Dans le cadre de notre défi sur les fables, nous vous proposons ici de lire une nouvelle fable d’Alfred de Montvailllant (1826-1906).
Souvenez-vous, Cactus Ren nous avait déjà fait découvrir un de ses fables (Le Diamant et la Goutte), en l’étayant de réflexions passionnantes sur l’extraordinaire productivité de son auteur (en écho à la morale de la fable).
L’auteur de cette charmante fabulette, à la morale transparente et cristalline, serait-on tenté de dire, est un poète protestant qui a versifié quasiment tout l’Ancien Testament, une grande partie des Évangiles, et composé un nombre impressionnant d’hymnes et de cantiques à la gloire de Dieu. Nous aurons certainement l’occasion d’exhumer plusieurs extraits de ses productions, complètement inconnues ou oubliées du public chrétien aujourd’hui ; en attendant le poème d’Alfred de Montvaillant sur la goutte de rosée et le diamant n’est pas sans apporter, outre le plaisir de le lire, d’intéressantes interrogations : A quoi ont servi les milliers de vers que l’auteur a publié de son vivant ? Ont-ils été gouttes ou diamants ? Comment se mesure la valeur d’une goutte, d’un diamant, d’un vers.
Lire l’article : le Diamant et la Goutte
Nous exhumons aujourd’hui une autre de ses fables, qui utilise comme morale le verset suivant :
Ne rendez point mal pour mal, ou injure pour injure; bénissez, au contraire, car c’est à cela que vous avez été appelés, afin d’hériter la bénédiction. 1 Pierre 3:9
Rendez le bien pour le mal
En broutant l’herbe, un cheval est sorti
Du champ où l’avait mis son maître.
Le voisin en est averti,
Etant dans son droit, et peut-être
Par une inimitié poussé
De se rendre à la ville il se montre empressé.
Le cheval est mis en fourrière,
Et voila le propriétaire,
A qui l’on intente un procès,
Obligé de payer les frais.
Ce n’est pas tout : le voisin près du maître
Vite se rend, lui fait connaître
Que s’il trouve sur le chemin
Le cheval qui sort et va paître,
Il verbalisera soudain.
Le maître, un homme débonnaire,
Répond au voisin en colère :
Veuillez sans vous tant emporter,
Voisin, un moment m’écouter :
Un soir, je vis dans la prairie
Qui confine ma métairie,
Vos vaches, je les ramenai
Chez vous et je les enfermai
Soigneusement dans leur étable,
Sans vous faire un procès semblable.
Chaque fois que je les verrai,
Ce que j’ai fait, je le ferai.
Du maître entendant le langage,
Le voisin reconnut plus sage
D’agir de même, et du procès
Il voulut seul payer les frais.
Alfred de Montvailllant (1826-1906).
Cette fable est tiré de son recueil Fables et Apologues, qui contient 88 fables à retrouver en intégralité sur le site la BnF.
Cette fable nous permet de tirer de petits enseignements pour notre défi d’écriture.
La personnification
Nous avons noté, dans notre défi d’écriture, que la fable utilise la personnification (les personnages sont des animaux ou des objets qui ont des traits de caractère humain, des défauts, des qualités…). En effet, c’est souvent le cas, mais pas toujours…
La fable peut également présenter des situations ou des événements sans nécessairement donner des traits humains à des animaux ou des objets.
Par exemple, ici, Monvaillant utilise un conflit de voisinage qui met en scène des animaux sans leur attribuer de caractéristiques humaines. Il se concentre plutôt sur les actions et les conséquences des actions des personnages. On se situe à la frontière entre la parabole et la fable !
La morale
Traditionnellement, les fables incluent souvent une morale ou une leçon à la fin de l’histoire, mais certaines fables peuvent laisser la moralité de l’histoire implicite, laissant aux lecteurs le soin de réfléchir et d’interpréter la signification eux-mêmes.
Dans cette fable, est-ce que la morale est explicitement énoncée ? Oui, mais pas dans le texte : l’auteur a fait le choix de la glisser… dans le titre ! Pourquoi pas…
Ce n’est pas une invention
Cactus Ren nous signale que Montvaillant n’a pas inventé l’histoire du cheval qui broute chez le voisin, il l’a seulement versifiée ; on la retrouve par exemple dans un livre du pasteur Decoppet, Sermons pour les Enfants qui l’a pris peut-être ailleurs lui aussi.
Versifier avec talent un texte à la portée universelle n’est pas du plagiat, surtout si c’est bien fait !
Conclusion
Lancez-vous sans trop de pression dans notre nouveau défi d’écriture. Nous sommes ici pour exercer notre plume :
Hâtez-vous lentement ; et, sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage :
Polissez-le sans cesse et le repolissez ;
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez.
Boileau, Art Poétique
Je vous laisse avec une autre fable de Montvailllant au titre évocateur :
Gardez-vous de juger les autres
Vous blâmez les défauts d’autrui, voyez les vôtres (1)
Avec un chat, un renard voyageait
Et comme la route ennuyait,
On se mit à parler morale,
Une chose, pour ces apôtres, capitale.
Sur ce sujet le renard devisait
Et sérieusement disait :
— Quoi de plus beau que la justice !
Qu’en tous lieux elle s’établisse.
Personne sur les droits d’autrui n’empiétera,
Et tout alors prospérera.
— Quelle vertu que la miséricorde !
Lui répondit le chat qui vantait la concorde.
Heureux qui la pratique, il vivra dans la paix
Et sera comblé de bienfaits.
Mais, soudain devant eux, voici qu’un loup s’apprète
À dévorer un agneau : pauvre bête,
Dirent-ils, se couvrir du sang
De cet animal innocent !
L’agneau se débattait et criait en vain : grâce ! –
— Nul scrupule ne m’embarrasse
Lui dit le loup et tu vas, à ma faim,
Servir un excellent festin.
— Le misérable, dit le chat en sa colère,
Quoi ! se nourrir de chair, être ainsi sanguinaire !
— Qu’il est barbare, ajouta le renard,
N’a-t-il pas pour manger des glands de toute part ?
Des bêtes, une bête être ainsi l’ennemie :
Ah ! quelle horreur ! quelle infâmie !
À peine se calmait leur indignation
Qu’un moulin, du renard, fixe l’attention,
Des arbres y jettent leur ombre,
Il y voit picorer des poules en grand nombre.
Et tout à coup maître renard,
Comme un trait, vers les poules part.
Il en prend une à manger occupée,
En fait une bonne lippée.
Cependant que grippe-minaud
Qui voit une souris, sur elle fait un saut.
Et sans crainte qu’on le dérange
Lui donne la mort et la mange.
Une araignée, en un recoin obscur
De sa toile tendue au mur,
Témoin de la scène odieuse,
S’écria presque furieuse :
Je n’ai jamais, chez les êtres mortels,
Vu des monstres aussi cruels.
Mais, en disant ces mots, elle trouvait exquise
Une mouche qui, dans ses filets, s’était prise.
—
(1) Qu’es-tu, toi qui juges les autres ? (Jacques IV, 12).

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