Il était né bossu, dans un village hohokam niché au pied du Picacho Peak, en Arizona.
Mi-déception, mi-superstition, ses parents le nommèrent Kokopelli, espérant vaguement que sa difformité leur attirerait les faveurs du dieu tutélaire de la tribu. Depuis des temps immémoriaux en effet, les amérindiens de l’Ouest avaient coutume de dessiner sur les parois rocheuses la silhouette courbe d’un joueur de flûte à tête emplumée, ce Kokopelli qui les laissait souvent perplexes avec des farces qu’on aurait cru indignes d’un habitant des régions invisibles. Mais il fallait le respecter, car il avait le pouvoir d’accorder des moissons abondantes, et de guérir les femmes stériles.
L’enfant grandit ; avec lui sa bosse, hélas, en proportion. A sept ans, Koko (tout le village l’abrégeait ainsi), Koko manifesta un intérêt soudain et tenace pour la flûte à six trous. Il apprit à en jouer tout seul, avec une telle virtuosité et un tel pathos, que le soir, après les travaux de la journée, hommes et femmes s’asseyaient en rond autour du jeune musicien pour écouter ses improvisations, jusque tard dans la nuit.
A dix ans, entre deux morceaux de flûte, Koko se mit à énoncer d’une voix forte des sentences inattendues ; souvent énigmatiques, mais parfois claires, et on ne pouvait en douter, prophétiques. Par exemple, s’il disait que la chasse du lendemain serait bonne, il en était ainsi ; quand au contraire il l’annonçait mauvaise, les chasseurs rentraient bredouille. Un membre de la tribu tombait-il malade ? une parole de Koko sur l’issue de la maladie valait le verdict des meilleurs médecins. L’admiration et le respect pour le petit bossu gagna rapidement tout le village ; on lui confectionna un bonnet à plumes multicolores qui lui seyait à merveille.
A douze ans Koko voulut tout savoir sur les origines de son peuple, sur ses rapports avec le grand Manitou, le grand Esprit protecteur. Il alla donc interroger les anciens. Après avoir rapidement épuisé leur maigre savoir, embarrassés et vexés par les questions intelligentes de l’adolescent, les chefs finirent pas se plaindre à ses parents. Ces derniers, plutôt fiers des talents de Koko, promirent de le garder sous bonne discipline, tout en éprouvant un peu d’inquiétude quant à l’avenir, se demandant si le vrai Kokopelli, le céleste farceur, ne leur avait pas encore joué un de ses tours en… comment dire… s’incarnant, mais évidemment ils ne connaissaient pas le mot.
A dix-sept ans Koko tomba amoureux fou de Kachina, la fille du Chef principal ; il alla demander sa main. Le père, en considération des dons surnaturels du prétendant, n’aurait pas dit non, mais la belle Kachina, absolument dégoûtée par la gibbosité de cet infirme, ne voulut rien savoir. Sous le couteau du rejet lacérant profondément son cœur, Koko comprit que sa bosse l’empêcherait toujours de gagner celle qu’il aimait. Il quitta le village et s’en fut habiter dans une caverne, sur les hauteurs de Picacho Peak.
Le jour, il arpentait en boucle les sentiers arides de la montagne, se nourrissant de baies et de petits lézards, buvant le jus des cactus. Sa blessure intérieure s’était tant bien que mal refermée, mais sur la cicatrice avait grandi une deuxième bosse, invisible celle-ci, mais lourde d’amertume, de rancœur, de vengeance, et dont la pesanteur le courbait encore plus.
La nuit, assis à l’entrée de sa caverne, il jouait de la flûte, en regardant les étoiles. Il leur avait donné des noms, du moins aux principales qu’il regroupait en formes approximatives d’animaux du désert : il y avait les étoiles du Jack Rabbit, celles du Coyote, celles du Monstre de Gila… Observateur, Koko avait remarqué que tous les ans, lorsque la nuit était la plus longue, l’étoile située à la pointe de l’oreille droite du Jack Rabbit se levait exactement sur le sommet de Picacho Peak.
