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Aux si belles Plumes Chrétiennes

Il m’est arrivé quelque chose de merveilleux ce matin, il faut absolument que je vous raconte !

J’étais dans ma camionnette toute décatie qui fait parfois plus de bruits que la louange que j’écoute (et que j’écoute pourtant à fond !). Je ne sais pas de quoi j’ai l’air, tous les matins, vu de l’extérieur, mais j’imagine que je suis une sorte de vacarme cabossé, perçant à toute vitesse (et bien volontiers) le calme impérieux du petit jour… sauf que ce matin, j’avais fait le choix de ne pas mettre de musique et comme pour présager de quelque chose, la camionnette qui habituellement aime jouer ses propres mélodies chaotiques semblait elle aussi bien silencieuse…

Dans cet instant paisible, filant à travers les grands champs gonflés par l’orgueil de l’annonce du printemps, prêts à éclater en mille pétales de toutes les couleurs, je me suis mis à réfléchir au thème du défi proposé par David. J’ai donc saisi mon cerveau à deux mains et j’ai commencé à le tordre dans tous les sens pour en extraire quelque chose. J’ai souffert un moment de cette mutilation artistique jusqu’à ce que quelques idées me viennent. C’est fou comment les idées se présentent, non ? On croit souvent qu’elles sont le résultat d’un effort intellectuel, mais je trouve qu’elles sont plutôt comme le pollen des graminées : des milliers de petites graines qui dansent dans l’air de nos paysages intérieurs, auxquelles on s’expose un peu au hasard, les laissant s’accrocher à nous pour les transporter ailleurs…  Bref ! Les idées fusent : des bonnes, des moins utiles, des que je garde pour autre chose, des que j’abandonne tristement estimant qu’elles appartiennent à quelqu’un d’autre, quand soudain, je me mets à penser à vous ! Vous : les auteurs de plumes chrétiennes.

Ma camionnette continue en ligne droite, mais j’ai l’impression d’avoir pris un grand virage, comment ai-je atterri là ? Je n’en sais rien, mais je poursuis avec joie l’itinéraire que mon esprit propose, à la boussole de ce sentiment fraternel qui m’envahit. Et c’est là que la chose se produisit.

Pourquoi est-ce que tout a commencé avec Lilianof ? Pas la moindre idée ! Mais quoi qu’en fût la raison, c’était bien son image, projetée là sur mon parebrise. Pourquoi était-il là ? Que faisait-il ? Il écrivait, assis à son bureau. Une sorte de petit bureau de bois, carré, aussi sobre que lui, vide du superflu mais chargé de l’énergie de milles créations, vieilli d’avoir si pleinement existé. Je fronçais un sourcil : la scène semblait presque trop propre à mes yeux, moi qui aime déborder de tout. J’approchais donc ma tête pour tenter d’en capter tous les détails et je me demandais comment j’avais pu passer à côté de cette expression sur son visage : c’était une sorte de sourire accroché à ses lèvres. Ce n’était pas un sourire de photo de vacances, le résultat quasi-mathématique d’un « cheese » qu’on arrache de force et qui fend le visage tout entier pour finalement ne pas dire grand-chose. Non, c’était un petit sourire en coin, un sourire amusé. J’ai d’abord pensé qu’il était en train d’écrire quelque chose d’à la fois drôle et sophistiqué, comme j’ai eu l’occasion de le lire dans une de ses pièces de théâtre. Piqué par la curiosité, je jetais un coup d’œil rapide à la feuille qu’il tenait dans sa main gauche pour tenter d’y lire quelque chose, pour constater avec étonnement qu’il n’y avait rien. Pas un mot… À quoi souriait-il alors !?

En observant encore quelques secondes ce petit rictus énigmatique, la réponse me parut d’une évidence implacable : il souriait à la vie. C’était un sourire à peine visible mais qui n’en pensait pas moins. Il racontait comment, après tant d’années, parfois paisibles, parfois amères, jamais plates, l’écrivain à la plume ancienne avait appris à voir clair dans le petit jeu de la vie. Il la voyait arriver de loin maintenant, elle et ses petits stratagèmes pour nous tirer des larmes glacées, ses petits pièges pour parvenir à se nourrir de nos idées noires, il les connaissait tous par cœur. Il n’avait plus peur. La peur était devenue une aventure, la colère de la vie, l’occasion d’une bonne blague, le Spleen de l’univers, l’annonce d’un éclat de rire imminent.

J’étais submergé de tant de joie de vivre, mais je n’ai pas eu le temps d’y réfléchir davantage car l’image disparut pour céder soudainement sa place à une autre.

