Art et poésie·Réflexions

La Bible et les peintres du XXe siècle

3/4  Diego Rivera : À la sueur de ton front  Detroit Industry Murals

Detroit Industry Murals
Photo by Cactus.man, Public Domain, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=79406295


Le travail est une activité qui occupe une place importante dans nos existences. Et a connu durant ces dernières années d’importantes mutations.  Mal nécessaire pour les uns, entrave à l’épanouissement personnel pour d’autres. Le travail, notamment son sens, est une réalité qui n’aura eu de cesse d’être questionné et théorisé par les sciences humaines mais aussi mobilisé par les politiques.


Dans la Bible, de nombreuses occurrences font référence au travail. Et ce dès la création du monde. En effet, Dieu se met à l’œuvre pour créer la Terre puis se repose au septième jour. Avec la chute de l’Homme évoqué dans la Genèse, la notion de travail a pris pour la première fois une connotation péjorative.

 Le travail n’est plus uniquement un espace de création mais est devenu l’un des maux d’une humanité nouvellement déchue. Ainsi cette célèbre imprécation divine donné à Adam, après qu’il ait mangé avec Éve le fruit défendu, est entré dans les imaginaires collectifs.

Tu travailleras à la sueur de ton front

Genèse 3:19


Au cours de l’histoire et aujourd’hui encore le travail deviendra un marqueur social, un signe de distinction plus ou moins net entre les individus. Ainsi, dans le monde médiéval occidental, la société était divisée en trois ordres : les Oratores ( le Clergé), les Bellatores ( les nobles et ceux qui combattent) et et les Laboratores (ceux qui travaillent : les paysans, vilains et serfs).



Qu’en est-il dans l’histoire de l’Art ? 


Les représentations du travail dans l’Art sont multiples et variées. Et sont présentes dans toutes les civilisations. Les plus anciennes remontent à la Préhistoire. On peut penser aux peintures rupestres représentant des scènes de chasse. Avec l’avènement du socialisme et du communisme au XIXe siècle et l’émergence d’un discours artistique critique autour du capitalisme, la représentation des travailleurs prendra un nouveau tournant.


Qui est Diego Rivera ?

Né en 1886 et mort en 1957, Diego Rivera est un peintre mexicain mondialement connu pour ses peintures murales. Il fut également marié à la célèbre peintre Frida Kahlo. L’œuvre de Diego Rivera est d’abord influencé par le Cubisme avec lequel il rompera par la suite. Puis, il découvrira les grandes fresques de la Renaissance italienne lors d’un voyage en Italie. Devenu peintre muraliste, il deviendra l’un des représentants majeurs du Muralisme mexicain.

Qu’est-ce que le Muralisme mexicain ?

Le muralisme mexicain est un mouvement artistique né au début du XXe siècle. Suite à la révolution mexicaine de  1910 qui marquera l’histoire du pays. Parmi les peintres appartenant au mouvement on retrouve également : Carlos Merida, David Alfaro Siqueiros, José Clemente Orozco…

© Diego Rivera. Museo Mural Diego Rivera. “ Sueño de una tarde dominical en la Alameda Central” Musée Mural Diego Rivera.


Les peintres muralistes puisent leur inspiration dans la vie quotidienne, les sources populaires et récits de l’époque préhispanique. Ils veulent créer un art populaire et accessible, à destination du peuple. De nombreuses peintures ont une dimension didactique, cherchent à éveiller une conscience nationale en relatant les moments les plus importants de l’histoire mexicaine.

Destinés pour la plupart à des bâtiments publics, les œuvres muralistes sont le plus souvent des commandes de l’État.
L’un des thèmes les plus présents dans les fresques de Diego Riviera ( alors membre du parti communiste mexicain ) c’est celui de la lutte ouvrière.

Contexte de création de la fresque Detroit Industry Murals


C’est entre 1932 et 1933 que Diego Rivera réalisera Detroit Industry Murals : une œuvre de commande pour le milliardaire américain Henry Ford… Patron des célèbres usines Ford de Détroit. Ville du Michigan autrefois capitale  mondiale de l’automobile.

Henri Ford est également célèbre pour être à l’origine de ce que l’on appelera le Fordisme.

Le Fordisme est une organisation et une théorie du travail dont le but recherché est la rentabilité et la production de masse. Cela donnera naissance à une division et à une répétition de chaque tâche. Chaque ouvrier aura alors une fonction précise à accomplir avec un rythme qui se doit d’être soutenu…C’est ce qu’on appelle le travail à la chaîne.

