Babylone·Dimitri Plogrov·Théâtre

Dimitri Plogrov – Acte IV (3)

Scène VI

PLOGROV – ESTHER

ESTHER

Trois jours sans toi, c’est long.

PLOGROV

                                               Tu m’as manqué de même.
T’avoir auprès de moi chaque jour, car je t’aime
Et s’aimer à couvert, cela n’est pas assez.

ESTHER

(apercevant le vase)

Le beau vase !

PLOGROV

                        Prends garde à ne pas le casser.

ESTHER

C’est un Ming.

PLOGROV

                          En effet, porcelaine de Chine.

ESTHER

Je veux le même.

PLOGROV

                        Esther, tes caprices me ruinent.
Je t’offrirai des vases et perles à loisir
Mais n’es-tu pas censée comme espionne servir ?
Tu reviens de Sion, où en sont leurs affaires ?
Car j’ai promis aux Juifs de les rendre prospères.
Je les ai libérés, les faux témoins sont morts
Et s’ils étaient de Dieu tous deux viraient encor.

ESTHER

Avec eux, justement, nous avons un problème.

PLOGROV

Nous avons vu leurs corps ensanglantés nous-mêmes.

ESTHER

Leur cadavre exposé sous les feux du soleil
Nous offraient un spectacle à nul autre pareil.
Vision de cauchemar, leur chair décomposée,
Hantée d’horribles vers nous donnait la nausée.
Les hommes se pressaient malgré la puanteur,
Frappaient leur corps du pied, courroux libérateur.
Le peuple, gaspillant toute son énergie,
Se livre sans réserve à la fête : une orgie.

Débauche, ivresse, rixe et fornication,
Pédophilie, inceste, ignoble passion.
On dit que des veaux d’or, comble d’idolâtrie,
Fondus hâtivement tinrent lieu de patrie,
D’apôtres, de prophètes et de Dieu créateur ;
Et l’on brûla des filles pour gagner leurs faveurs.

PLOGROV

Que l’enfer soit béni et soit béni le diable !
Si le peuple du Livre est devenu capable
De rôtir quelque blonde en l’honneur de ses veaux,
Il est prêt à servir, adorer en dévot
Celui qui du Messie s’empare de la place.
Je suis le nouveau Christ, à présent plus de grâce.
Un problème, dis-tu ?

ESTHER

                                   Au quatrième jour,
Un orage éclata. Ténèbres alentour.
Noirs comme le charbon se pressent les nuages.
Le peuple ne rit plus ? Quel est donc ce présage ?
Et la foudre frappa le dôme du Rocher,
L’église du Sépulcre, le mont des Oliviers.
Les fêtards en déroute dans les rues s’éparpillent,
Magasins l’on saccage et boutiques l’on pille.
La grêle, après l’éclair, fait éclater les toits.
Mais le plus redoutable est devant eux, crois-moi.
Après ces longs instants d’anarchie, de panique
Le calme enfin se fit. Ô spectacle tragique !
Tandis que les débris se répandaient partout,
On entend une voix du ciel criant : « Debout ! »
Alors dans les cadavres entra l’esprit de vie.
Ils sont jeunes et beaux. Leur joie nous fait envie,
Leurs os sont recouverts et de chair et de peau,
Et des habits de prince après les oripeaux.
La voix leur dit : « Montez ! » Voici qu’une tornade
Enveloppe des nues ces vaillants camarades.
Ils avaient le maintien des anges solennels.
On vit le tourbillon les enlever au ciel.

PLOGROV

Ceci me contrarie, me fâche et désespère.
Tant de peine donnée pour tuer ces compères !
Les voilà près de Dieu, et pour l’éternité
Comme fut autrefois le Christ ressuscité.

ESTHER

Des cieux les éléments acharnent leur colère :
Tempêtes à nouveau et tremblement de terre.
Le sol s’est entrouvert, les murs sont abattus
Et dans les cabarets les buveurs se sont tus.
Et la terre engloutit vivant dans ses entrailles
Les impies par milliers. Horribles funérailles !
Parmi les rescapés de ce divin courroux,
Des myriades en pleurs tombèrent à genoux,
Rendant gloire au Seigneur, adorant le Messie.

PLOGROV

Quoi ? Les Juifs me paieront cette péripétie.
Le Christ aux mains percées vivant parmi les morts,
Couronné de chardons Jésus me nargue encor !

ESTHER

Ne l’as-tu pas vaincu ? Brûlante est sa défaite
Et pour l’ultime fois il redresse la tête.
La victoire est à toi, saisis-la ! D’un bon coup
De talon sur la nuque et lui brise le cou.

