Acte premier
Second tableau
Nous retournons à l’épilogue de Sylduria, quelques heures après la mort de Nolwenn, alias Xanthia, et la disparition de Lynda.*[1]
Arklow, capitale de la Syldurie. Un salon. Un téléviseur diffuse des images muettes, bien que la pièce soit vide. Entre Plogrov.
[1] L’* renvoie à Sylduria, principalement au livre VII « La Cantine des Italiens » et à l’épilogue.
Scène IV
PLOGROV
Mais où donc est passée Lynda*, cette rebelle,
Indomptable chipie, espiègle sauterelle ?
S’est-elle évaporée, dissipée dans le noir ?
J’ai beau fouiller partout, jusque dans les tiroirs.
Ne viendra-t-on jamais à bout de cette fille
Qui même entre mes doigts glisse comme une anguille ?
Blessée, les dents brisées, blanche comme la mort
Lynda de Syldurie me persiflait encor,
Objet de mon amour et de toute ma haine,
Car je l’ai trop aimée, cette triste sirène,
La plus jolie des reines, mais servante à la fois,
Toujours narguant la mort en vertu de sa foi.
Lynda, par Balzebul ! Où donc se cache-t-elle,
Comme ce fameux chien fuyant quand on l’appelle ?
Esclave de ce roi d’épines couronné
La voilà disparue, palsambleu ! sous mon nez !
Courir après ses pas, j’en ai le front en nage
J’en viendrai bien à bout, la coquine, j’enrage !
Diantre soit de la reine et son crucifié !
(Entre Bafanov.)
Le duc de Bafanov, je l’avais oublié*.
Scène V
PLOGROV – BAFANOV
PLOGROV
Soyez remercié pour votre diligence.
Veuillez vous installer ; prenez place, Excellence.
BAFANOV
Excellence ? À vrai dire, vous n’êtes coutumier
À tant de politesse et je pourrais parier
Que vous attendriez de moi quelque service,
Une part de mon temps, un menu sacrifice.
PLOGROV
Sacrifice ! Allons donc ! Cher ami, quel grand mot !
Il s’agit d’un mystère, que dis-je, d’un complot.
Lynda…
BAFANOV
Cette chipie fait encore des siennes ?
Qu’a-t-elle fait de beau, cette mordante chienne ?
PLOGROV
La reine a disparu.
BAFANOV
Eh bien ! bon débarras !
Cette égarée brebis ne nous manquera pas.
PLOGROV
Voici donc la mission qu’aujourd’hui je vous donne :
Chercher et la trouver.
BAFANOV
Qui ça ? Moi ?
PLOGROV
Je l’ordonne.
BAFANOV
Et puisqu’il est question de disparition,
N’auriez-vous vu passer Xanthia* dans la région ?
PLOGROV
Ne vous épuisez pas à chercher cette belle.
Goûtez-moi ce whisky, donnez-m’en des nouvelles.
BAFANOV
Vous êtes fort aimable. À ma question, d’abord
J’espère une réponse.
PLOGROV
Vous vous agitez fort.
Gardez votre sang-froid et reprenez un verre.
Cet écossais breuvage à tous est salutaire.
BAFANOV
Xanthia…
PLOGROV
Buvez encore et je vous répondrai.
Voulez-vous des glaçons ? Il en sera plus frais.
BAFANOV
Ça ira. Mais Xanthia…
PLOGROV
Buvez, soyez tranquille.
Il ne vous sert de rien d’échauffer votre bile.
BAFANOV
Je la cherche partout, vraiment, j’en suis épris.
PLOGROV
Buvons à sa santé.
BAFANOV
C’est assez, je suis gris.
PLOGROV
Vous êtes gris, déjà ? La liqueur est trop forte ?
BAFANOV
Me voici tout en joie, je décolle !
PLOGROV
Elle est morte.
BAFANOV
Elle est morte ? Qui donc ? La perfide liqueur ?
PLOGROV
Xanthia. En même temps décédée, j’en ai peur.
BAFANOV
Remplis encore un verre.
PLOGROV
Une maudite balle
Fut tirée dans son dos, brisant la vertébrale ;
Mais pour son meurtrier je serai sans pitié.
Nous le retrouverons et saurons le châtier.
Ne prenez trop à cœur cette pénible affaire,
Cette femme est perverse, intrigante, adultère,
Virtuose dans l’art de vous manipuler ;
Et vous l’avez aimée ! Elle vous a roulé.
Servante du malin, que son maître l’emporte !
