Jephté·Rois, Soldats et Prophètes·Théâtre

Jephté – Acte IV (7)

Scène VII

JEPHTÉ – MYRIAM – ZAKAN

JEPHTÉ

Mais, j’entends une voix. Qu’est-ce donc ?

MYRIAM

Chantez, chantez
Qu’il soit exalté
Car il est le Dieu de nos pères.

JEPHTÉ

C’est ma fille !

MYRIAM

Louez, louez
Le Dieu d’éternité
Des prodiges il opère.

(Elle sort de la tente, chantant et dansant.)

JEPHTÉ

Hélas ! ma pauvre fille !

MYRIAM

Il est notre grand guerrier.
Il est notre bouclier.

JEPHTÉ

  Mets un terme à ton chant !

MYRIAM

Quand le Pharaon, le Pharaon furieux
Poursuivant d’une rage immonde
Le peuple au cœur pur et pieux
Au cœur pur et pieux
Adonaï sépara les ondes.

JEPHTÉ

Te tairas-tu, Myriam ?

MYRIAM

Il sépara les flots
Et la mer des Joncs furibonde,
Et la mer furibonde

JEPHTÉ

Sort cruel et méchant !

MYRIAM

Et la mer furibonde
Les chevaux il a emporté.
Du Dieu vivant la grâce abonde
Et grande est sa bonté.

JEPHTÉ

Elle vient. Quel malheur ! Funeste providence !

MYRIAM

Il a renversé
Chevaux et cavaliers
Il est notre grand guerrier.

JEPHTÉ

Pourquoi ce Dieu sur qui j’ai mis ma confiance
M’a-t-il ainsi livré aux griffes de Satan ?

ZAKAN

(Il sort de la tente, chante en duo avec Myriam, mais se tient toujours derrière elle.)

Chantez, chantez.
Louez, louez.

MYRIAM

Louez, louez.
Chantez, chantez,
Louez le Dieu d’éternité.
De Pharaon la grande armée…

JEPHTÉ

N’approche pas de moi !

ZAKAN

De Pharaon la grande armée…

MYRIAM

Dans les flots fut précipitée.
Il est notre bouclier.

JEPHTÉ

                                   Non ! Ma fille ! Va-t’en !

ZAKAN

Dans les flots fut précipitée.
Il est notre bouclier.

ZAKAN et MYRIAM

Chantez, chantez.
Louez, louez.
Louez le Dieu d’éternité.
De Pharaon la grande armée
Dans les flots fut précipitée.
Il est notre bouclier.

MYRIAM

Eh ! L’air de ces montagnes est vraiment bénéfique
À ma voix de soprane.

JEPHTÉ

                                   Retrouvailles tragiques !

MYRIAM

Béni soit ton retour, serre-moi sur ton cœur.

(Jephté déchire son vêtement.[1])

MYRIAM

Que signifie…

ZAKAN

                        Jephté !

JEPHTÉ

                                        Mon seul enfant ! Malheur !

ZAKAN

Étonnantes manières ! Quelle étrange accolade !

MYRIAM

Quoi ? Justifieras-tu, père, cette incartade ?
Je viens vers toi chantant, dansant pour t’accueillir
Et tu bondis d’effroi en me voyant venir,
Déchire ton habit et crie, Dieu me pardonne
Comme si tu voyais une horrible démone.
J’espérais de ta part une autre attention
Et j’attends sur-le-champ tes explications.

JEPHTÉ

Mon enfant, est-ce ainsi que l’on parle à son père ?

MYRIAM

Si père devient fou, ce n’est pas mon affaire.

JEPHTÉ

Ma fille…

MYRIAM

                Mais pourquoi ces larmes dans tes yeux ?

JEPHTÉ

J’ai fait, pauvre Myriam, un serment devant Dieu.

MYRIAM

Et alors ?

JEPHTÉ

              Quel malheur ! Quel fardeau nous accable !
Un vœu à l’Éternel !

MYRIAM

                                C’est donc irrévocable ?

JEPHTÉ

Irrévocable, et prononcé devant témoin.
Je n’ai pas d’autre choix.

MYRIAM

                                   Est-ce grave à ce point ?

JEPHTÉ

J’ai promis au Seigneur, si je gagne la guerre,
D’offrir en sacrifice, quand ce serait mon père,
Celui qui de ce camp sortirait le premier.

MYRIAM

Ô mon père…

JEPHTÉ

                        Pour moi la fange et le fumier.
Ô parleur insensé, dépourvu de cervelle !
Et toi qui es venue pour m’embrasser, la belle !
Eussé-je en combattant trouvé cent fois la mort,
Je n’aurais pas connu le deuil et le remords.

ZAKAN

Quel père pourrait-il survivre après ce crime ?
Je m’en vais de ce fer l’envoyer dans l’abîme.

MYRIAM

Que fais-tu ?

ZAKAN

                  Ce forban mérite de périr.

MYRIAM

Comme verser le sang tu te plais à courir !
Pose-moi cette épée. Quelle est cette folie ?
Tu ne changeras rien au devoir qui me lie.
Cette divine paix qui naît au fond de moi
Inonde tout mon être. C’est le fruit de ma foi.
J’entends la voix d’amour du Dieu qui m’a saisie.
N’avais-je pas promis de lui donner ma vie ?
Pour la paix de mon père il faut payer le prix ;
Que Dieu prenne en son sein l’enfant qu’il a chéri.
Sois apaisé, Zakan, et n’aie point de colère ;
Je dois jusqu’à la mort obéir à mon père.

ZAKAN

Mais, je te perds, Myriam.

MYRIAM

                                        Ne sois donc pas jaloux.
Je suis d’abord à Dieu plutôt qu’à mon époux.

ZAKAN

Je t’aime et je ne puis comprendre ta sagesse.

MYRIAM

Continue de m’aimer.

ZAKAN

                                   Je t’en fais la promesse.

JEPHTÉ

Ma douce enfant chérie, tu ne me hais donc point ?

ZAKAN

Moi non plus.

JEPHTÉ

                        Me voici rassuré sur ce point.

MYRIAM

Avant de trépasser par la flamme et la corde,
Il est une faveur qu’il faut que tu m’accordes.

JEPHTÉ

Laquelle ?

MYRIAM

               Donne-moi juste deux ou trois mois.
Je prendrai mes douleurs et mon deuil avec moi.
J’irai vers mes amies, les filles du village.
De ma virginité, avec ceux de mon âge,
Je porterai le deuil.

JEPHTÉ

                             Je suis désemparé.

ZAKAN

Jephté, tu n’es pas seul, arrête de pleurer.


[1] Selon la coutume des Israélites, c’était une manière d’exprimer le deuil, la colère ou le désespoir.

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