Scène VI
MANASSÉ – ASARHADDON
ASARHADDON
Et tu crois que ton Dieu écoute tes histoires ?
MANASSÉ
Il entend, je le sais.
ASARHADDON
Vers ton Dieu créateur
Tu lances ta prière issue droit de ton cœur.
Est-ce un cri de sincère et juste repentance ?
Ne crains-tu pas plutôt de l’homme la vengeance ?
MANASSÉ
Que m’importe à présent la hache du bourreau ?
J’ai retrouvé la paix par-delà les barreaux.
Avec Dieu j’ai parlé, maintenant je vais vivre.
ASARHADDON
La terreur te rend fou, à moins que tu sois ivre.
MANASSÉ
Ivre ? Ici condamné à l’eau tiède, au pain dur ?
ASARHADDON
Libre tu te prétends, enfermé dans ces murs.
Sur ta vie, mon ami, j’ai posé mon empire
Et sur ta liberté j’ai quelques mots à dire.
(Il ouvre la grille.)
MANASSÉ
Quelle folie vous prend ? Quelle pensée ? Pourquoi ?
ASARHADDON
N’as-tu donc pas prié ? Qu’as-tu fait de ta foi ?
C’est le temps de la paix, c’est l’heure de la trêve.
Le Dieu qui tu priais m’apparut dans un rêve.
Moi qui ne craignais pas d’autre dieu que Mardouk,
Et des dieux moitié chèvres, et des dieux moitié boucs !
Ton Dieu s’est révélé, l’Éternel des Armées,
Disant : « Ne touche pas cette vie bien-aimée. »
Je réponds : « Quoi, Seigneur ? Le traître Manassé ?
Cet ignoble apostat qui t’avait offensé ?
Ne t’ai-je pas rendu le plus grand des services
En préparant pour lui de terribles supplices ?
– Non, dit-il, car je suis son divin rédempteur
Et de lui je ferai mon humble serviteur.
Je lui ai pardonné son infâme conduite.
Rends-lui sa liberté. Obéis tout de suite. »
(Entre Salia, armée d’un fouet.)
Scène VII
MANASSÉ – ASARHADDON – SALIA
SALIA
Vois ce bel instrument pour te faire plaisir.
Il te fera chanter et danser à loisir.
Ai-je la vue troublée ? Aurai-je la berlue ?
Manas en liberté ? Mais je tombe des nues !
Qui lui ouvrit la grille ? Qui donc ? Et de quel droit ?
ASARHADDON
De quel droit, ma chérie ? Du droit que je suis roi.
Et rien ne t’autorise à faire un tel tumulte.
Mon âge me permet de choisir en adulte.
Pour qui sont ces barreaux ? Pour qui la liberté ?
Que signifie ce fouet que tu m’as apporté ?
SALIA
Je viens lui caresser l’échine avec tendresse
Car de me le livrer tu me fis la promesse.
ASARHADDON
Eh bien ! Je dépromets !
SALIA
Ce captif m’appartient.
Renvoie-le dans la geôle. Je l’ordonne et j’y tiens !
ASARHADDON
Salia !
SALIA
Qu’attends-tu ? Veux-tu que je m’énerve ?
J’ai dans mon sang assez de colère en réserve.
ASARHADDON
À quoi te serviront tant de rage et de fiel ?
Car je crains plus encore l’ire de l’Éternel.
Il m’a donné des ordres en cette circonstance
Et ne puis l’offenser par désobéissance.
SALIA
Te voilà donc soumis au Dieu des Judéens ?
Dieu d’un peuple vaincu, c’est celui que tu crains ?
ASARHADDON
C’est lui qui m’a donné la puissance et l’empire.
À l’instant, s’il le veut, ce trône il me retire.
SALIA
Je t’ai toujours conduit sous mon autorité.
Tu me fais un affront pénible en vérité.
Oui, mon père est un roi bien pleutre et bien timide !
ASARHADDON
Soit ! Puisqu’il te déplaît de voir ce cachot vide,
C’est pour une princesse un luxueux séjour.
(Il l’enferme.)
SALIA
Père, tes reparties ne manquent pas d’humour
Mais, sans vouloir fâcher ta digne seigneurie,
Je goûte sobrement cette plaisanterie.
Devrai-je demeurer dans cette nasse à rats ?
Et pour combien de temps ?
ASARHADDON
Autant qu’il me plaira.
(Entrent Lémeth et Kézia.)
© 2025 Lilianof
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