Scène III
KÉZIA (cachée) – JOËL – LÉMETH
LÉMETH
Je te cherchais, mon fils, car nous devons parler.
JOËL
Sans doute voulez-vous encor me quereller.
LÉMETH
Non point, mais nous pensons qu’il est l’heure à votre âge
De fonder des projets pour votre mariage.
(Ils sortent, Kézia quitte sa cachette. Entrent Ésaïe et Manassé.)
Scène IV
KÉZIA – ÉSAÏE – MANASSÉ
ÉSAÏE
Il m’a semblé pressant de vous entretenir
Concernant une affaire imminente à venir.
Si Votre Majesté accepte de m’entendre.
KÉZIA
Le roi ! Je suis grillée !
(Elle retourne se cacher.)
MANASSÉ
Oui, je veux tout apprendre.
ÉSAÏE
D’un puissant visiteur, je dois vous avertir…
MANASSÉ
Le prince d’Askalon ou bien le roi de Tyr ?
ÉSAÏE
Si vous m’interrompez, donnerai-je réponse ?
MANASSÉ
Je vous suis toute écoute et j’attends votre annonce.
KÉZIA
Quel est ce vieux chenu ? Mais comme il parle au roi !
MANASSÉ
Ésaïe, vieil ami, mon oreille est à toi.
KÉZIA
Que voilà du grand monde ! Ésaïe, un prophète !
Quel bruit de cataclysme aurait-il en sa tête ?
MANASSÉ
Un visiteur, dis-tu ?
ÉSAÏE
Le prince Asarhaddon.
MANASSÉ
Quoi ? Le roi d’Assyrie ?
ÉSAÏE
Lui-même.
KÉZIA
Eh bien ! Pardon !
C’est la journée des rois ! Et moi, je cherche un prince
Mais partons, que ces grands couronnés ne me coincent.
Non, j’aimerais savoir ce qu’ils vont décider.
Je reste ici. Très bien ! Le ciel puisse m’aider,
Car si l’on me découvre il pourrait fort m’en cuire.
ÉSAÏE
Ce roi des Chaldéens voudrait bien te séduire.
De la Sainte Écriture n’oublie pas le conseil
Et garde, je te prie, ton esprit en éveil.
Maudit qui se confie en sa propre puissance,
Qui dans l’arc ou l’épée place son espérance,
Qui choisit pour appui la force du cheval
Et signe avec la chair un accord déloyal.
Il est aux yeux de Dieu un prince abominable,
Au milieu du désert s’en va nu, misérable,
Il habite en des lieux étouffants de chaleur,
Une terre salée, ruinée pour son malheur,
Un pays dévasté d’où les hommes s’enfuient.
Mais béni soit celui qui vers Dieu se confie
Et qui, sa vie durant, espère en l’Éternel,
Toujours abandonné à ses soins paternels.
Comme un arbre planté près des sources d’eau vive
Il déploie ses racines au courant de ses rives.
KÉZIA
Que c’est beau !
ÉSAÏE
Il ne craint les ardeurs du soleil.
KÉZIA
Oyez cet orateur à nul autre pareil !
ÉSAÏE
En pleine sécheresse il garde sa parure,
La couronne à son chef conserve sa verdure,
Au jour de la misère il porte tout son fruit
Car il a l’Éternel pour fort et pour appui.[1]
KÉZIA
Je vois de ce vieillard le rassurant visage
Et puis lire la paix sur le front de ce sage,
Il a de l’Éternel une pleine onction,
Rempli de sa Ruach, sa bénédiction
Rayonne sur mon cœur, sur mon corps, sur mon âme,
De ma foi qui sommeille il attise la flamme.
Le lumignon blafard qui fume et qui s’éteint
S’embrase en un instant au vent de l’Esprit-Saint.
ÉSAÏE
Mais tu ne sembles pas en état de m’entendre.
MANASSÉ
Je suis préoccupé, à quoi bon m’en défendre,
Mais j’ai bien écouté tes utiles conseils.
ÉSAÏE
Pourtant…
MANASSÉ
Vois le tourment qui trouble mon sommeil :
Mon fils aîné, Joël, est un garçon docile,
Mais il est délicat et son âme est fragile.
Il porte avec effort le poids du célibat
Et sur les hyménées me fait tout un débat.
Je souffre, patient, les folies de son âge
Et sa mère, sans fin, me parle mariage.
Je cours tous les châteaux, ingérable parcours,
Flatte de tous les rois et la suite et la cour,
Cherchant de tout seigneur ou la fille ou la nièce
Pour couronner sa tête et la faire princesse
Mais de ces prétendantes il n’est pas satisfait :
Leurs yeux n’ont point d’éclat ou leur nez est mal fait.
Je ne puis plus avant subir son caractère.
Je songe à quelque fille, elle devra lui plaire.
ÉSAÏE
Qui donc as-tu choisi pour le prince Joël ?
Une riche païenne ? Une enfant d’Israël ?
MANASSÉ
Cette fille, mon cher, est d’un sang respectable
Et pour ma descendance un parti désirable.
ÉSAÏE
Sire…
MANASSÉ
Je le saurais contraindre à l’épouser.
ÉSAÏE
Avant de t’enflammer il faudrait bien peser.
MANASSÉ
C’est résolu. Je suis repu de cette affaire.
ÉSAÏE
Recherche le dessein de Dieu par la prière.
(Ésaïe et Manassé se séparent.)
[1] D’après Jérémie 17.5/8
© 2024 Lilianof
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