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La brève vie de Ricinus

Par Daniel Ekwel en réponse au défi d’écriture #25 sur les arbres

Je suis né en une nuit, j’ai vécu un jour et je suis mort la nuit suivante. Drôle de vie, me direz-vous. Eh bien, vous avez raison de penser ainsi. Vous pouvez m’appeler Ricinus. Je suis de la grande famille des Euphorbiacées. Vous avez compris : je suis un arbre, ou plutôt, un arbuste !

En une nuit, je suis sorti de terre ! Incroyable n’est-ce pas ?! Bon, il est vrai que je fais partie de ces plantes qui obtiennent leur taille définitive en quelques semaines. Mais ma croissance encore plus exponentielle cette fois-ci était due à la main habile de celui qui m’avait planté là. Je peux dire qu’il a fait le bon choix de plantes. Sans me vanter bien sûr (rire). Bon, oui, je me ressaisis. Je suis sorti de terre en une nuit.

Je me trouvais bizarrement non loin de l’entrée d’une ville. Une ville plutôt grande et bien faite, ma foi. À mon arrivée, un homme d’une apparence rustique était déjà couché à mon pied. Je ne savais pas de qui il s’agissait. En apparence, on aurait dit un clochard. Je l’ai observé dormir toute la nuit. Au petit matin, à son réveil, il fut surpris de me voir. Sans transition, sa surprise s’est transformée en joie. Bon. C’est le propre des humains : passer d’un sentiment à l’autre sans crier garde.

Le monsieur dont j’ignorais le nom se mit à remercier son « créateur ». J’ai compris au travers de ses propos qu’il s’agissait de l’habile cultivateur qui m’avait planté là. J’étais en quelque sorte content d’apprendre que nous avions une relation en commun.

À côté de tout cela, je pouvais bien comprendre la raison de sa joie. À en juger l’état de la cabane qu’il s’était fabriquée lui-même pour s’abriter, eh bien, ma présence semblait vraiment pertinente à cet instant.

Mais aussitôt après avoir remercié mon habile cultivateur, le monsieur s’assit, le regard tourné vers la ville. J’ignorais ce qu’il attendait, mais sa concentration ne décrut pas en regardant les portes de cette dernière. Tantôt assis, tantôt debout à faire les cent pas, il ne détournait à aucun prix son regard vers cette fameuse cité.

Bizarrement, personne n’entrait et personne ne sortait de cette ville. On pouvait néanmoins entendre des bruits légers semblables à des pleurs ou des lamentations. Peut-être y avait-il un grand deuil ?! À vrai dire, j’ignorais complètement quelle était la situation de ce côté-là.

Après avoir observé la ville pendant près de la moitié de la journée, le monsieur se mit à parler. Il se plaignait. Il se plaignait de ce créateur qu’il remerciait pourtant ce matin. Selon lui, mon habile cultivateur était trop indulgent. Trop porté vers le pardon. Sa mission lui semblait inutile, car la ville était encore debout.

Je me suis demandé sur le coup ce que le monsieur attendait qu’il se passe dans cette fameuse ville. Je ne connaissais ni le nom de la ville, ni le style de personne qui y vivait. Et je ne comprenais encore moins pourquoi le monsieur à mon pied espérait que quelque chose de terrible arrive dans cette ville. Il s’y trouvait sûrement des enfants, des femmes enceintes, de braves hommes travailleurs, des animaux, des oiseaux et plus encore. Oui, il devrait y avoir des oiseaux. J’aime beaucoup les oiseaux. Ce sont de bons compagnons pour les arbres et les arbustes comme moi. Ils font leurs maisons sur nos branches, de sorte qu’on ne se sent jamais seuls.

Bref, il devait y avoir beaucoup de personnes dans cette ville. Attendre donc qu’un malheur la frappe me semblait bien déraisonnable. Je trouvais néanmoins le bonhomme attachant. Déraisonnable, râleur vis-à-vis de mon habile cultivateur, mais attachant. Aussi, j’ai passé le reste de ma journée à l’observer : il ruminait et se plaignait à qui vous savez.

La nuit tombée, ce dernier a été emporté par le sommeil. Après plusieurs heures, l’aurore se voyait déjà de loin. Je pensais passer une autre journée avec le monsieur qui m’utilisait comme abri. Cependant, je vis de loin approcher une créature rampante qui finit par avoir raison de moi. Je dépéris à vue d’œil. C’était là mes derniers moments sur terre. Moi, Ricinus, j’étais en train de mourir.

Dans mes derniers instants, je vis le monsieur se lamenter de ma disparition. Se plaindre de plus belle auprès de l’habile cultivateur de mon départ soudain. Quel paradoxe entre ses plaintes pour moi et ses plaintes pour la ville d’à-côté ! Il se plaignait pour moi, en réclamant la raison de ma disparition soudaine. Mais pour les habitants de la ville, il se plaignait en réclamant la raison pour laquelle elle avait été épargnée….

Bizarre, n’est-ce pas ?! Pleurer un arbre. Enfin, pleurer un arbuste et ignorer totalement le sort de milliers de personnes. Seuls les humains sont capables d’un tel méli-mélo dans leurs têtes. Enfin, moi, je m’en allais. J’ignorais la raison de ma présence tout près de ce monsieur et dans ce lieu précis.

Cependant, j’étais heureux que mon habile cultivateur n’ait pas suivi la pensée de celui que j’abritais. Mon créateur avait choisi de conserver la vie aux gens de la ville voisine ; je pouvais mourir paisiblement.

Daniel Ekwel 

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