On lit pour savoir qu’on est pas seul.
Phrase tirée du film Les ombres du cœur
Cette phrase (entendue dans un film sur Lewis) m’est venu en tête en lisant Hors du ghetto, un regard évangélique sur les arts et la culture, de Paul Gosselin. Définitivement, ce livre nous rappelle que nous ne sommes pas seuls.

Il y a déjà quatre ans que j’ai découvert l’existence de ce livre, mais ce n’est que dernièrement que j’ai enfin pris le temps de me le procurer et de le lire (en version numérique). Et c’était exactement le bon moment. Durant ces quatre ans, j’ai eu le temps de découvrir un peu plus F. Schaeffer et d’autres qui ont beaucoup écrit sur le rapport entre les chrétiens et l’art. J’ai donc d’autant plus apprécié de retrouver dans ce livre (imposant) de larges citations de ces auteurs, car Paul Gosselin est un auteur d’une rare érudition, qui n’étale pas son savoir, mais l’utilise pour examiner avec justesse la vision biblique des arts et de la culture.
Un livre très riche
Pour comprendre les mécanismes qui ont pu entrainer la méfiance des milieux évangéliques envers les arts, l’auteur examine d’abord l’histoire de l’église. Cela offre un premier décentrage très utile. Il nous montre que le christianisme a fait ses premiers pas dans une culture où le néoplatonisme dominait amplement. Aujourd’hui encore, cette philosophie (qui affirme que l’âme doit se détacher du corps pour s’élever) est encore influente.
Il y a ensuite toute une partie passionnante sur les « identités ». Nul doute que la maîtrise en anthropologie sociale de l’auteur n’y ait pas pour rien. Il nous explique que chaque société s’identifie à une culture et que c’est au moyen de cette culture qu’elle construit son identité. Il s’arrête en particulier sur l’identification implicite des évangéliques à la culture de la classe moyenne conservatrice nord-américaine. Un constat facile à transposer à notre pays et qui a encore des effets aujourd’hui (au-delà de la question des arts). Le chapitre sur l’identification de la foi à la pensée positive chrétienne (liée à l’individualisme ambiant, ou encore à l’évangile de prospérité…) est d’une actualité un peu triste.
Une troisième partie, très riche elle aussi (et donc difficile à résumer dans un petit paragraphe), porte sur la Création. J’ai apprécié que l’auteur nous parle du mandat culturel et nous rappelle la définition biblique de la culture. Il note, citations bibliques à l’appui, que le problème ne se situe jamais au niveau du moyen d’expression choisi par l’artiste, mais dans son cœur. C’est un point fort du livre en général, l’auteur rappelle plusieurs fois aux artistes l’importance des disciplines spirituelles pour garder son cœur avant tout :
Les disciplines spirituelles sont donc d’une très grande importance dans la vie de l’artiste chrétien, car c’est grâce à elles qu’il pourra puiser la force afin de rester fidèle à son Seigneur lorsque surviendra l’échec le plus tragique ou le succès le plus enivrant, qui sont, somme tout, des épreuves équivalentes… Job semble un des rares personnages qui ait subi avec succès les deux épreuves. Chose certaine, de la perspective de Dieu, le succès matériel, qui est une des divinités les plus vénérées de notre siècle, est une idole creuse.
J’ai apprécié aussi ses petites parenthèses sur le souffle d’Eden, sur l’art abstrait (je comprends assez mal ce rejet violent de la part de certains chrétiens), ainsi que sur… l’humour.
Mais à ceux chez qui subsiste encore un doute à ce sujet, que Dieu puisse avoir le sens de l’humour, la preuve de ce fait est simple à faire et fort convaincante. Il suffit de regarder dans le miroir vers 5 heures du matin…
On trouve aussi pêle-mêle des chapitres sur la Chute, sur l’évolutionnisme et les sciences, sur le pouvoir de la parole, sur la question de la nudité, … mais je veux juste faire un détour sur le point central du livre.
Hors du ghetto
Comment se fait-il que la scène culturelle évangélique francophone soit un désert si stérile ? C’est le Sahara !
