Scène IV
MANASSÉ – ASARHADDON – SALIA – JOËL
MANASSÉ
Joël, approchez-vous.
SALIA (à part)
Voilà ce gringalet qu’on me veut pour époux !
MANASSÉ
Joël, Sa Majesté l’empereur d’Assyrie
Qui règne de l’Euphrate aux confins de l’Asie
En venant jusqu’ici nous fait honneur, ce soir
Et requérait de nous le plaisir de vous voir.
JOËL
L’honneur est partagé. C’est une grande joie…
ASARHADDON
Venez donc, jeune prince. Il faut que je vous voie.
Voici ce diamant, ma fille Salia.
JOËL (à part)
Une pierre bien terne auprès de ma Kézia.
MANASSÉ
Voyez ce bel enfant, la plus pure des âmes.
Asarhaddon voudrait vous la donner pour femme.
JOËL (à part)
Elle est bien plus vieille que moi !
MANASSÉ
Eh bien ! mon fils,
N’est-elle plus gracieuse que la rose et le lis ?
JOËL (à part)
Oui, gracieuse, en effet ! autant que la montjoie !
Je n’y trouve matière à gambader de joie.
(à Manassé)
En effet, mais…
SALIA
Comment ? Que signifie ce « mais » ?
Enfin, ne sait-il pas qui je suis, ce dadais ?
Du plus grand roi du monde il deviendrait le gendre
Et monsieur ne sait pas le chemin qu’il doit prendre !
Aurait-il espéré de plus dignes partis ?
Il fait son délicat comme l’est un nanti !
Sachez que l’Assyrie au caniveau s’abaisse
En lâchant à vos pieds sa plus noble princesse.
ASARHADDON
Salia ! S’il te plaît…
SALIA
Non ! il ne me plaît point !
Je me trouve offusquée, je vous prends à témoin,
Cette hésitation me paraît lourde injure.
Devant moi présenter une telle figure !
Un homme tel que lui devrait baiser mes pieds ;
Il ne mériterait de moi nulle pitié,
Mais s’il veut s’élever à m’avoir pour maîtresse
Il lui faudra couper mes griffes de tigresse.
Avec mes exigences il lui faudra compter
Car je ne suis point femme à me laisser dompter.
ASARHADDON
Ma fille, je vous prie, ne soyez pas si fière.
JOËL
Je devrais épouser cette affreuse mégère !
Et pour la politique et des rois le plaisir,
Un objet que j’exècre il me faudrait saisir !
Je ne consentirai point à cette folie.
Cette fille acariâtre et même pas jolie !
Père vous savez bien quelle reine a mon cœur.
Je l’aimerai, quoi qu’il en coûte à votre honneur.
Jusqu’au fond du tombeau je lui serai fidèle.
ASARHADDON
Manassé ! Corrigez donc cet enfant rebelle.
Parlez-lui. Ramenez ce prince à la raison.
SALIA
Je ne saurais souffrir pareille trahison.
ASARHADDON
Qu’il prenne Salia ou choisisse la guerre !
MANASSÉ
Mon fils épousera Kézia, la roturière.
ASARHADDON
Ai-je bien entendu ? C’est votre dernier mot ?
C’est le roi d’Assyrie que l’on prend pour un sot ?
Apprenez que jamais telle offre on ne décline.
Vous offensez ma fille, race pauvre, mesquine,
Sans craindre le courroux du prince Asarhaddon.
Je pourrais néanmoins vous donner mon pardon ;
Me réservant le temps d’apaiser ma colère,
Je ne m’empresse pas de déclarer la guerre.
Nous nous rencontrerons les armes à la main,
Peut-être dans dix ans, peut-être après-demain.
SALIA
Je vous ferai payer au plus fort cet outrage.
Me parler de la sorte, un hobereau ! j’enrage !
(Sortent Asarhaddon et Salia.)
Scène V
MANASSÉ – JOËL
JOËL
Mon père, qu’ai-je fait ? N’écoutant que mon cœur
J’ai plongé le pays entier dans le malheur.
Je vois bien l’embarras dans lequel je vous jette,
Mais peut-on accepter d’épouser cette bête ?
Alors que par l’amour mes pieds sont enchaînés,
Que la belle Kézia les yeux m’a détourné.
MANASSÉ
Mon fils, il ne faut pas te livrer en coupable.
Crois-tu que j’aie trouvé l’alliance admirable ?
Notre brave Ésaïe m’entretenait tantôt…
Et d’ailleurs, le voici, venant tout à propos.
(Entre Ésaïe.)
Scène VI
MANASSÉ – JOËL – ÉSAÏE
ÉSAÏE
Vous avez découvert la joyeuse chipie ?
JOËL
A-t-on ouï parler d’une telle harpie ?
MANASSÉ
Hélas ! Asarhaddon paraît fort courroucé,
D’une imminente guerre il nous a menacés.
ÉSAÏE
Voilà donc, mes amis, ce qui vous met en peine !
D’Égypte ou d’Assyrie les puissances sont vaines.
À quoi vous eut servi ce malheureux hymen
Alors que vous avez un protecteur ?
MANASSÉ
Amen !
ÉSAÏE
Manassé, vous avez choisi la résistance
Et d’un joug infidèle refusé l’alliance.
Sur le Dieu d’Israël prenez un ferme appui ;
Lui seul vous comblera de paix dès aujourd’hui.
Comptez sur son soutien et bannissez le doute,
Alors, vous pourrez voir les méchants en déroute.
MANASSÉ
Merci, cher Ésaïe, prophète de bonheur.
ÉSAÏE
Cependant, garde-toi de détourner ton cœur.
N’écoute point la voix de la magicienne
Qui jetterait ton âme au fond de la Géhenne.
Adieu !
(Sortent Ésaïe et Joël, entrent Nazar et Judith qui se tiennent à l’écart.)
Scène VII
MANASSÉ – NAZAR – JUDITH
MANASSÉ
Mais qu’entend-il par là ?
NAZAR (à Judith)
Il est à point.
C’est à toi de jouer. Ne t’épouvante point ;
Enchaîne Manassé dans les liens de tes charmes
Et que dans tes filets il te rendre ses armes.
(Sort Nazar.)
© 2025 Lilianof
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