Je leur ai tout donné :
Répudié ma reine, brûlé mon premier-né,
Mes plus loyaux sujets offert en sacrifice
Et de verser le sang j’ai fait tout mon délice.
Tes dieux ont fait de moi un tyran sans pitié.
J’ai foulé sous mes pas la plus pure amitié.
J’ai fait assassiner sur un coup de colère
Des enfants innocents sur le sein de leurs mères.
Je devrais ressentir la honte et le remords
Mais mon âme assoupie ne me trouve aucun tort
Car j’ai tordu le cou même à ma conscience.
KÉZIA
Que n’ai-je entre mes mains pour ma juste vengeance
Une lance acérée pour les percer tous deux !
Que ne puis-je en leur dos enfoncer quelque épieu !
Je dois venger Joël. Que Dieu soit mon épée
Qui leur fende les os, une arme bien trempée !
NAZAR
De conscience, ami, tu n’as plus, c’est normal.
Tu ne sais discerner ni le bien ni le mal
Et sur tes sentiments n’as plus la moindre emprise
Car tu n’avais qu’une âme et les démons l’ont prise ;
Tu n’as plus d’autre choix que de leur obéir.
Garde-toi malheureux, surtout de les trahir
De peur qu’en le shéol ils ne te précipitent.
Ce qu’ils ont ordonné va le faire au plus vite.
Aujourd’hui, certains faits tu devras accomplir.
Dois-je les rappeler ? Ésaïe doit mourir.
Souviens-toi que Judith, ma fille et ta maîtresse,
Ne manque d’oublier tes vœux et ta promesse.
MANASSÉ
À Judith j’ai promis de lui rester soumis
Mais au pied de mon père moribond j’ai promis
Un vœu que tous les dieux font peser sur ma tête :
J’ai juré de toujours protéger le prophète,
Imagine, Nazar, en mon cœur quel tourment !
Pourtant, j’ai décidé de briser ce serment.
KÉZIA
La promesse à son père ! L’infâme ! Le parjure !
De son cœur qui pourrait réparer la souillure ?
NAZAR
Enfin, pour assouvir tes viles passions
N’ai-je pas imposé comme condition
Lémeth étant bannie, que ma fille soit reine ?
MANASSÉ
Ta fille régnera, ne te mets pas en peine.
Comme l’on craint les dieux le peuple la craindra
Et le vin du pouvoir toujours la grisera.
KÉZIA
Pourrions-nous espérer de pire souveraine ?
Souvenir d’Athalie, la perfide murène !
Magicienne impie, monstre assoiffé de sang,
Tout comme Manassé, tuant des innocents.
Quel beau couple royal ! Quels beaux noms pour l’histoire !
Que des saints de Juda s’en grave la mémoire !
NAZAR
Et Kézia ?
MANASSÉ
Quoi Kézia ?
NAZAR
Que penser de son sort ?
L’épouse de Joël mériterait la mort.
Elle s’est opposée au pieux sacrifice,
Offert aux dieux sacrés. Quel sera son supplice ?
MANASSÉ
Je réserve à Judith le soin de la tuer.
Je la vois comme un lion sur elle se ruer.
KÉZIA
Je ne donnerais pas de mon âme une pite.
Loin de cette furie sachons fuir au plus vite.
NAZAR
Pour la foi de ton peuple il faut un bon pasteur :
Je veux être grand prêtre et sacrificateur.
Au temple de Sion, je veux que tu m’installes.
MANASSÉ
Au temple de Sion ? Quelle étrange cabale !
Ce temple est réservé au seul Dieu d’Israël.
Quel culte y célébrer hormis à l’Éternel ?
Y placer d’autres dieux ne se peut entreprendre.
NAZAR
Mon ami, qu’il te faut donc de temps pour comprendre !
Le peuple, s’il nous voit son temple abandonner,
Ta lourde apostasie ne saura pardonner.
Mais si de tous les dieux tu fais un beau mélange,
Les dévots ignorants te prendront pour un ange.
Un peu de paganisme ajoutons à la loi
Et voici tout Juda confondu dans sa foi.
C’est de tous les démons l’éternel stratagème
De mêler l’hérésie à la vérité même.
MANASSÉ
Tu crois ?
NAZAR
Les Juifs pieux n’y verront que du feu.
C’est ainsi.
KÉZIA
Ce Nazar est un fou furieux !
NAZAR
Et puisque tu es roi, ma fille souveraine,
Je désire être prince.
MANASSÉ
Je te donne les plaines
Et le val du Jourdain, jusqu’à la morte mer.
NAZAR
Ajoutes-y du sud les immenses déserts
Par ma propre magie je les rendrai fertiles,
Et la sorcellerie m’est un don bien utile.
MANASSÉ
Tout ce que tu voudras.
KÉZIA
Peste soit du larron !
MANASSÉ
Que viennent faire ici ces gueux de bûcherons ?
(Entrent deux soldats épaulant chacun la moitié d’un tronc scié en deux. Sort Nazar.)
© 2025 Lilianof
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