LE CRÉPUSCULE DU DRAGON
Drame en cinq actes
Personnages
Dimitri Plogrov
Bafanov
Esther
Rosenfeld
Théophile
Priscille
Apollos
L’ange Ariel
Le capitaine Hofmann
Surimoto
Salomon
Lynda
Suzanne
Ivanov
Julien
Sigur
Félixérie
L’apôtre Jean
Figurants : fugitifs, soldats, prisonniers, saints, martyrs…
Source : Livre de l’Apocalypse, chapitres 17 et 18.
Pour une étude théologique sérieuse et approfondie de ces événements, je recommande l’ouvrage de John H. Alexander : L’Apocalypse verset par verset (La Maison de la Bible).
ACTE PREMIER
Premier tableau
Babylone. Décor de Dimitri Plogrov Acte IV premier tableau. La statue de Plogrov apparaît dans le paysage urbain. Des ouvriers enlèvent la toile de Brueghel et la remplacent par un tableau voilé. Entrent Plogrov et Bafanov, ils observent la statue avec des jumelles.
Scène première
PLOGROV – BAFANOV
PLOGROV
Elle apparaît au loin, brillant en sa splendeur.
J’ai nommé vice-roi son habile fondeur.
Inondée de soleil, brûlante comme flamme
Illumine la ville, et les corps, et les âmes.
C’est la puissante voix, hurlant la vérité,
De l’Antéchrist, le roi, mort et ressuscité.
BAFANOV
Il est vraiment ressuscité !
PLOGROV
La tombe obscure
N’a su me retenir, indigne sépulture.
À mes adorateurs, de toutes nations
Elle assure santé, bonheur, protection.
Ô divine effigie, vois-tu comme elle est belle ?
BAFANOV
Belle, elle peut bien l’être avec ce beau modèle.
PLOGROV
S’entassant à ses pieds l’inepte ramassis
Et gravé sur son front six cent soixante-six.
Animaux que l’on brûle au fer rouge à la tête
S’empressent de porter la marque de la bête.
Hommes sans volonté ! Ô stupides moutons
Menés par le licol ou bien par le menton
Pour devenir esclaves en la rue se bousculent !
Misérables mortels ! Peuplades ridicules !
BAFANOV
C’est parti ! La bagarre ! Ils en viennent aux mains !
PLOGROV
Qu’ils sont bas descendus, lamentables humains !
Pour entrer les premiers dans le cachot fétide
Se livrent volontiers entre mes mains cupides.
Je ne me lasse pas d’observer ces fourmis
S’épuisant sous le fouet. Courez, mes bons amis !
Achetez des carcans, des chaînes, des entraves,
De solides gourdins pour vous rosser, mes braves !
BAFANOV
Mais par quelle magie, par quel enchantement
Ces futiles ovins accourent prestement
Vers le fer du boucher ? Et par quel artifice
Ils foulent avec joie l’autel du sacrifice ?
PLOGROV
Ils chérissent la nuit et le jour leur fait peur.
Le monde, hormis Babel, les glace de terreur.
Qu’on regarde à Paris ou vers Tananarive ?
À Moscou, à Berlin, même jusqu’aux Maldives,
D’horribles phénomènes, cataclysmes affreux,
Révolte sans espoir de ce Dieu des Hébreux,
Défigurent la terre. Les volcans se réveillent,
Les flots ont ravagé Barcelone et Marseille.
La panique est partout. Il n’est qu’un seul abri ;
Sous l’aile de Nimrod venez, peuples chéris,
La vengeance de Dieu ne pourra vous atteindre ;
Il a trop peur de moi, je sais m’en faire craindre.
Construisez votre tour sur l’éternel rocher
Et le Dieu des Hébreux n’osera la toucher.
À propos de celui dont j’ai conquis l’empire,
J’attends ma bien-aimée. J’ai trois mots à lui dire.
BAFANOV
Justement, la voici.
(Entre Esther. Sort Bafanov sur un signe de Plogrov.)
Scène II
PLOGROV – ESTHER
PLOGROV
Entrez, charmante Esther,
La plus belle furie empruntée aux enfers.