(Le téléviseur diffuse à présent des images de catastrophe. *)
Regardez-moi ce bronx ! Et c’est à notre porte ?
BAFANOV
Non, c’est en Amérique, ce ne peut être ailleurs.
Ils ont toujours en pire ce qu’ils ont de meilleur.
PLOGROV
C’est bien en Syldurie. Augmentez le volume.
Voyez tous ces camions couchés sur le bitume.
BAFANOV
Carambolage affreux, tant de fer encastré !
On voit courir partout survivants effarés.
PLOGROV
Et sur la Schwarzwaldbahn, en pleine Forêt-Noire,
Cette ligne en lacets, je le vois sans y croire,
Un train s’est abîmé, lancé comme un boulet.
BAFANOV
Pas un seul rescapé, le désastre est complet.
PLOGROV
Écoutez ! Le pilote est toujours introuvable.
Et qu’en est-il ailleurs ?
BAFANOV
Quelle affaire incroyable !
Dans le monde partout des disparitions,
Sur tous les continents, toutes les nations,
Perdus en un clin d’œil, la chose est avérée.
PLOGROV
En un clin d’œil… Mais oui ! Elle est donc arrivée !
BAFANOV
Arrivée qui ?
PLOGROV
La parousie, mon bon seigneur !
Champagne, cher ami, champagne, et du meilleur !
(Il cherche un passage dans la Bible.)
Aux Thessaloniciens, dans la première épître,
Voici le paragraphe, quatrième chapitre.
D’intelligible voix, lisez fort, mon gaillard
Pendant que nous versons le succulent nectar.
BAFANOV
(lisant)
« Que vous ne soyez pas, frères dans l’ignorance
Ainsi que les perdus qui n’ont point d’espérance,
Au sujet des dormants. Christ au ciel est monté,
Il est mort sur la croix, il est ressuscité.
Sachez que Dieu prendra les défunts dans sa gloire,
Ce que nous déclarons, ce que vous devez croire :
Les morts devanceront les rachetés vivants,
Nous serons enlevés pour son avènement,
Car le Seigneur lui-même, au son de la trompette,
À la voix de l’archange descendra sur nos têtes,
Les morts dans le Seigneur tous ressusciteront,
Quant à nous, les vivants, enlevés nous serons,
Tous ensemble vers lui, élevés dans les nues,
Nous le rencontrerons, toutes âmes émues,
Et nous serons toujours avec notre Seigneur.
Que ses paroles saintes consolent nos douleurs. »
Et alors ?
PLOGROV
Comment donc ? C’est facile à comprendre,
À l’évidence même il nous faut bien nous rendre.
Cherchez… Lettre Première de Paul aux Corinthiens…
Chapitre quinze, verset, voyons… cinquante et un.
Enfin vous comprendrez où nous allons, j’espère.
Bien ! Lisez donc !
BAFANOV
« Voici, je vous dis un mystère :
Nous ne mourrons pas tous, mais tous serons changés.
La dernière trompette, nous voilà transformés… »
Des trompettes encore ! Quelle étrange fanfare,
Les voix archangéliques mêlées au tintamarre !
PLOGROV
Lisez !
BAFANOV
« En un clin d’œil… »
PLOGROV
Répétez, s’il vous plaît.
BAFANOV
« En un clin d’œil ».
PLOGROV
Voilà, le message est complet.
« En un clin d’œil », enfin ! L’Église en sa patrie,
Comme dit ce cantique est enfin réunie.
C’est le jour tant prêché par ce prédicateur :
Le vieil Andropoulos*, ce prêtre inquisiteur.
De deux hommes aux champs, annonçait-il en chaire,
D’un couple dans son lit, incroyable mystère,
De deux l’un sera pris, l’autre sera laissé.
Nous sommes pour toujours enfin débarrassés
De tous ces saints bénis. Car c’est dans l’Évangile,
Luc, chapitre dix-sept. Et nous voilà tranquilles.
BAFANOV
Quelle théologie ! Vous seriez, j’en ai peur,
Si vous n’étiez athée, le plus grand des pasteurs.
Et cela nous avance…
PLOGROV
À quoi donc ? Bougre d’âne !
Nous n’avons dans les pieds votre épouse Susanne,
Et quant à ma Lynda, dans la félicité,
Elle aura dans les cieux meilleure royauté.
Un corps glorifié, couronne incorruptible ;
Tout ceci, vieil ami, c’est écrit dans la Bible.
(Entre Yvonnick.)
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