Manassé·Rois, Soldats et Prophètes

Manassé – Acte V (5)

Scène VI

MANASSÉ – ASARHADDON

ASARHADDON

Et tu crois que ton Dieu écoute tes histoires ?

MANASSÉ

Il entend, je le sais.

ASARHADDON

                                Vers ton Dieu créateur
Tu lances ta prière issue droit de ton cœur.
Est-ce un cri de sincère et juste repentance ?
Ne crains-tu pas plutôt de l’homme la vengeance ?

MANASSÉ

Que m’importe à présent la hache du bourreau ?
J’ai retrouvé la paix par-delà les barreaux.
Avec Dieu j’ai parlé, maintenant je vais vivre.

ASARHADDON

La terreur te rend fou, à moins que tu sois ivre.

MANASSÉ

Ivre ? Ici condamné à l’eau tiède, au pain dur ?

ASARHADDON

Libre tu te prétends, enfermé dans ces murs.
Sur ta vie, mon ami, j’ai posé mon empire
Et sur ta liberté j’ai quelques mots à dire.

(Il ouvre la grille.)

MANASSÉ

Quelle folie vous prend ? Quelle pensée ? Pourquoi ?

ASARHADDON

N’as-tu donc pas prié ? Qu’as-tu fait de ta foi ?
C’est le temps de la paix, c’est l’heure de la trêve.
Le Dieu qui tu priais m’apparut dans un rêve.
Moi qui ne craignais pas d’autre dieu que Mardouk,
Et des dieux moitié chèvres, et des dieux moitié boucs !
Ton Dieu s’est révélé, l’Éternel des Armées,
Disant : « Ne touche pas cette vie bien-aimée. »
Je réponds : « Quoi, Seigneur ? Le traître Manassé ?
Cet ignoble apostat qui t’avait offensé ?
Ne t’ai-je pas rendu le plus grand des services
En préparant pour lui de terribles supplices ?
– Non, dit-il, car je suis son divin rédempteur
Et de lui je ferai mon humble serviteur.
Je lui ai pardonné son infâme conduite.
Rends-lui sa liberté. Obéis tout de suite. »

(Entre Salia, armée d’un fouet.)

Scène VII

MANASSÉ – ASARHADDON – SALIA

SALIA

Vois ce bel instrument pour te faire plaisir.
Il te fera chanter et danser à loisir.
Ai-je la vue troublée ? Aurai-je la berlue ?
Manas en liberté ? Mais je tombe des nues !
Qui lui ouvrit la grille ? Qui donc ? Et de quel droit ?

ASARHADDON

De quel droit, ma chérie ? Du droit que je suis roi.

Et rien ne t’autorise à faire un tel tumulte.
Mon âge me permet de choisir en adulte.
Pour qui sont ces barreaux ? Pour qui la liberté ?
Que signifie ce fouet que tu m’as apporté ?

SALIA

Je viens lui caresser l’échine avec tendresse
Car de me le livrer tu me fis la promesse.

ASARHADDON

Eh bien ! Je dépromets !

SALIA

                                     Ce captif m’appartient.
Renvoie-le dans la geôle. Je l’ordonne et j’y tiens !

ASARHADDON

Salia !

SALIA

            Qu’attends-tu ? Veux-tu que je m’énerve ?
J’ai dans mon sang assez de colère en réserve.

ASARHADDON

À quoi te serviront tant de rage et de fiel ?
Car je crains plus encore l’ire de l’Éternel.
Il m’a donné des ordres en cette circonstance
Et ne puis l’offenser par désobéissance.

SALIA

Te voilà donc soumis au Dieu des Judéens ?
Dieu d’un peuple vaincu, c’est celui que tu crains ?

ASARHADDON

C’est lui qui m’a donné la puissance et l’empire.
À l’instant, s’il le veut, ce trône il me retire.

SALIA

Je t’ai toujours conduit sous mon autorité.
Tu me fais un affront pénible en vérité.
Oui, mon père est un roi bien pleutre et bien timide !

ASARHADDON

Soit ! Puisqu’il te déplaît de voir ce cachot vide,
C’est pour une princesse un luxueux séjour.

(Il l’enferme.)

SALIA

Père, tes reparties ne manquent pas d’humour
Mais, sans vouloir fâcher ta digne seigneurie,
Je goûte sobrement cette plaisanterie.

Devrai-je demeurer dans cette nasse à rats ?
Et pour combien de temps ?

ASARHADDON

                                               Autant qu’il me plaira.

(Entrent Lémeth et Kézia.)

© 2025 Lilianof

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