La cueilleuse au village

Depuis le temps que je la croise
Son corps a flétri tout en beauté
Pour elle, la vie est comme un vase
Que l’on remplit par des bouquets

Quelques bouquets de jeunesse
Offerts par des jours de tendresse
Mais aussi des bouquets de pleurs
Aux pétales tombants à son malheur

Quelques bouquets de promesses
Cueillis pour attendre sans cesse
Mais aussi des bouquets de menteurs
Achetés à ces quelques vieux baratineurs

Elle n’a cessé d’embellir
Son âme et son salon
Vivre, pour elle, c’est apprendre à cueillir
La fleur de vie en sa saison

Elle aime ce parfum qui répand
La senteur même du moment
Ainsi, sa fatigue du jour
Se noie dans ces arômes d’amour

Avec mes yeux d’enfant
Je la prenais pour une dame poupée
Dont jalousaient tant de mamans
Son regard et sa beauté

Elles ont voulu la confisquer
Tirant chacune d’un côté
Ainsi, sa vie s’est arrachée
La dame poupée se morcelait

À présent, avec mes yeux de grand
Je m’aperçois qu’elle n’a jamais cessé
De cheminer à travers champs
Évitant d’être picotée

Elle cueille les fleurs oubliées
Délaissées au jardin de l’indifférence
Celles qui sont toujours piétinées
Par le passage des médisances

Pour elle, cueillir c’est réparer
C’est recoudre son histoire effilochée
En créant des bouquets allégés
Pour ses épaules lourdes à porter

Jamais personne ne s’était aperçu
Que son grand amour s’en était allé
Jamais personne ne l’avait su
Son mari était le bel et grand jardinier

Trop vite, trop tôt, trop mal
Elle a connu cette absence brutale
Trop lent, trop peu, trop tard
Beaucoup ont refermé le livre de son histoire

Aujourd’hui, chaque fois que je la vois cueillir un bouquet de fleurs
Je me dis qu’elle panse les blessures de son cœur
Mais dès que je la vois offrir sa cueillette pleine de couleurs
Je me dis qu’elle pardonne à ce monde jugeur

samedi 15 avril 2023