C’était une femme aux cheveux longs et bouclés, accoudée à un large bureau de classe. Une enseignante de collège aux lunettes en forme de demi-lune : G E Dixon. En voyant les lunettes j’explosais de rire ! Non pas pour me moquer, pas du tout même ! Mais parce que j’ai toujours considéré les lunettes en forme de demi-lune comme l’expression de l’enseignante idéale. À moitié ronde, pour exprimer une douceur intérieure infinie, comme un fondement immuable, la promesse que quoi qu’il puisse être dit, fait ou pensé : ce sera nécessairement en vue de faire du bien. Mais aussi une ligne droite en plein milieu, pour avertir que : non, la douceur ne prendrait pas non plus le pas sur la sincérité ! À ce stade, je repensais aux différents défis qu’elle avait proposés jusque-là et qui prenaient tout à coup une toute autre valeur. Parce que, finalement, un défi, c’est une sorte de contrôle, d’interro surprise. Un défi, ça veut savoir où tu en es, ça veut faire le point, ou plutôt, ça veut que tu fasses le point sur toi-même. Et quelque part, G E Dixon avait joué les institutrices ces derniers mois, pas pour connaitre nos capacités littéraires, mais pour nous permettre d’exprimer les sentiments de nos cœurs.

Je me rendais compte, à ce moment-là, qu’on se laisse souvent croire que la vie se déroulera un peu toute seule, d’elle-même, sans vraiment nous demander d’effort. Mais, les défis qui avaient été donnés, je le comprenais ce matin, c’étaient des demandes d’efforts. Parce qu’il ne suffit pas d’exister pour vivre ! Il faut vouloir faire l’effort de vivre pour vraiment exister. Et si je n’avais pas été poussé dans des défis littéraires, je n’aurais pas su ce que mon cœur avait à dire, avait à me dire. Je l’aurais fait taire encore, lui imposant un nouveau jour de solitude sans même m’en rendre compte… G E Dixon dut s’apercevoir que j’avais compris car elle se mit à sourire d’un air satisfait. Je lui fis un petit signe de tête discret pour la remercier, ce qu’elle fit semblant de ne pas voir, à la place elle laissa échapper un petit soupir agacé comme pour me dire : « Et tache d’être moins feignant à l’avenir ! Ne vis pas sur tes acquis ! Va toujours plus loin ! » Toutes ces phrases que tous les profs répètent en boucle, mais que seuls les vrais enseignants disent avec sincérité. Elle se replongea dans ses tonnes de paperasses et l’image s’évapora comme par magie.

Brusquement, elle fut remplacée par une tâche de couleur qui explosa sur la vitre transparente du véhicule. Bon… je suis daltonien, alors pour moi les couleurs, c’est un peu compliqué, mais, de mon point de vue, c’était une sorte de grande masse bleu-outremer teintée de petites tâches blanches et violettes qui tourbillonnaient rapidement à l’intérieur. Elle était, à elle toute seule, un véritable décor rempli d’allégresse et de poésie : David. La chose prit la forme d’un corps grand et mince, le genre de corps fins qui courent toujours de droite et de gauche, comme s’ils cherchaient quelque chose, sans pour autant avoir besoin d’aller vraiment quelque part. Une mélange de mille activités, de mille envies, de mille mouvements, de mille projets et de mille accomplissements, le tout contenu dans un être unique. Forcément, ça ne peut que générer de la vie, et en abondance !

C’était beau, si beau que je ne cherchais même pas à savoir si j’étais supposé en comprendre quelque chose.

D’un seul coup, l’image de la silhouette élancée éclata pour devenir une troupe de trapézistes qui virevoltaient sous mes yeux ébahis. Je les contemplais, abasourdi, fasciné, comme un enfant au premier rang d’une salle de cinéma, les yeux rivés sur un écran surdimensionné, obligé de se laisser frapper par chaque image. De temps en temps, l’un d’eux effectuait une pirouette physiquement impossible et atterrissait avec légèreté pour proclamer des mots. Juste des mots. Sans fioriture, sans artifice inutile. Les acrobates étaient eux-mêmes l’enveloppe nécessaire, il n’y avait besoin de rien d’autre. Les mots étaient, certes, simples, mais ils les proclamaient avec aplomb, en me regardant droit dans le yeux. De toute évidence, ils savaient ce que signifiaient ces mots-là, ils en connaissaient la véritable définition. Cela m’impressionna, et m’attrista un peu aussi. Étais-je capable, moi, d’en définir un seul ? Même le mot le plus simple de mon vocabulaire ? Pour moi tous les mots sont des mystères, du coup, j’enviais cette poésie dans leurs mouvements et dans leurs regards, dans les différents tons de leurs diverses voix… dans toute cette simplicité mouvante et variée.

Tout s’évanouit en une fraction de seconde et j’en profitais pour effectuer mon créneau. J’étais arrivé.

Au moment d’éteindre le moteur je vis passer un homme dans un grand caban marron. Il était un peu courbé, il affrontait de multiples vents glaciales qui lui fonçaient continuellement dessus  : Yves Prigent. Il leva la main et me sourit pour me souhaiter bonne journée. J’en fis de même, joyeusement, et je remarquais alors que ce n’était pas lui qui luttait contre les bourrasques, c’était l’inverse, elles luttaient contre lui. Elles donnaient l’impression de vouloir l’empêcher d’aller de l’avant, mais, clairement, elles ne parvenaient pas à grand chose. Il se mouvait comme une statue de plomb au pas lent mais précis, avançant dans une direction visiblement préconnue, sans broncher, stable comme une montagne, lourd comme un océan.