Ville en pleine expansion ( malgré le krach boursier de 1929 ), Detroit inspirera le modèle industriel moderne que l’on connaîtra avant de devenir par la suite une ville en plein déclin. Cette expansion et cette croissance économique exceptionnelle s’est fait malheureusement au grand dam des ouvriers dont beaucoup pour la plupart verront leurs conditions de vie et de travail  se dégrader.

C’est dans ce contexte de profondes mutations du travail que Diego Rivera peindra la fresque pour l’institut d’Art de la ville.

Étude de l’Œuvre

Detroit Industry Murals est une grande fresque divisée en plusieurs grandes parties. Au premier plan, on peut apercevoir une myriade de détails annonçant le thème principal : des ouvriers s’activant chacun à une tâche précise. Ces gestes dynamiques mais à la fois figés dans une répétition quasi méthodique illustrent bien ce qu’est le travail à la chaîne. Les figures humaines semblent évoluer dans un univers uniformisé où l’individualité semble ne pas avoir sa place. Le jaune et le bleu sont les deux principales couleurs des tenues. Deux couleurs primaires, ordinaires.

Ici est représenté l’Homo Faber au sommet de son oeuvre technique mais ayant perdu toute individualité.

Les machines dominent l’ensemble de la fresque. Des machines de toutes tailles et apparences paraissant répondre à des fonctions précises. Deux en particuliers de tailles imposantes surpassent les figures ouvrières… Le ton est donné : ici l’industrie et la technologie sont rois.

Nous pouvons également déceler une sorte  de célébration de l’industrie lourde et de sa technologie. Mais aussi une mise en avant d’un certain culte de l’effort. En effet, Detroit et ses habitants ne vivaient alors que pour et par son industrie automobile.

En tant que spectateur, on peut ressentir un effet de surchage tant la fresque est dense ( par sa profusion de scènes et de détails ).

En arrière-plan, nous pouvont apercevoir des flammes. La présence de ces flammes rappelle le travail du forgeron mais aussi la pénébilité du travail. En effet, on peut supposer que dans ces usines une chaleur écrasante devait y régner.

Quelle est la position du peintre vis-à-vis de cette fresque ?

Complexe, ambiguë…On relève un paradoxe. Membre du parti communiste mexicain, il peint une œuvre de commande pour les usines Ford de Détroit ( symbole du capitalisme triomphant d’alors ). Cette fresque est-elle une célébration du travail sous l’ère du fordisme ou un hommage au courage et à la ténacité des ouvriers  ?

Les interprétations sont ouvertes.

Pour conclure

Selon les contextes et les individus, il n’existe pas une définition ni une lecture unique du travail.

Il est vrai que le monde du travail est une réalité complexe parfois déroutante mais le percevoir uniquement sous l’angle de la fameuse imprécation divine ( Genèse 3:19 ) serait faire abstraction de ces nombreuses autres facettes.

Dans les Écritures, le bien-être au travail est également évoqué :

« Il n’y a de bonheur pour l’homme qu’à manger et à boire, et à faire jouir son âme du bien-être, au milieu de son travail; mais j’ai vu que cela aussi vient de la main de Dieu. »

Écclesiaste 2:4

Ici l’apôtre Paul, dans l’un de ces épîtres situé dans le Nouveau Testament, évoque un travail non prosaïque de type spirituel. Cette fois-ci tourné vers Dieu. Un travail qui n’est pas temporel et n’a pas pour finalité un salaire…L’œuvre du Seigneur.


« Ainsi, mes frères bien-aimés, soyez fermes, inébranlables, travaillant de mieux en mieux à l’œuvre du Seigneur, sachant que votre travail ne sera pas vain dans le Seigneur. »

1 Corinthiens 15 : 58

Pour aller plus loin :

Autant en emporte l’histoire : Cette fiction radiophonique présente sur France Inter retrace avec brio l’histoire du voyage du couple Rivera-Kahlo dans la ville de Détroit.

https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/autant-en-emporte-l-histoire/autant-en-emporte-l-histoire-du-dimanche-09-janvier-2022-6146590

Sur le muralisme mexicain :

https://www.voyages-au-mexique.fr/muralisme-mexicain-caracteristiques-auteurs-et-oeuvres/

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