Manassé·Rois, Soldats et Prophètes·Théâtre

Manassé – Acte Premier (2)

Scène III

KÉZIA (cachée) – JOËL – LÉMETH

LÉMETH

Je te cherchais, mon fils, car nous devons parler.

JOËL

Sans doute voulez-vous encor me quereller.

LÉMETH

Non point, mais nous pensons qu’il est l’heure à votre âge
De fonder des projets pour votre mariage.

(Ils sortent, Kézia quitte sa cachette. Entrent Ésaïe et Manassé.)

Scène IV

KÉZIA – ÉSAÏE – MANASSÉ

ÉSAÏE

Il m’a semblé pressant de vous entretenir
Concernant une affaire imminente à venir.
Si Votre Majesté accepte de m’entendre.

KÉZIA

Le roi ! Je suis grillée !

(Elle retourne se cacher.)

MANASSÉ

                                   Oui, je veux tout apprendre.

ÉSAÏE

D’un puissant visiteur, je dois vous avertir…

MANASSÉ

Le prince d’Askalon ou bien le roi de Tyr ?

ÉSAÏE

Si vous m’interrompez, donnerai-je réponse ?

MANASSÉ

Je vous suis toute écoute et j’attends votre annonce.

KÉZIA

Quel est ce vieux chenu ? Mais comme il parle au roi !

MANASSÉ

Ésaïe, vieil ami, mon oreille est à toi.

KÉZIA

Que voilà du grand monde ! Ésaïe, un prophète !
Quel bruit de cataclysme aurait-il en sa tête ?

MANASSÉ

Un visiteur, dis-tu ?

ÉSAÏE

                              Le prince Asarhaddon.

MANASSÉ

Quoi ? Le roi d’Assyrie ?

ÉSAÏE

                                   Lui-même.

KÉZIA

                                                   Eh bien ! Pardon !
C’est la journée des rois ! Et moi, je cherche un prince
Mais partons, que ces grands couronnés ne me coincent.
Non, j’aimerais savoir ce qu’ils vont décider.
Je reste ici. Très bien ! Le ciel puisse m’aider,
Car si l’on me découvre il pourrait fort m’en cuire.

ÉSAÏE

Ce roi des Chaldéens voudrait bien te séduire.
De la Sainte Écriture n’oublie pas le conseil
Et garde, je te prie, ton esprit en éveil.
Maudit qui se confie en sa propre puissance,
Qui dans l’arc ou l’épée place son espérance,
Qui choisit pour appui la force du cheval
Et signe avec la chair un accord déloyal.
Il est aux yeux de Dieu un prince abominable,
Au milieu du désert s’en va nu, misérable,
Il habite en des lieux étouffants de chaleur,
Une terre salée, ruinée pour son malheur,
Un pays dévasté d’où les hommes s’enfuient.
Mais béni soit celui qui vers Dieu se confie
Et qui, sa vie durant, espère en l’Éternel,
Toujours abandonné à ses soins paternels.
Comme un arbre planté près des sources d’eau vive
Il déploie ses racines au courant de ses rives.

KÉZIA

Que c’est beau !

ÉSAÏE

                        Il ne craint les ardeurs du soleil.

KÉZIA

Oyez cet orateur à nul autre pareil !

ÉSAÏE

En pleine sécheresse il garde sa parure,
La couronne à son chef conserve sa verdure,
Au jour de la misère il porte tout son fruit
Car il a l’Éternel pour fort et pour appui.[1]

KÉZIA

Je vois de ce vieillard le rassurant visage
Et puis lire la paix sur le front de ce sage,
Il a de l’Éternel une pleine onction,
Rempli de sa Ruach, sa bénédiction
Rayonne sur mon cœur, sur mon corps, sur mon âme,
De ma foi qui sommeille il attise la flamme.
Le lumignon blafard qui fume et qui s’éteint
S’embrase en un instant au vent de l’Esprit-Saint.

ÉSAÏE

Mais tu ne sembles pas en état de m’entendre.

MANASSÉ

Je suis préoccupé, à quoi bon m’en défendre,
Mais j’ai bien écouté tes utiles conseils.

ÉSAÏE

Pourtant…

MANASSÉ

                        Vois le tourment qui trouble mon sommeil :
Mon fils aîné, Joël, est un garçon docile,
Mais il est délicat et son âme est fragile.
Il porte avec effort le poids du célibat
Et sur les hyménées me fait tout un débat.
Je souffre, patient, les folies de son âge
Et sa mère, sans fin, me parle mariage.
Je cours tous les châteaux, ingérable parcours,
Flatte de tous les rois et la suite et la cour,
Cherchant de tout seigneur ou la fille ou la nièce
Pour couronner sa tête et la faire princesse
Mais de ces prétendantes il n’est pas satisfait :
Leurs yeux n’ont point d’éclat ou leur nez est mal fait.
Je ne puis plus avant subir son caractère.
Je songe à quelque fille, elle devra lui plaire.

ÉSAÏE

Qui donc as-tu choisi pour le prince Joël ?
Une riche païenne ? Une enfant d’Israël ?

MANASSÉ

Cette fille, mon cher, est d’un sang respectable
Et pour ma descendance un parti désirable.

ÉSAÏE

Sire…

MANASSÉ

            Je le saurais contraindre à l’épouser.

ÉSAÏE

Avant de t’enflammer il faudrait bien peser.

MANASSÉ

C’est résolu. Je suis repu de cette affaire.

ÉSAÏE

Recherche le dessein de Dieu par la prière.

(Ésaïe et Manassé se séparent.)


[1] D’après Jérémie 17.5/8

© 2024 Lilianof

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