Manassé·Rois, Soldats et Prophètes·Théâtre

Manassé – Acte Premier (3)

Scène V

KÉZIA

Du prophète Ésaïe qu’il écoute la voix :
Une enfant d’Israël ? Une fille de Roi ?
Me voici, Manassé. Pour bru veux-tu me prendre ?
Mais partons loin d’ici. On pourrait me surprendre.

(Entre Lémeth.)

Scène VI

KÉZIA – LÉMETH

LÉMETH

Quel jeune homme rebelle et quel fils obstiné !

KÉZIA

La reine ! Elle m’a vue. Mon sort est dessiné !

LÉMETH

Qui êtes-vous ?

KÉZIA (à part)

                        Malheur ! Je suis déjà pendue.

(à Lémeth)

Je cherchais mon chemin et je me suis perdue.
Il est dans ce palais tant de murs et couloirs
Que de trouver la rue j’ai perdu tout espoir.

LÉMETH

Qui vous a introduit jusqu’ici, jeune gueuse ?
Et quel est votre nom ?

KÉZIA

                                   Kézia.

LÉMETH

                                               Quoi ? La fameuse,
Qui du prince Joël a chaviré le cœur
Et touillé les neurones ?

KÉZIA

                                   C’est bien moi, j’en ai peur.

LÉMETH

Oserais-tu prétendre, infime sauterelle
Entrer dans la famille ? Médiocre cervelle !
Oserais-tu priser un homme de son rang
Et crois-tu qu’on unisse une mule au pur-sang ?
Joël épousera d’un souverain la fille
Et de quitter ces lieux vous seriez bien gentille.
Ainsi l’a décidé Manassé, mon mari.
De vous livrer au fouet nous serions fort marris.
Partez !

KÉZIA

            Je ne suis pas digne de la noblesse,
Mais de l’aimer toujours je vous fais la promesse.
Qu’importe le royaume, et l’or et le pouvoir ;
Nous voulons nous aimer. Vous êtes notre espoir.
Ô ne permettez pas que le prince périsse,
N’offrez à l’intérêt Joël en sacrifice.
Pour nous parlez au roi. Laissez-nous vivre en paix.
Nous vous serons fidèles et vassaux pour jamais.

LÉMETH

Je devrais écouter ces étranges paroles
Et me mêler ainsi d’amourettes frivoles ?

KÉZIA

Le prophète Ésaïe a bien prophétisé
Quand il disait au roi d’un conseil avisé :
Est-ce en la royauté ou bien dans la richesse
Qu’il convient de chercher la nouvelle princesse ?
Le roi ne veut-il point, pour plaire à l’Éternel
Choisir pour belle-fille une enfant d’Israël ?
Salomon, le grand roi, n’a-t-il, par son exemple
Fait brûler des parfums étrangers dans son temple ?
N’avait-il pas promis à Dieu fidélité ?
Rempli de l’Esprit-Saint, de foi, de vérité,
Ce prince incomparable, tout en grâce et sagesse,
N’a-t-il pas épousé, ô coupable faiblesse
Celle qui le lia, fille de Pharaon ?
L’égyptienne beauté a vaincu sa raison.

LÉMETH

Vous n’y comprenez guère à la diplomatie.
Ces alliances-là, dans l’aristocratie
Renforcent le pouvoir des reines et des rois.

KÉZIA

Le pouvoir ! Et voici ce que j’en pense, moi :
À quoi bon conquérir les royaumes du monde
Si l’on y perd son âme ? La détresse est profonde.
Salomon adula des femmes par milliers.
Aux pieds de leurs idoles ses genoux ont plié.
Abandonnant de Dieu la sagesse infinie
Il servit les statues aux temples d’infamie.
Pour avoir espéré dans la force des grands
Et mit son espérance en la main des puissants,
N’ayant su conserver la foi de sa jeunesse,
Il laisse à Roboam un royaume en détresse.

LÉMETH

Sur ce thème, il est vrai, je ne riposte point.
Je n’ai rien à redire et tu marques un point.
La résolution du roi est affermie
Mais je lui parlerai de toi. Soyons amies.

(Accolade. Sort Lémeth. Entre Judith.)

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