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Quand les battants de la porte se ferment

Le soleil se couchait lentement derrière les collines de Jérusalem. Dans la cour du palais, les derniers rayons illuminaient les pierres dorées tandis qu’un léger vent faisait frémir les feuilles des amandiers en fleurs. Assis sur une marche, un vieil homme à la barbe blanche méditait, le regard perdu dans la lumière déclinante. C’était Salomon, le roi sage, qui aimait encore s’entretenir avec ceux qui venaient chercher conseil ou simplement partager un instant de réflexion.

— Salomon, lui dis-je doucement, est-ce vous qui avez écrit ces mots d’une grande beauté :

C’est le moment où le soleil et la lumière, la lune et les étoiles s’obscurcissent, et où les nuages reviennent juste après la pluie. C’est l’époque où les gardiens de la maison tremblent, où les hommes forts se courbent, où celles qui broient interrompent leur tâche parce qu’elles sont trop peu nombreuses, où ceux qui regardent par les fenêtres s’obscurcissent. C’est l’époque où les deux battants de la porte se ferment sur la rue tandis que le bruit de la meule diminue, où l’on se lève au chant de l’oiseau, où toutes les chanteuses s’affaiblissent. C’est l’époque où l’on redoute ce qui est haut, où l’on a des terreurs en chemin, où l’amandier fleurit, où la sauterelle devient lourde et où la câpre n’a plus d’effet, car l’homme s’en va vers son habitation éternelle et les pleureurs parcourent les rues. – Ecclésiaste 12 v.3-5

Il eut un léger sourire.

— Oui… Ce texte parle du corps humain qui s’affaiblit, des forces qui s’en vont, de la lumière qui se voile peu à peu. J’ai voulu montrer la beauté, mais aussi la fragilité de nos jours.

— Est-ce que vous aviez des exemples en tête quand vous avez rédigé ces lignes ?

— Oui, bien sûr. J’ai songé à Isaac, qui ne voyait plus, ce qui l’a rendu vulnérable à la tromperie de son fils Jacob. Ou à Jacob lui-même, qui, lui aussi, ne pouvait plus voir, et qui pourtant a choisi de bénir son petit-fils cadet au détriment de l’aîné.

Il marqua une pause, laissant le silence s’installer quelques instants. Ses yeux se perdirent dans les rayons du soleil qui filtraient entre les colonnes du palais. Le vent léger devenait plus vif.

— Mon père, David, a beaucoup diminué à la fin de sa vie. Il a failli être tué au combat ; il a compris qu’il devait accepter que c’était fini pour lui, la guerre. Il est des choses que nous ne pouvons plus faire avec l’âge, quand les forces s’en vont — comme l’a écrit le psalmiste. Il ne pouvait plus chanter, il avait perdu sa voix, lui, le chantre de l’Éternel ! Il ne parvenait même plus à se réchauffer…

— On ne souvient pourtant que de sa dignité.

— En fin de vie, il lui arrivait de chuter… Quand les jambes tremblent et que l’on se voûte, cela devient le danger numéro un. Éli l’a appris à ses dépens : il s’est brisé la nuque en tombant.

Je frissonnais en pensant à la fragilité de nos corps et à la vigilance que chaque pas exige avec les années.

— Et Barzillaï, connais-tu ce nom ? Il n’avait plus d’appétit pour savourer les mets de la table du roi. Il ne devait plus entendre très bien, et aurait eu du mal à apprécier la voix des chanteurs et des chanteuses. L’amandier qui fleurit, ce sont les cheveux qui blanchissent. J’ai écrit dans les Proverbes que c’était une comme une couronne : c’est vrai, cela impose le respect ! J’admire ce commandement qui invite à se lever devant ceux dont les cheveux ont blanchi, en signe d’estime.

— Oui, quelle belle attitude ! Il faut respecter nos seniors.

— Nos seniors ?

— Ah oui, j’oubliais ! C’est un terme moderne. On appelle ainsi les vieillards, les vieux, aujourd’hui.

— Alors je suis un senior du Seigneur !

Il a de l’humour, Salomon ! Je décidai de la prendre à son propre jeu en lui posant une devinette :

— Pourquoi pense-t-on qu’Adam, Mathusalem ou Noé étaient d’excellents nageurs ?

— ???

— Parce qu’ils étaient avancés en nage !

Salomon esquissa un petit sourire.

— Plaisanterie mise à part, j’ai remarqué l’espérance de vie était beaucoup plus élevé avant le déluge. Adam 930 ans, Mathusalem 969 ans, Noé 950 ans… alors que Moïse mourut à 120 ans ! Pourquoi une telle différence ?

— Les conditions de la Terre étaient différentes, expliqua Salomon. L’air était plus pur, le climat plus favorable, et les maladies moins présentes. Dieu permettait aux hommes de vivre plus longtemps pour accomplir Ses desseins et multiplier la population. Après le déluge, les dangers se sont accrus, les maladies et les conflits se sont multipliés, et la durée de vie humaine s’est réduite progressivement.

Je restai silencieux un instant. Même avec des siècles devant eux, les hommes restaient soumis à la fragilité humaine et dépendaient uniquement de la fidélité de Dieu.

— Tu vois, ajouta Salomon en posant ses yeux sur moi, la vie est brève, mais chaque génération porte ses leçons. L’âge nous fait perdre des forces, certes, mais il nous offre aussi une sagesse unique que rien ne peut remplacer.

Je hochai la tête, profondément touché, en comprenant que derrière les histoires et les chiffres, c’était la même leçon de respect, d’humilité et de gratitude que l’on retrouvait toujours.

Quand les battants de la porte se ferment, Dieu reste le même.

Alain Maurino


J’ai été jeune, j’ai vieilli, jamais je n’ai vu le juste abandonné…
— Psaume 37.25

Jusqu’à votre vieillesse, je serai le même… je vous soutiendrai.
— Ésaïe 46.4

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