Après voir montré que le monde avait bien pénétré nos églises, l’auteur pose la question : et nous, comment pouvons-nous atteindre le monde ? La thèse de l’auteur est qu’il faut impérativement sortir du ghetto de nos églises et de la culture ambiante pour aller là où Dieu nous attend, chacun avec nos différences et la richesse de nos individualités. Attention, ce n’est pas un rejet de l’église, bien au contraire, l’auteur note même à propos de Lewis :
Par ailleurs, il faut souligner que Lewis, qui était anglican, a toujours assisté de manière régulière aux services d’une petite Église à Headington (Sayers 1994 : 227, 422). On peut penser que si Lewis a maintenu un témoignage chrétien solide jusqu’à nos jours en dépit de la diversité des influences qui l’entourait, c’est grâce en partie à une discipline simple, c’est-à-dire la participation régulière aux activités d’une Église normale.
Sortir du ghetto, vouloir ce que Dieu veut, se défaire du carcan des attentes des autres, voilà tout le programme.
On peut donner le conseil suivant à l’artiste chrétien : pour produire ou exprimer ta créativité, n’attends pas que ton Église locale te comprenne ou t’appuies. Dans certains cas, l’attente pourrait être longue, très longue… N’attends pas d’être compris, adulé, admiré, etc. Développe tes capacités ! Agis ! Explore ton talent, aiguise tes connaissances, tes techniques. Produis ! Garde aussi un esprit de tolérance et de pardon…
Les gens ont autant besoin d’images que de concepts (théologiques ou autres) pour s’ouvrir à l’Evangile. C’est une question de survie (je ferai peut-être un article sur cette question un jour). C’est peut-être là ce que nous faisons sur Plumes Chrétiennes, offrir des images, des mondes imaginaires, pour préparer les lecteurs à accueillir la véritable source de la beauté, à savoir Jésus-Christ ?
A moins que nous soyons, en fait, en train de nous placer dans un autre ghetto.
L’ironie du sort c’est que l’artiste sans point d’ancrage social aboutit à une relation curieuse avec son art. Puisqu’il ne cherche qu’à s’exprimer et n’accepte aucune contrainte que ce soit sur le plan du style ou du contenu, il se mire / s’admire dans son art. On aboutit, plus ou moins graduellement, au narcissisme. Et si l’artiste chrétien se coupe de l’Église, mais ne reste en contact qu’avec une poignée d’amis chrétiens qui comprennent, sans s’en rendre compte qu’il troc un ghetto contre un autre… S’il est tout à fait honnête, il devra admettre qu’il est devenu membre d’une clique aux intérêts plutôt étroits et non d’une véritable communauté.
« Ouille ! » (je cite l’auteur ici aussi). Notre orgueil et l’entre-soi sont d’autres obstacles que nous devons combattre lorsque nous sortons du ghetto. Voilà un sujet de prière pour nous ! Je l’ai toujours affirmé sur nos pages, le nombrilisme est tentant et le premier danger pour l’écrivain est non seulement de négliger les disciplines spirituelles (je préfère dire : moyens de grâce), mais aussi… d’arrêter de lire (des livres chrétiens ou non). Laissons C.S. Lewis conclure :
Je veux voir ce que les autres ont inventé. Et même, il n’y a pas assez des yeux de toute l’humanité. Je regrette que les bêtes brutes ne puissent pas écrire des livres. C’est avec joie que j’apprendrais quelle face présente le monde à une souris ou à une abeille. Et c’est avec un plaisir plus grand encore que je percevrais le monde olfactif chargé de toutes les informations et de toutes les émotions qu’il apporte à un chien. (…) Mais en lisant de la bonne littérature, je deviens un millier d’hommes et pourtant je demeure moi-même. Comme le ciel nocturne du poème grec, je vois avec une myriade d’yeux, mais c’est encore moi qui vois. Alors, comme dans la foi, l’amour, l’acte de morale et l’acte de connaissance, et je ne suis jamais plus moi-même qu’à ce moment-là.
LEWIS, C. S. (1965) Expérience de critique littéraire. Gallimard [Paris] 206 p.
Prenez donc le temps de lire ce livre de Paul Gosselin sur votre support préféré ! Et laissez lui votre petit commentaire, ça lui fera plaisir. Si vous ne le savez pas encore, cet auteur canadien est blogueur sur l’excellent site Samizdat (on y trouve des bonnes recettes pour le barbecue aussi bien que des réflexions sur les arts). Il nous offre aussi un catalogue impressionnant de livres numériques gratuits pour élargir nos horizons.
En effet, notre Seigneur a le sens de l’humour : quand il parle de l’homme qui coupe une bûche en deux, qu’il se chauffe avec la première moitié et qu’il se fabrique un dieu avec l’autre.
Cet ouvrage me paraît très intéressant.
J’aimeAimé par 1 personne
A reblogué ceci sur et a ajouté:
Merci pour la référence
J’aimeAimé par 1 personne