Étouffe dans mes bras toute ton inquiétude.

(Ils s’embrassent comme au début de la scène. Surgissent Yvonnick et Bafanov.)

Scène VII

PLOGROV – ESTHER – YVONNICK – BAFANOV

YVONNICK

Je vous dérange en plein travail. La tâche est rude.

PLOGROV

Nous prenons une pause. Rude tâche en effet.
C’est d’ailleurs le moment de te tenir au fait :
Les nouvelles de Sion, disons-le, sont mauvaises.
Là-bas, c’est le chaos, c’est l’enfer, la fournaise.
Cet Élie qu’à tuer tu pris tant de plaisir,
Ainsi que ce Moïse a fini de moisir.
Ils se sont relevés aussi frais que deux bières,
Le vent du ciel soufflant la ville tout entière.
Ressuscités, te dis-je, et ce n’est point rumeur.
Je n’ai point de raison d’être de bonne humeur.

YVONNICK

Je ne comprends pas fort, j’ai besoin qu’on m’explique :
Avec ta Rebecca, qu’est-ce que tu trafiques ?

ESTHER

Esther.

YVONNICK

            Si tu veux.

PLOGROV

                            Bien, je veux aller tout droit :
Il faut t’habituer à vivre en couple à trois.

YVONNICK

Comment ?

PLOGROV

                 J’épouse Esther.

YVONNICK

                                         Quoi ? C’est une boutade
Qui ne m’amuse point. Quelle est cette incartade ?

PLOGROV

Je ne badine point. Il faudra dans ton lit
Se serrer davantage.

YVONNICK

                              Voilà qui est joli !

PLOGROV

Nous nous tiendrons plus chaud.

YVONNICK

                                                 Vraiment, c’est la meilleure !
Deux femmes il lui faut, monsieur, à la bonne heure !

PLOGROV

Pourquoi pas trois ou six ? Autres temps, autres mœurs.
Apprends à partager l’amour et le bonheur,
Car pour encourager ce partage admissible
Les exemples fameux se lisent dans la Bible.
Combien David eut-il de femmes ? Et Salomon ?
Plus d’un millier.

YVONNICK

                        Ça, tu ne manques pas d’aplomb.
Je comprends maintenant : ton cadeau somptuaire
Pour me fermer les yeux et que cette mégère
Se vautre dans mon lit.

PLOGROV

                                   Yvonnick, mon trésor,
Tu restes la première.

YVONNICK

                                   Un cadeau ! C’est trop fort !
Au prix d’un pot de fleurs crois-tu que l’on m’achète ?
Pour t’avoir écouté j’étais vraiment trop bête.
Tu dévores les filles d’un ignoble appétit.
Voilà ce que j’en fais de ton vase, abruti !

(Elle brise le vase à la tête de Plogrov, qui tombe à terre, et jette les débris à Esther, qui s’enfuit.)

Scène VIII

PLOGROV – YVONNICK – BAFANOV

BAFANOV

Qu’as-tu fait ? C’est un Ming. Il vaut une fortune.

YVONNICK

Voilà beaucoup d’argent dépensé pour des prunes.

BAFANOV

Ce bibelot n’a pas coûté le moindre sou :
Offert par les Chinois.

YVONNICK

                                   Comment ? Le rat ! Le pou !
L’Harpagon séducteur s’est bien payé ma tête.
Je lui casse la sienne et la réponse est faite.
Quant à sa Déborah, je l’attends au tournant.

BAFANOV

Esther.

YVONNICK

            Mais il ne bouge plus, ce fainéant.
Allez ! Réveille-toi ! Cesse la comédie !

BAFANOV

Tu l’as tué, ma chère, il en perdit la vie.

YVONNICK

Mort ? J’ai juste frôlé son crâne avec ce pot.
Qu’il a donc le cerveau fragile, ce grand sot !
Il était donc moins dieu qu’il le laissait paraître.
Voici donc l’univers sans seigneur et sans maître.
Tout cela me convient car j’aime le pouvoir :
Plier toute la terre au gré de mon vouloir.
Dimitri me gênait, gêneur de gros calibre.
Puisqu’il est enfin mort, courons, la route est libre.
Ne t’ai-je pas formé pour être impérateur ?
N’es-tu pas du malin dévoué serviteur ?
Du règne des démons tu sais tous les mystères
Et nous les soumettrons pour asservir la terre.
Alors, épouse-moi, l’enfer nous appartient,
Sois la bête nouvelle, allez ! Je te soutiens.

BAFANOV

T’épouser ? Non ! Tu as trop mauvais caractère
Et j’ai d’autres projets. Tu n’es pas mon affaire.

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