Je voudrais te parler, je t’offre cette chaise.
Installe-toi, ma biche et mets ton corps à l’aise.
ESTHER
Une chaise ! Allons donc ! Admirable présent !
Une chaise en cadeau, bonne idée, c’est plaisant !
Chaises et tabourets manquent à mon ménage.
PLOGROV
Foin de bouffonnerie ! Calmons-nous, soyons sages.
Dans ce noble décor n’as-tu rien remarqué ?
ESTHER
Non. Ah si ! Le Brueghel, pourquoi l’a-t-on masqué ?
PLOGROV
C’est à toi qu’il convient de retirer le voile.
Que nulle autre avant toi n’admire cette toile.
J’en étais saturé de ce maître flamand.
À ma vue ce tableau dressait insolemment
De l’œuvre d’autrefois la carcasse éventrée.
Bâtisseurs dispersés et la tour délabrée ;
Image pitoyable, sombre velléité
Et Nimrod offensé quant à Sa Majesté,
Comme vaincu par Dieu ce prince à l’agonie.
Alors j’ai fait venir cet artiste, un génie.
Reléguant au grenier le vieux Pierre Brueghel,
Il fit pour notre gloire un ouvrage éternel.
Je n’en suis pas déçu, c’est une bonne affaire.
Tire sur ce cordon, je crois qu’il va te plaire.
ESTHER
Connais-tu bien mes goûts en termes de beaux-arts ?
PLOGROV
Tire donc ! Cette toile est digne d’un césar.
Nous l’inaugurerons de manière officielle.
Ce chef-d’œuvre est à toi, découvre-le, ma belle.
(Elle tire sur le cordon dévoilant le tableau. Il représente une femme portant une couronne, armée d’une épée et d’un bouclier, chevauchant un dragon rouge. Cette femme a les traits d’Esther.)
ESTHER
Quelle horreur ! Mais c’est moi ! Quel est ce barbouilleur
Qui dessine si laid ? J’en aurais des frayeurs.
Ce Picasso manqué, sans nulle retenue,
Sans ma permission m’a peinte toute nue.
PLOGROV
Ma chère, s’il te plaît, n’entre pas en fureur.
Ce large bouclier protège ta pudeur.
Il faut de la peinture comprendre le symbole,
Trouver la métaphore, cerner la parabole.
Ce monstre au front cornu qui foule sans merci
Les peuples, c’est Babel, dont le trône est ici.
Babylone accomplit sa cruelle vengeance.
Malheur à qui refuse une pleine allégeance !
Il répand sous ses pieds des rivières de sang.
Aucun n’est épargné, il n’est point d’innocent
Car ils ont méprisé Nimrod le magnanime.
Chevauchant le dragon, cette fille sublime,
C’est la reine. En présent je t’offre la cité.
Tu te bats pour le roi, tu l’as donc mérité.
Je domine le monde et la planète entière,
Mais pour sa capitale, Babylone si fière,
Il faut un gouverneur et je veux partager
Le pouvoir avec toi.
ESTHER
C’est fort bien m’obliger.
PLOGROV
D’une main sans pitié gouverne cette ville,
Écrase sous ton pied les manants indociles,
Déchire de tes griffes ainsi qu’un léopard,
Qu’aucun ne te résiste. Attire en ses remparts
Les Juifs premièrement, tue les tous, ils m’outragent ;
Ceux qui servent le Christ, pourfends-les dans ta rage.
Je croyais enlevés ces croyants, ces bandits
Mais ceux qui sont restés, ces tartuffes maudits,
À la tête du clan le traître Théophile
Aidé comme il se doit de sa femme Priscille,
Tout comme le chardon et comme le chiendent
Croissent dans mon jardin. Je hais ces dissidents.
Contrains-les par le fer, par le feu, la torture
De renier leur Christ et qu’en leur sépulture
Ils retrouvent leur Dieu qui fut crucifié.
ESTHER
En ce tyran vaincu oser se confier !
Déchirer tous ces gens, ce projet m’intéresse.
Je répandrai leur sang, je t’en fais la promesse.
(Entre Bafanov.)
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