Prose

Clématite ! Demain, je te cueillerai

Le bien-aimé descend dans son jardin de délices. Il vient, sautant sur les montagnes, bondissant sur les collines. Son regard se promène avec plaisir sur les fruits les plus excellents, il ne se lasse pas d’admirer la palette multicolore de ses chères fleurs, depuis tendre Violette qui se cache dans l’herbe, jusqu’au prestigieux Palmier Phoenix. Il hume avec délice le nard et le safran ; le roseau aromatique et le cinnamome, les arbres qui donnent l’encens. Là-bas poussent la myrrhe et l’aloès.

Il s’avance jusqu’à la fontaine. Ce n’est pas une fontaine ordinaire, mais une source d’eaux vives.

La voix du bien-aimé jardinier s’élève.

– Lève-toi, Aquilon ! Viens, Autan ! Soufflez sur mon jardin et que les parfums s’en exhalent !
Les grenadiers en fleurs, les rayons dégorgeant de miel, les palmes et les grappes tressaillent à la voix du grand jardinier, car la bannière qu’il déploie sur eux, c’est l’amour. Il connaît chaque branche, chaque fruit, chaque brindille.
– Mangez mes amis, buvez, enivrez-vous de mon amour !
– Ton nom est un parfum qui se répand, c’est pour ça que nous t’aimons ! clame l’amandier !
– Nous goûtons à la plénitude que tu nous apportes, ton amour vaut mieux que le nectar, chantent quelques marguerites. Combien tes parfums sont plus suaves que tous les aromates !

Leurs corolles, remplies d’adoration, démontrent l’amour qu’elles portent à leur jardinier. Il se penche vers celle qui a parlé et dépose tendrement une goutte de rosée sur un de ses pétales.

– Nous allons accueillir une nouvelle fleur. Il s’agit de Clématite. Je vais lui préparer une place près de toi, chère Marguerite. Elle s’y épanouira tellement bien.

Les fleurs explosent de joie à l’idée de recevoir Clématite auprès d’elles.
Le chêne balance ses branches doucement. Il sait que le grand jardinier voudrait recueillir un grand nombre de plantes dans ce parc où la moindre brindille ne meurt ni ne fane jamais. Il désire en sauver le plus possible. L’allégresse du maître s’infiltre dans la sève de chaque sycomore, chaque bouquet de myrrhe, chaque grappe de troène, comme un souffle puissant et revigorant.

– Où est-elle Clématite, en ce moment ? demande un crocus, exhalant le safran.
– Elle se trouve de l’autre côté, où elle dépérit, mais demain je la cueillerai.
– Comme elle doit être contente d’être plantée ici ! s’écrit un jasmin étoilé.
Le jardinier sourit.
– Tu avais hâte de venir ici, Jasmin ? Je n’ai pas eu cette impression lorsque je t’ai cueilli.
– C’est vrai, je ne me rendais pas compte. Je me cramponnais à mon mur de rocaille et dépensais toute mon énergie à rechercher un peu de lumière.

Au pied du pommier, le muguet éclate de rire en faisant tinter ses clochettes. Nul doute qu’il se rappelle sa joie quand il a découvert le jardin des délices. Soudain, il redevient sérieux. Il se souvient de ce moment difficile, quand il a fallu abandonner le coin dans lequel il poussait, juste avant de se laisser cueillir.

– Pauvre Clématite. Elle aussi doit s’accrocher à son lopin de terre desséchée pour que tu ne l’emportes pas encore. Pourtant, si tu lui as préparé une place ici, c’est qu’elle sait que ton amour est plus fort que la mort.
– Elle le sait, bien sûr. Elle boit avidement la rosée que je dépose sur son cœur chaque matin. Elle espère toujours après la pluie du ciel qui lui fait tant de bien, mais elle n’a jamais vu le jardin des délices. Elle sait juste qu’il existe, que je l’y attends, mais elle ne connaît rien d’autre que le terrain poussiéreux dans lequel elle est plantée.

Un voile de tristesse effleure le visage du bon jardinier.

– Chère Clématite… Le bûcheron qui règne là-bas l’a piétinée. Sa tige a été écrasée, mais elle a su se relever. Elle a résisté au vent, au soleil qui l’a brûlée, aux pieds qui l’ont foulée, elle a perdu de sa vigueur, mais elle est toujours là, avec ses quelques pétales froissés…
– Ce n’est pas très grave, commente le délicat Lys des vallées, moi aussi j’étais dans un état lamentable quand tu m’as cueilli, mais dès mon arrivée ici, tu m’as transformé.
– Tu as raison, Lys ! Moi, je t’ai toujours considérée comme une créature merveilleuse, même quand tu vivais là-bas, au milieu des épines, brûlé par le soleil.

Il se redresse et lève les bras vers le ciel.

– Demain, j’installerai Clématite ici. Voici, l’hiver est passé ; la grêle et l’orage ont cessé. Le temps de chanter est arrivé pour elle !

Comme si les plantes attendaient ce signal, le jardin des délices frémit d’exaltation dans un bruissement de feuilles. Les arbres se redressent et tendent leurs bourgeons vers le ciel, tandis que leurs racines s’étirent vers les sources d’eaux vives. Les fleurs se balancent, les pétales de velours palpitent. L’aubade de la forêt se fait entendre. Les figuiers embaument leurs fruits, et les vignes en fleur exhalent leur parfum. Le parc entier s’anime et explose dans un hymne d’allégresse !

Maintenant, le grand jardinier sourit au milieu de sa création.

– Les grandes eaux ne peuvent éteindre l’amour que j’ai pour Clématite et les fleuves ne le submergeraient pas, car mon amour est plus fort que la mort ! Demain, avant que le jour se rafraîchisse et que les ombres fuient, Clématite, je viendrai te chercher ! Je te cueillerai ! Puis, je te planterai dans mon jardin ! Afin que tu vives !

Eve Alpi
https://evealpi.wordpress.com/

Note de l’auteur : J’ai écrit cette nouvelle à l’occasion d’un concours: « Et si je mourais demain? » organisé par les éditions MLK. Je trouve qu’elle « colle » très bien avec le premier novembre (qui n’est pas la fête des morts, mais la fête des saints ! )
C’est au moment où ma maman était en train de partir auprès du Seigneur que je l’ai écrite.
Plus d’un tiers de cette nouvelle est composée de phrases, de groupes de mots ou de noms qu’on peut lire dans le Cantique des cantiques.

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8 commentaires sur “Clématite ! Demain, je te cueillerai

  1. Quel festival de couleurs et de senteurs, il se dégage une harmonie qui donne envie de visiter ce jardin des délices! Une très belle invitation à vivre éternellement dans l’Amour du grand Jardinier, merci Eve Alpi!:-)

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    1. Oui ! Merci Justine ! C’est tellement bon de pouvoir regarder les choses comme Dieu les voit !
      « Aujourd’hui nous voyons au moyen d’un miroir, de manière peu claire, mais alors nous verrons face à face »

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  2. Voilà un bien joli texte comme je les aime tant. Le neveu de quarante-quatre ans de mon mari vient de décéder après une longue maladie. J’aimerais pouvoir le placer sur mon blog avec l’autorisation de l’auteur. Est-ce possible ? Merci 🙂

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    1. Bien sûr ! Toute consolation est bonne à prendre quand on traverse la vallée de l’ombre.
      Nous avons perdu une petite fille dans notre église cette semaine et l’image de la petite fleur cueillie et replantée dans le jardin des délices m’a bien consolée. 😓

      Aimé par 1 personne

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