Jephté·Rois, Soldats et Prophètes·Théâtre

Jephté – Acte III (5)

Scène VII

MYRIAM – ZAKAN – JEPHTÉ

JEPHTÉ

Qui donc a dit que j’étais d’une humeur
À massacrer les gens ? Et qui me fait l’honneur
De courtiser ma fille, ainsi, devant ma porte ?
Et s’il veut t’enlever, après tout, que m’importe ?

MYRIAM

Père !

JEPHTÉ

N’as-tu pas dit qu’être une femme enfin
Dans les bras d’un mari tu espérais en vain ?

MYRIAM

Je…

JEPHTÉ

Tu l’as dit. Voilà qu’un garçon se présente,
Mademoiselle joue la farouche innocente
Et fait sa mijaurée ! Quand tu auras cent ans
Tu prendras un époux boiteux, chauve et sans dents,
Pour n’avoir accepté quand l’âge était facile
Un ami plein d’amour et fait ta difficile.

MYRIAM

Je…

ZAKAN

Voilà de Jephté un imprévu soutien.
J’aurais cru…

JEPHTÉ

L’aimes-tu, Myriam ?

MYRIAM

Je n’en sais rien.

JEPHTÉ

Et toi, quel est ton nom ?

ZAKAN

Zakan, à ton service.

JEPHTÉ

Eh bien ! Zakan, dis-moi, parle sans artifice.
Aimes-tu bien ma fille et veux-tu l’épouser ?

ZAKAN

Plus que ma vie, je l’aime, à me laisser briser.
Il n’y a qu’Adonaï que j’aime au-dessus d’elle.

JEPHTÉ

Tu aimes Dieu plus que ma fille ?

ZAKAN

Je suis fidèle.
Moins que père ou que mère, moins que son cher enfant
On ne doit aimer Dieu, sa loi nous le défend.

JEPHTÉ

Tu connais donc la loi ?

ZAKAN

Je veux être agréable
Au Dieu qui me créa, ce maître incomparable.

JEPHTÉ

J’aimerais le connaître.

ZAKAN

Le prophète Azaël
M’enseigne la Torah.

JEPHTÉ

Mais le Dieu d’Israël
M’aurait choisi, dit-on, pour être capitaine
Et son peuple conduire par les monts et les plaines
Pour corriger d’Ammon les soldats insolents
En leur plantant gaîment mon sabre dans le flanc.
Ma fille ne sait pas si ou non elle t’aime
Et je suis pour ma part d’une ignorance extrême.
Aimé-je ou non ce Dieu, faut-il pour le servir
Les déserts traverser, les montagnes gravir ?

ZAKAN

Mon ami, Abraham, ce digne patriarche
Rencontra l’Éternel quand il se mit en marche.
Il coupa, nous dit-on, un bœuf de son troupeau
Et, d’un pas solennel, entre les deux morceaux
Avec le Dieu des cieux il conclut alliance.

JEPHTÉ

Quelle étrange pratique ! barbare expérience !

ZAKAN

C’est en sacrifiant que l’on gagne le ciel,
Le pardon des péchés, de nos actes charnels.

JEPHTÉ

Je sacrifierai donc. Allons-y ! Faisons vite !

ZAKAN

Il va falloir un prêtre ainsi que des lévites.
Tiens-toi prêt dans le calme et point d’emportement,
Car on ne sacrifie pas n’importe comment.
Il te faudra choisir parmi toutes tes bêtes
La brebis sans défaut garnie de dents parfaites.

JEPHTÉ

Appelons au secours un sacrificateur.
Que faut-il faire encore ?

ZAKAN

Il faut un rédempteur.

JEPHTÉ

Que signifie ce mot ?

ZAKAN

Franchement, je l’ignore.

MYRIAM

Tu crois sans rien comprendre !

ZAKAN

C’est vrai, je le déplore.

JEPHTÉ

Que sais-tu donc encore ?

ZAKAN

Dans le livre de Dieu,
Il est dit que Moïse, étant déjà très vieux
Portait le deuil d’Aaron, son compagnon, son frère.
À peine les Hébreux ne l’avaient mis en terre
Que le roi de Harad leur coupa le chemin.
Ils furent assaillis par les Cananéens.
Beaucoup dans ce combat périrent par l’épée
Ou furent prisonniers, faible était leur armée.
Israël fit un vœu par-devant l’Éternel :
Si tu nous affranchis de ce tyran cruel,
De ses archers puissants, de ses soldats hostiles,
Par interdit nous dévouerons toutes ses villes.
Et Dieu les exauça, il brisa leurs liens.
Israël fut vainqueur de ce Cananéen.
On jeta l’interdit sur le moindre village
Et Horma fut le nom de ce lieu de carnage.

MYRIAM

Que veut dire « interdit » ?

ZAKAN

Ça, c’est une question
Digne d’une réponse.

MYRIAM

Y répondras-tu ?

ZAKAN

Non.

JEPHTÉ

J’ai compris : faire un vœu est une bonne chose
Qui devant le Seigneur à vaincre nous dispose.
Je ferai donc un vœu, devant vous je le dis
Et sur le roi d’Ammon je mettrai l’interdit.
Comptant sur toi, Zakan, pour chercher dans les livres
Ce qu’est cet interdit et comme il faut le vivre.
Mettons un terme enfin à la digression.
Nous parlions de Myriam et tes intentions.
J’ose espérer, jeune homme, que tu sais bien te battre.

ZAKAN

Contre ses jolis yeux je ne saurais combattre,
Je capitulerai, prostré à ses genoux.

JEPHTÉ

Ainsi donc, je t’invite à partir avec nous.
Puisque tu ne crains pas de mourir à la guerre,
Ma fille te suivra, te regardera faire,
Pendant ces durs moments de lutte et de douleur
Il faudra qu’elle apprenne à écouter son cœur.
C’est au sein de l’épreuve et dans les jours extrêmes
Qu’on découvre souvent quel est celui qu’on aime.
C’est assez discuté. Allez-vous-en tous deux,
Que je vous voie marcher comme des amoureux.

(Myriam et Zakan s’éloignent. Jéred paraît sans être vu de Jephté.)

© 2024 Lilianof

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