Scène VII
Qui donc a dit que j’étais d’une humeur
À massacrer les gens ? Et qui me fait l’honneur
De courtiser ma fille, ainsi, devant ma porte ?
Et s’il veut t’enlever, après tout, que m’importe ?
MYRIAM
Père !
JEPHTÉ
N’as-tu pas dit qu’être une femme enfin
Dans les bras d’un mari tu espérais en vain ?
MYRIAM
Je…
JEPHTÉ
Tu l’as dit. Voilà qu’un garçon se présente,
Mademoiselle joue la farouche innocente
Et fait sa mijaurée ! Quand tu auras cent ans
Tu prendras un époux boiteux, chauve et sans dents,
Pour n’avoir accepté quand l’âge était facile
Un ami plein d’amour et fait ta difficile.
MYRIAM
Je…
ZAKAN
Voilà de Jephté un imprévu soutien.
J’aurais cru…
JEPHTÉ
L’aimes-tu, Myriam ?
MYRIAM
Je n’en sais rien.
JEPHTÉ
Et toi, quel est ton nom ?
ZAKAN
Zakan, à ton service.
JEPHTÉ
Eh bien ! Zakan, dis-moi, parle sans artifice.
Aimes-tu bien ma fille et veux-tu l’épouser ?
ZAKAN
Plus que ma vie, je l’aime, à me laisser briser.
Il n’y a qu’Adonaï que j’aime au-dessus d’elle.
JEPHTÉ
Tu aimes Dieu plus que ma fille ?
ZAKAN
Je suis fidèle.
Moins que père ou que mère, moins que son cher enfant
On ne doit aimer Dieu, sa loi nous le défend.
JEPHTÉ
Tu connais donc la loi ?
ZAKAN
Je veux être agréable
Au Dieu qui me créa, ce maître incomparable.
JEPHTÉ
J’aimerais le connaître.
ZAKAN
Le prophète Azaël
M’enseigne la Torah.
JEPHTÉ
Mais le Dieu d’Israël
M’aurait choisi, dit-on, pour être capitaine
Et son peuple conduire par les monts et les plaines
Pour corriger d’Ammon les soldats insolents
En leur plantant gaîment mon sabre dans le flanc.
Ma fille ne sait pas si ou non elle t’aime
Et je suis pour ma part d’une ignorance extrême.
Aimé-je ou non ce Dieu, faut-il pour le servir
Les déserts traverser, les montagnes gravir ?
ZAKAN
Mon ami, Abraham, ce digne patriarche
Rencontra l’Éternel quand il se mit en marche.
Il coupa, nous dit-on, un bœuf de son troupeau
Et, d’un pas solennel, entre les deux morceaux
Avec le Dieu des cieux il conclut alliance.
JEPHTÉ
Quelle étrange pratique ! barbare expérience !
ZAKAN
C’est en sacrifiant que l’on gagne le ciel,
Le pardon des péchés, de nos actes charnels.
JEPHTÉ
Je sacrifierai donc. Allons-y ! Faisons vite !
ZAKAN
Il va falloir un prêtre ainsi que des lévites.
Tiens-toi prêt dans le calme et point d’emportement,
Car on ne sacrifie pas n’importe comment.
Il te faudra choisir parmi toutes tes bêtes
La brebis sans défaut garnie de dents parfaites.
JEPHTÉ
Appelons au secours un sacrificateur.
Que faut-il faire encore ?
ZAKAN
Il faut un rédempteur.
JEPHTÉ
Que signifie ce mot ?
ZAKAN
Franchement, je l’ignore.
MYRIAM
Tu crois sans rien comprendre !
ZAKAN
C’est vrai, je le déplore.
JEPHTÉ
Que sais-tu donc encore ?
ZAKAN
Dans le livre de Dieu,
Il est dit que Moïse, étant déjà très vieux
Portait le deuil d’Aaron, son compagnon, son frère.
À peine les Hébreux ne l’avaient mis en terre
Que le roi de Harad leur coupa le chemin.
Ils furent assaillis par les Cananéens.
Beaucoup dans ce combat périrent par l’épée
Ou furent prisonniers, faible était leur armée.
Israël fit un vœu par-devant l’Éternel :
Si tu nous affranchis de ce tyran cruel,
De ses archers puissants, de ses soldats hostiles,
Par interdit nous dévouerons toutes ses villes.
Et Dieu les exauça, il brisa leurs liens.
Israël fut vainqueur de ce Cananéen.
On jeta l’interdit sur le moindre village
Et Horma fut le nom de ce lieu de carnage.
MYRIAM
Que veut dire « interdit » ?
ZAKAN
Ça, c’est une question
Digne d’une réponse.
MYRIAM
Y répondras-tu ?
ZAKAN
Non.
JEPHTÉ
J’ai compris : faire un vœu est une bonne chose
Qui devant le Seigneur à vaincre nous dispose.
Je ferai donc un vœu, devant vous je le dis
Et sur le roi d’Ammon je mettrai l’interdit.
Comptant sur toi, Zakan, pour chercher dans les livres
Ce qu’est cet interdit et comme il faut le vivre.
Mettons un terme enfin à la digression.
Nous parlions de Myriam et tes intentions.
J’ose espérer, jeune homme, que tu sais bien te battre.
ZAKAN
Contre ses jolis yeux je ne saurais combattre,
Je capitulerai, prostré à ses genoux.
JEPHTÉ
Ainsi donc, je t’invite à partir avec nous.
Puisque tu ne crains pas de mourir à la guerre,
Ma fille te suivra, te regardera faire,
Pendant ces durs moments de lutte et de douleur
Il faudra qu’elle apprenne à écouter son cœur.
C’est au sein de l’épreuve et dans les jours extrêmes
Qu’on découvre souvent quel est celui qu’on aime.
C’est assez discuté. Allez-vous-en tous deux,
Que je vous voie marcher comme des amoureux.
(Myriam et Zakan s’éloignent. Jéred paraît sans être vu de Jephté.)
© 2024 Lilianof
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