Le lendemain, qui était par conséquent la journée la plus courte, poussé par quelque esprit, il redescendait vers le village. Là une étrange cérémonie annuelle l’attendait. Koko se plaçait au centre et commençait à jouer de la flûte. Une à une les femmes stériles sortaient de leur tente, et s’avançaient vers lui. La première plaçait une main sur son ventre, l’autre sur la bosse de Koko, puis s’était le tour de la suivante. Ce symbolisme un peu simplet fonctionnait-il ? Les Hohokams le croyaient… Mais quel ne fut pas le frémissement du joueur de flûte, lorsqu’une année la main qu’il sentit se poser sur sa bosse, n’était autre que celle de Kachina ! qui entre temps s’était mariée. Il sut que sa blessure s’était rouverte.
Dans la trentième année de son âge Koko nota l’apparition d’une étoile nouvelle qui semblait se déplacer par rapport aux autres. Très intrigué il la surveilla chaque nuit. Et voici qu’au moment où l’étoile du Jack Rabbit allait signaler la nuit la plus longue, la nouvelle était à sa place ! brillant d’un éclat fulgurant ! Des draperies lumineuses ondoyaient autour d’elles dans l’Est ; brusquement des milliers de voix entonnèrent un chant dans une langue inconnue : Yeled Yullad Lanou Ben Nitan Lanou… Puis peu à peu les lueurs et les sons s’estompèrent, la voûte étoilée repris son aspect habituel. Mais Koko, yeux grands ouverts, restait comme frappé d’extase.
Un peu avant l’aube il se leva, et redescendit, ou plutôt courut vers le village. Les habitants surpris de le voir arriver de si bonne heure s’assemblèrent en cercle autour de lui, l’interrogeant du regard. Alors Koko, visage resplendissant, arrache sa coiffure à plumes, et la jette avec violence par terre :
– Le Grand Esprit ne veut plus !!!
– Ne veut plus quoi, Koko ?
– De notre cérémonie stupide ! Demandez lui vous-mêmes des fils et des filles, et il vous les donnera !
Puis levant un genou le prophète s’apprêtait à briser sa flûte en deux, lorsqu’il se ravisa, et la remit à sa ceinture.
Koko ne repartit pas dans la montagne, mais il habita de nouveau au village, aidant les uns et les autres, autant que lui permettait sa bosse extérieure. Quant à l’intérieure, elle existait sans doute, mais elle avait diminué considérablement de taille et de poids, car il lui arrivait d’oublier sa présence plusieurs jours de suite, pendant lesquels il se sentait au contraire gonflé d’une joie inexplicable, de sentiments de bienveillance envers tous, et de reconnaissance envers le grand Manitou.
Koko jouait toujours de la flûte, mais autrement. Obsédé par le chant qu’il avait entendu lors de la fameuse nuit, il essayait d’en reproduire la mélodie, sans y arriver vraiment. Lorsqu’il en approchait au plus près, les hommes sarclant la terre se redressaient, les femmes arrêtaient de pétrir la farine, les enfants suspendaient leurs jeux, tous écoutaient, et même les criquets se taisaient.
Koko sentant sa fin prochaine voulut laisser une trace des paroles ineffables qui s’étaient imprimées dans sa mémoire, bien qu’il en ignorât la signification : Yéled Yulad… Les Hohokams n’avaient pas d’alphabet, seulement leurs pétroglyphes, des dessins représentant les choses, qu’ils gravaient sur les roches. Aussi Koko essaya de représenter les sons qu’il avait entendus, par proximité avec les sons de sa langue :
– Mais Koko, ça ne veut rien dire !
– Je sais… et pourtant…
Koko mourut.
Les années, les siècles coulèrent, le linceul rougeâtre d’argile du désert recouvrit les Hohokams et leur village ; restèrent, à demi-effacés, les pétroglyphes de Koko… et leur secret.

- Indiana – Mais ça ne veut rien dire !
- Dr Jones – Ça ne veut rien dire, Junior, si tu lis comme des pictogrammes, mais imagine qu’on a juste voulu représenter des sons…
- Indiana – ???… Yeled… Yullad… Lanou… Ben… Nitan… By Jove ! Ça ressemble à de l’hébreu !
- Dr Jones – C’est de l’hébreu ! Junior.

Je ne sais pas d’où te vient cette histoire… mais elle est très belle et originale !
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Merci !
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Excellent conte de Noël qui nous conduit à Christ ! Le Dr Jones qui dit « C’est de l’hébreu ! Junior. » m’a bien fait rire.
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