Babylone·Dimitri Plogrov·Théâtre

Dimitri Plogrov — Acte Premier (2)

ACTE PREMIER

Scène III

DOS PESOS – THÉOPHILE – PRISCILLE – APOLLOS – membres et sympathisants de l’église

APOLLOS

Vous reste-t-il encore quelque liqueur à boire ?

THÉOPHILE

Mais oui ! Liqueur de prune ou bien liqueur de poire ?

De quoi vous rafraîchir ou bien vous égayer.

DOS PESOS

Vous arrivez ainsi que les carabiniers.

APOLLOS

De mes émotions il me faut me remettre.
J’en ai même oublié ce rendez-vous, cher maître.

DOS PESOS

Apollos, conte-moi, que t’est-il arrivé ?
As-tu perdu ton âme ? On va la retrouver.

APOLLOS

Hélas ! Quel temps d’angoisse, frère, je viens de vivre !
Comme un pressentiment, une crainte terrible.
M’apprêtant à venir chez toi, selon nos plans,
J’entendis une voix dans mon cœur, c’est troublant,
Qui me dit : « Repens-toi ! Il est tard et je tremble.
Ne veux-tu pas qu’au ciel nous remontions ensemble ? »
Je roulai sans retard vers ma communauté.
Tout y semblait normal, à quoi bon s’inquiéter ?
Mais demeuraient en moi des sentiments étranges.
Alors, je conduisis l’église en la louange
Comme chaque dimanche. Et les mêmes chansons,
Et les mêmes cantiques. Enfin, nous avançons,
Je m’installe au pupitre et l’audience est prête
Quand retentit soudain le son d’une trompette.
Ne l’entendis-tu pas ?

DOS PESOS

                                   Nous faisions tant de bruit !
Trompette ni clairon n’entendis-je aujourd’hui.

APOLLOS

Il descendit d’en haut la voix grave et profonde
De l’archange, mon frère ! En moins d’une seconde
S’élevèrent aux cieux des centaines de corps.
Il régnait dans l’église une ambiance de mort.
Minute de silence qui parut éternelle.
Une ombre voltigeait sur la salle, irréelle ;
Enfin, on entendit éclater des sanglots
Et des torrents de cris se déversant à flots.
Mes paroissiens s’enfuient, tumulte, bousculade.
Mes cris ne purent point freiner cette escapade.
« Revenez ! Revenez ! Ce n’est pas terminé. »
Je suis demeuré seul, pasteur abandonné.
Je me mis à courir dans les rues, le front blême :
Suis-je le seul au monde avec un tel problème ?
Au travers de la ville, pénible vision,
Près de moi la panique et la confusion.
On courait en tous sens et partout on appelle
Un frère, un fils, un père. « Et ma femme, où est-elle ? »
On a vu des tramways rouler sans conducteur ?
On croit tomber le monde aux mains du destructeur.

DOS PESOS

Un seul a disparu parmi tous nos fidèles,
Un frère illuminé déployant trop de zèle.
Ainsi, collègue, il disait vrai. C’est arrivé.

APOLLOS

Une puissante église, un seul est enlevé !

PRISCILLE

C’est donc la fin du monde ! Hélas ! Que faut-il faire ?

THÉOPHILE

Trop tard pour en parler, mais trop tard pour se taire.

APOLLOS

Alors, pourquoi pas moi ? Ne suis-je point pasteur,
Berger de mon troupeau, remarquable orateur ?

DOS PESOS

Alors pourquoi pas nous ? Des peuples de la terre
C’est celui des chrétiens qui est laissé derrière !

THÉOPHILE

De deux hommes aux champs, d’un couple dans un lit,
– Au mont des Oliviers le Seigneur l’avait dit –
Un seul, un sera pris, l’autre, quelle misère !
Restera pour subir de l’Agneau la colère.

PRISCILLE

À quoi sert à présent notre prospérité ?

(à Dos Pesos)

Pourquoi n’avez-vous pas prêché la vérité ?

DOS PESOS

La vérité ! Voyons, qui l’aurait acceptée ?
Ainsi sont les brebis qui ne sont point flattées,
Vers des prés éloignés elles s’en vont brouter.

PRISCILLE

Pour réchauffer vos bancs il faut tout accepter !

DOS PESOS

Vous n’êtes les derniers à goûter mon breuvage
Et trouver l’herbe tendre en mes verts pâturages.
N’avez-vous pas reçu tout ce que j’ai promis ?

THÉOPHILE

Ô Laodicéens que le Christ a vomis !

PRISCILLE

Que faire, désormais ? Dites-le, mercenaire,
Car nous ne pourrons plus retourner en arrière.

DOS PESOS

Mercenaire ! Allez-y ! Votre guide et pasteur
Insultez-vous, madame ? Vous offensez sans peur
L’Esprit divin qui règne en moi !

THÉOPHILE

                                                  Votre imposture
Se révèle trop tard.

APOLLOS

                           Frères, les Écritures
Apportent des réponses à toutes nos questions.
Ne nous énervons pas. Cherchons la solution.

(Apollos cherche un texte dans la Bible.)

Apocalypse sept. Lisez, chère Priscille.
Notre Dieu pense à tout, gardez l’esprit tranquille.

PRISCILLE

 « L’un des vieillards me dit : d’où sont venus ces gens
Vêtus de robes blanches et d’un pur éclatant ?
Je réponds : tu le sais, mon Seigneur et mon maître.
– Ces saints qui, par myriades, on voit ici paraître,
Leurs robes ont lavé dans le sang de l’Agneau,
De la tribulation revenant. »

THÉOPHILE

                                        Que c’est beau !

PRISCILLE

« Face au trône de Dieu, nuit et jour ils le servent. »

THÉOPHILE

Que de ces temps affreux le Seigneur nous préserve !

PRISCILLE

 « L’Éternel dressera sa tente au milieu d’eux.
Le Seigneur essuiera les larmes de leurs yeux. »

THÉOPHILE

Que de pleurs il faudra !

PRISCILLE

                                   De larmes, de souffrance !

THÉOPHILE

Nous pourrions détourner du Maître la vengeance.

DOS PESOS

Cette promesse-là compte pour Israël.
L’avenir est scellé, nous n’irons pas au ciel.
Vivons donc sans souci dans le train de ce monde.

THÉOPHILE

Barboter comme porcs dans ce cloaque immonde !

DOS PESOS

Dans la vie d’ici-bas n’attendons rien des cieux ;
De cet ordre nouveau servons les nouveaux dieux !
Les années qui viendront seront fort difficiles
Mais je veux sur la terre finir mes jours tranquille.

THÉOPHILE

Moi, je chercherai Dieu. Je crois en son pardon.
Prends mon corps et mon âme. Je t’en fais l’abandon.

PRISCILLE

Je ne crains de périr sous les crocs de la bête.

APOLLOS

Nous n’avons écouté le son de la trompette,
Du cri des sentinelles n’avons fait aucun cas,
Nous en paierons le prix. Luttons donc ici-bas.

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