Je dus probablement soupirer trop fort car mon souffle emporta cette dernière vision vers une autre dimension.

J’avais mille questions. Qu’est-ce que le Seigneur désirait que je saisisse ici ? Que fallait-il en comprendre ?

PlumesChrétiennes est un blog. Un, parmi des milliers d’autres, des millions d’autres même, très probablement. Mais est-ce tout ce qu’il est ? En y repensant, nous partageons, dans ce lieu commun, les choses les plus profondes, les plus intimes, parfois les plus précieuses que nous ayons… avec de parfaits inconnus.

Alors, je me pose la question : et si c’était ça la définition de l’amitié ? Une confiance aveugle en « autrui » ? L’espoir, ou plutôt, la conviction d’être réceptionné par des inconnus aux cœurs bienveillants qui ne laisseront pas notre âme tomber par terre. Des silhouettes virtuelles et inaperçues qui attraperont notre essence, pour ce qu’elle est, à la dernière seconde, et sans pour autant avoir besoin d’en connaitre chaque habitude, chaque expression, chaque routine. Parce qu’après tout, nous ne sommes pas que des quotidiens faits de métro-boulot-dodo, nous sommes la poésie que nous semons.

Aussi, je voulais dire simplement, à vous : auteurs et visiteurs de ce blog, à vous : mes amis inconnus : Merci et soyez grandement bénis.

19 commentaires sur “Aux si belles Plumes Chrétiennes

  1. Merci à toi Jake pour ce texte très touchant, à la prose magnifique, qui rend un bel hommage à ce site ! J’aime beaucoup l’idée de l’amitié comme « la conviction d’être réceptionné par des inconnus aux cœurs bienveillants qui ne laisseront pas notre âme tomber par terre » et cette phrase qui vient en conclusion : « Nous sommes la poésie que nous semons » !

    Aimé par 3 personnes

    1. Merci pour ce retour plein d’amour fraternel (comme toujours !)
      Tu es témoin que j’ai hésité à publier, je ne savais pas comment ça allait être perçu 😆 Je me lance dans des trucs des fois… bref ! J’ai vu que Monsieur Lilianof a déposé un « like » discret d’approbation, donc je respire à nouveau 🤣 J’espère qu’Yves et G E Dixon seront tout aussi magnanime ! Je ne voulais vexer personne avec ce texte, bien au contraire !

      Cette définition de l’amitié c’est ce que le Seigneur travaille en moi depuis plusieurs semaines (notamment au travers de la relation David/Jonathan). Je crois qu’il y a un vrai cri de son coeur de Père qui nous est adressé en ce moment particulièrement. Il veut notre unité et notre réconciliation, que nous soyons prêts à nous aimer. Ce n’est pas nouveau tu me diras, c’est vrai, mais je sens comme une urgence. J’ai cette impression qu’il veut me dire (personnellement) que si je ne sais pas être ami de mes frères et soeurs je ne saurais pas non plus être « ami de Dieu ». Puis j’ai eu cette « vision » d’enfants dans une cour de récré, pour qui devenir amis ne prend qu’une fraction de seconde, c’est une décision, un choix qu’ils font : « tu veux jouer avec moi ? » « oui » paf, c’est fait. Nous les adultes nous tenons absolument à ce que l’amitié soit un résultat d’années de confiance éprouvée. Ce n’est pas faux en soi, mais la plus belle confiance c’est celle qui ne soupçonne pas le mal, c’est celle de l’enfant, c’est celle qui s’offre d’entrée sans avoir besoin qu’on lui prouve qu’elle a raison de le faire. Quand Jonathan a entendu et vu David pour la première fois, j’aime penser qu’il est « tombé amis de lui ».
      1 Sam 18.1
      David avait achevé de parler à Saül. Et DES LORS l’âme de Jonathan fut attachée à l’âme de David, et Jonathan l’aima comme son âme.

      Et si on tombait amis comme on tombe amoureux ? Dans un premier regard, dans une première rencontre, dans un poème échangé, dans un premier mail ? Se jeter dans le vide en croyant que l’autre en face vous réceptionnera, la confiance pure qui ne soupçonne rien d’autre que l’amitié réciproque… cette amitié me perturbe, je ne dis pas que je la comprends, ni même que je la vis, mais elle donne envie je trouve, non ?

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      1. Ta réflexion sur l’amitié est magnifique ! J’ajouterai que Dieu facilite les choses. Quand on est plein de son amour on donne spontanément son amitié à celui qui est notre frère.
        Jesus n’a-t-il pas dit :
        « Tous verront que vous êtes mes disciples si vous avez de l’amour les uns pour les autres. »
        Vive l’amour, l’amitié, le respect et la bienveillance !

        Aimé par 2 personnes

  2. Merci Jake pour cette belle prose, ces mots d’une grande beauté et d’une fine justesse! J’aime beaucoup moi aussi ta définition de l’amitié… j’ai la sensation d’avoir capté ton essence et j’en suis très touchée. Bien Amicalement!

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