Manassé·Rois, Soldats et Prophètes

Manassé – Acte V (2)

Scène II

KÉZIA – LÉMETH – ASARHADDON – MANASSÉ – Soldats

LÉMETH

Hélas ! mon pauvre roi, te voilà donc captif !

KÉZIA

Pauvre roi ! pauvre roi ! Le terme est abusif.
N’a-t-il pas mérité qu’on le batte et l’enchaîne ?
Car pour le libérer toute défense est vaine.

ASARHADDON

Allons, chien dépravé, vois ton nouveau palais.
Il est des plus spacieux, j’espère qu’il te plaît.
Ce lieu, jusqu’à ta mort sera ta résidence ;
Tu n’y demeureras pas plus d’un mois, je pense.

MANASSÉ

Que Bélial te dépèce et te brise les bras !
Que t’emporte la peste avec le choléra !
Vassal de Beelzébub, ignoble scolopendre !

ASARHADDON

Je te tiens prisonnier et je te ferai pendre,

Puis j’éparpillerai tes tripes à tout vent.

(Sortent Asarhaddon et les soldats.)

LÉMETH

Mon cœur désespérait de te trouver vivant.

KÉZIA

D’aucune affection mon âme n’est pourvue
Et je ne puis souffrir de cet homme la vue.

(Elle sort.)

Scène III

LÉMETH – MANASSÉ

MANASSÉ

Me voilà fort surpris en ces lieux de te voir
Et ta présence ajoute au poids du désespoir.
Qui donc t’a fait entrer dans ce palais, coquine ?
Voyez l’opportunisme et la ruse mesquine.
Voici donc de Lémeth l’infâme trahison !
Elle vient me narguer, ici, dans ma prison.
Pour conserver la vie, courtisane rouée,
Dans le lit du vainqueur tu t’es prostituée.
À ce prince étranger tu donnes de l’amour
Et pendant mes combats, toi, tu lui fais la cour
Afin de conserver ta couronne royale.

LÉMETH

C’est bien à toi qu’il sied d’enseigner la morale,
Toi qui sur les statues de dieux d’or et d’argent
Égorges des cochons et brûle tes enfants.
C’est toi qui m’as bannie, chassée, je te rappelle,
Désireux d’embrasser une femme plus belle.
Cependant, nous avons vécu tant de bonheur :
J’étais ta protégée, tu étais mon seigneur.
Je t’offrais des enfants qui forçaient notre joie
Et des commandements nous poursuivions la voie.
Te souviens-tu, mon roi, de ces jours glorieux
Où nous marchions tous deux sous le fanion de Dieu,
Pleins d’espoir élevant nos enfants dans la crainte,
Vaquant à nos devoirs sans murmure ni plainte ?
Le peuple t’acclamait comme un merveilleux roi,
Modèle à tous égards de justice et de foi.
N’as-tu point de regrets ? Ne veux-tu pas revivre
Ces temps où tu savais quel maître il fallait suivre ?
Tu pourrais être libre, à nouveau, Manassé.

MANASSÉ

Revivre ma jeunesse ? Retrouver mon passé ?
Et si je le voulais, si je l’espérais même…

LÉMETH

Si tu le désirais… N’oublie pas que je t’aime.
Supplie le Dieu si bon, implore son pardon.

MANASSÉ

Le pardon désormais me vient d’Asarhaddon.
À quoi servirait-il de lui demander grâce,
Devant un roi mortel me vautrer sur ma face ?
Un monarque insensible aux remords comme aux pleurs,
Potentat sans merci, inflexible seigneur !
Je n’attends nulle paix, ni d’un dieu ni d’un maître.
Pour changer mon passé il me faudrait renaître
Et rentrer de nouveau dans le sein maternel.
Sans espoir de retour, mon sort est éternel.

LÉMETH

Je te pardonne, moi, ma peine et ma souffrance,
La mort de notre fils. À quoi bon la vengeance.
Dieu t’aime malgré tout. Il voudrait te sauver.

MANASSÉ

Un trône dans l’enfer m’est déjà réservé.
Alors, pourquoi prier, implorer sa clémence ?
Ton Dieu ne m’aime pas. Insipide croyance !
Du Dieu qui me punit je ne veux être aimé.

LÉMETH

Sais-tu de quel esprit ton cœur est animé
Pour cultiver en lui ces sinistres pensées ?

MANASSÉ

Éloigne-toi de moi, prédicante insensée !

(Sort Lémeth.)

© 2025 Lilianof

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