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Vingt-deux ans plus tard

Par Micheline Boland, En réponse au défi d’écriture 27 « Écris la ville »

Été 2002

Il y avait eu ce temps d’agitation intérieure durant lequel Juliette s’était demandé si elle allait être engagée ou non. Puis, était venu le temps du soulagement après la signature de son contrat de travail pour un poste d’assistante sociale. À présent, c’est l’heure de l’apaisement.

Juliette descend vers la ville basse. Il lui reste plus d’une heure avant de pouvoir quitter Charleroi en prenant le train, et un peu moins de deux heures avant d’annoncer la bonne nouvelle à ses parents. Elle emprunte le chemin des écoliers, comme le lui a conseillé sa tante Louise, qui lui a dessiné un plan des trésors à découvrir dans la ville.

Elle se dirige d’abord vers la Maison dorée, un immeuble classé depuis un peu moins de dix ans. La façade, aux couleurs chaudes, est ornée de fleurs et de feuilles rouges et jaunes, contrastant avec le surnom de « Pays Noir » donné à la région.

« Partout, il y a des trésors, de différentes natures », pense-t-elle.

Les trésors gustatifs seront pour plus tard, quand elle commencera à travailler. Elle s’est promis de retourner chez le glacier qu’elle fréquentait enfant avec sa tante, pour y déguster la meilleure dame blanche.

Immobile sur le trottoir, Juliette reste fascinée par cette façade Art Nouveau. Elle se demande comment il est possible de passer devant sans s’y arrêter un moment. Mais un couple pressé la tire de sa contemplation, se querellant à propos de tentures. Juliette ferme les yeux un instant, puis les rouvre. Elle saura toujours associer ce bijou architectural à son premier emploi.

« Quand j’aurai le cafard, je ferai un saut jusqu’ici », se dit-elle.

La beauté des lieux dissipe souvent ses pensées moroses et ravive en elle sa foi en l’humain et en Dieu.

Elle poursuit sa promenade à travers le parc. Après le monde végétal stylisé, voici un grand jardin où flâner à son aise.

« Si tu es engagée, tu pourras venir y pique-niquer », lui avait dit sa tante.

Juliette imagine déjà partager un tel moment avec un collègue sympathique. En traversant le parc, elle aperçoit le kiosque, et repense au concert donné par la chorale de sa tante un premier mai. Comme par réflexe, elle fredonne à voix basse Les Mains d’or, une chanson récente de Bernard Lavilliers, évoquant le travail et la sidérurgie. Impossible de ne pas y penser dans cette ville marquée par l’industrie.

Un banc tout proche l’invite à une pause. Ici, les bruits de la ville sont inaudibles, remplacés par les parfums d’herbe et d’arbres. Les amoureux déambulent, des enfants jouent sous l’œil attentif de leurs parents. Juliette se laisse aller à rêver d’autres espaces, pensant aux récentes vacances dans les Vosges. Mais le temps passe vite, et elle se souvient des louanges de sa tante pour le Passage de la Bourse, non loin de la gare. Une magnifique galerie couverte, abritant un célèbre bouquiniste et sûrement un bar où elle pourra prendre un café.

Juliette reprend doucement sa marche. Elle quitte le parc, observe quelques décorations Art déco sur les bâtiments en face, puis accélère le pas pour rejoindre le Passage. La verrière est superbe, les boutiques nombreuses. Elle s’attarde longuement chez le bouquiniste, mais le temps manque pour savourer un café. Elle doit regagner la gare.

En traversant le pont reliant la Place Buisset à la gare, elle s’arrête un instant pour admirer les statues du Mineur accroupi et du Forgeron au repos.

« Bientôt, je pourrai les contempler chaque jour en allant au travail », pense-t-elle, pleine d’enthousiasme pour cette nouvelle vie.

Septembre 2024

Juliette a rendez-vous avec un médecin réputé de Charleroi. Elle ne travaille plus dans cette ville où elle n’est pas revenue depuis des années. Après avoir garé sa petite voiture dans le parking souterrain du centre commercial Rive Gauche, elle se réjouit d’avance à l’idée de revoir le Passage de la Bourse.

Hélas, la déception est grande. L’endroit semble mal intégré au centre commercial, les commerces y sont rares. Le Passage a perdu de sa beauté, tout comme elle, pense Juliette, confrontée à ses propres problèmes de santé. Un moment de tristesse l’envahit, mais elle se promet de se ressaisir.

« La vie ne se transforme-t-elle pas quand on fait vraiment confiance aux dons du Ciel ? »

Micheline Boland

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