Babylone·Le Crépuscule du Dragon·Théâtre

Le Crépuscule du dragon — Acte II

Acte II

Premier tableau

Décor du tableau précédent, mais la vallée est dévastée par des catastrophes naturelles.

Scène première

THÉOPHILE – PRISCILLE

PRISCILLE

Plus rien à manger !

THÉOPHILE

                              Rien !

PRISCILLE

                                      Mes entrailles font mal.

THÉOPHILE

La flore a disparu.

PRISCILLE

                              Plus le moindre animal !

THÉOPHILE

Qu’allons-nous devenir ?

PRISCILLE

                                       Le Ciel nous abandonne.
Ai-je perdu la foi ? Que Jésus me pardonne !

THÉOPHILE

En un jour la mort passe et tout est dévasté,
Nos pommiers arrachés, brisés, décapités.

PRISCILLE

Les pluies dans leur fureur ont enflé la rivière,
Roulant sur les vergers des cascades de pierre,
Et dans notre caverne – un désastre accompli –
S’engouffrent sable et boue, emportant notre lit.

THÉOPHILE

Enfin, pour ajouter au désastre terrible,
Le criquet pèlerin, cet insecte invincible
Des plateaux africains s’étant rassasié,
Laissant derrière lui le Kenya dépouillé,
Le voilà reparti piller la Tunisie,
Le Maroc, l’Algérie, gloutonne frénésie,
Le prédateur a faim, qui pourrait l’arrêter ?
L’Europe désormais ne pourra l’éviter.
Soulevée par les vents, horde désordonnée,
Survolant à grand bruit la Méditerranée,
L’Espagne et l’Italie, puis la Grèce à leur tour
Sont privées de verdure en à peine vingt jours,
Les criquets sont venus, pillant sur leur passage
Le peu qu’il nous restait de vivres, de fourrage.
Jusqu’en Scandinavie, brigands sans foi ni loi
Sèment le désespoir, la famine, l’effroi.

PRISCILLE

D’autres fléaux viendront pour accabler le monde,
C’est un temps de ténèbres et d’angoisse profonde,
Allons, soyons fidèles, exerçons notre foi,
En personne, bientôt combattra notre roi,
Nous verrons son épée dont la lame tranchante
Jaillira de sa bouche. Nous verrons l’épouvante
Aux yeux de nos bourreaux – Nous croyons, c’est écrit – .
Il viendra, triomphant, pourfendre l’Antéchrist.

THÉOPHILE

Bientôt viendra la fin des années de souffrance,
Pour la belle patrie nous quitterons la France.
Jésus appellera près de lui ses martyrs.

PRISCILLE

En attendant, j’ai faim. Hélas ! Il faut partir !

THÉOPHILE

Partir ? Où irions-nous ? Espérance inutile,
Tous veulent subsister en fuyant vers la ville,
Au sein de Babylone espérant le secours.

PRISCILLE

Babylone s’étend et prospère toujours
Et promet à chacun chauffage et nourriture.
D’où lui vient sa richesse et par quelle imposture ?…

THÉOPHILE

On sait qu’à l’Éternel elle résiste encor,
Des navires chargés se pressent sur son port.
Flattée par tous les rois et tyrans de la terre,
Augmente chaque jour sa puissance, ô mystère !
On y trouve du blé, de la viande et du vin,
Le diable généreux remplit ses magasins.
Lorsque la sécheresse accable notre monde,
On y vit de plaisir, de débauches immondes.
Comme le roi de Tyr, se croyant immortel,
Plogrov, dans ses orgies menace l’Éternel.

PRISCILLE

Ô Babylone impie, capitale insolente,
Ville remplie de crime, dépravée, violente !

THÉOPHILE

Nous qui l’avons quittée, demeurons en dehors
Si nous y retournons nous serons mis à mort.
D’être décapités nous n’avons nulle envie.

PRISCILLE

Laissons Dieu disposer de notre faible vie.
Jésus revient bientôt, notre plus sûr espoir !

THÉOPHILE

Mais vois-tu s’approcher ce lourd nuage noir ?

PRISCILLE

Un orage puissant de foudre et de tonnerre.

THÉOPHILE

Le tonnerre ? Non point. C’est comme un bruit de guerre.

(Un nuage noir, menaçant, obscurcit la scène.)

PRISCILLE

Ce nuage est vivant. Nous l’entendons vibrer.
Fléau venu des cieux, qui va-t-il dévorer ?

THÉOPHILE

Voici l’obscurité, catastrophe nouvelle,
Car après les criquets voici les sauterelles.

PRISCILLE

Non, ce sont des vautours, entends ces bruits affreux.

THÉOPHILE

Volatiles criards ! Vilains oiseaux !

PRISCILLE

                                                    Des freux.

(Les corbeaux laissent tomber de leurs becs toute sorte de victuailles.)

THÉOPHILE

Le Ciel nous les envoie pour soulager nos peines.

PRISCILLE

En ce bec un fromage, comme chez La Fontaine.

THÉOPHILE

Un roquefort, Priscille, et des mieux affinés.

PRISCILLE

Ils apportent du pain, l’aurions-nous deviné ?

THÉOPHILE

Des flageolets, du riz, de la crème et du beurre,
Des légumes, des œufs, les viandes les meilleures.

PRISCILLE

Ô sois remercié, Dieu puissant de Sion !
Appelant les corbeaux pour nos provisions,
Ces oiseaux sans noblesse, à la grâce impolie,
Soulagent notre faim comme au prophète Élie.

(D’autres dissidents se joignent à eux. Ils commencent à se restaurer. Paraît l’ange Ariel.)

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