Enfants

LE VOL (5) – le défi

Quand ils arrivèrent au funiculaire, Garance et Justine n’y étaient pas. Liliane s’assit sur une marche pour reprendre son souffle, puis sortit un crayon et un carnet à croquis. Patrice sautait d’un muret à l’autre et marchait en équilibre sur les barrières et Xavier passait en revue toutes les figures qu’il savait faire avec un vélo. Avec celui-ci, c’était plus difficile. Salomé les observait avec admiration et applaudissait avec enthousiasme. Un peu plus tard, elle s’assit à côté de Liliane.

–  J’aime trop tes dessins, commenta-t-elle en les détaillant. Ils sont tellement vivants ! Celui-là, c’est mon préféré !

–  Et moi j’aime trop comme tu sais t’émerveiller et complimenter tout le monde, lui avoua Liliane. T’es une championne de l’encouragement !

Salomé rougit de plaisir.

Hugo, de son côté, s’était plongé dans un livre qu’il avait retiré de son sac à dos. Beaucoup de cyclistes et de randonneurs passaient près d’eux, s’entassant dans les wagons bleus du funiculaire.

Soudain, ils redressèrent la tête. Des voix familières leur parvenaient.

–  Alors tu vois, ma chère Justine, ce n’était pas une affaire ! Tu l’as réussie, cette piste bleue !

–  J’y ai survécu, nuança Justine.

Elle s’arrêta, dévissa une bouteille d’eau et but quelques gorgées.

–  Et tu vas aussi réussir la rouge, viens, je l’ai déjà faite tout à l’heure en t’attendant.

Justine fit une grimace.

–  La descente, c’est pas mon truc…

Garance regarda sa cousine avec une mine apitoyée.

–  Si tu veux, ma pauvre, je te prête mon vélo, il est meilleur que le tien. Tu verras, ça ira tout seul !

–  Arrête, Garance ! C’est pas une histoire de vélo. J’ai peur, moi. Je ne fais pas la descente rouge, même avec le meilleur vélo du monde !

–  Mais enfin, nous sommes là pour ça !

–  Pas moi, laissa tomber Justine.

En outre, elle ne possédait pas des protections comme sa cousine. Elle avait eu très peur de tomber et de se blesser.

–  Mais qu’est-ce que tu veux faire par ici si tu ne profites pas de ces descentes ? s’exclama Garance d’un air désolé. Pourquoi as-tu pris ton vélo si c’est pour ne pas l’employer ?

–  Il y a d’autres façons de faire du vélo, Garance. Il y a plein de chemins de randonnée. Ça me plairait vraiment beaucoup plus. C’est moins dangereux.

À ce moment, Justine remarqua Salomé qui lui faisait signe.

–  Hello Justine !

–  Salut Salomé !

–  Tu connais du monde, ici ? s’étonna Garance.

–  Oui, on s’est rencontré ce matin…

Salomé s’approcha des deux adolescentes, suivie de Liliane, Hugo et Patrice.

–  Mais tu ne connais pas encore mon frère et mes cousins !

Salomé fit les présentations. Un peu plus loin, Justine reconnut Xavier qui poursuivait ses figures. Il ne les avait pas entendues venir. Elle le désigna à sa cousine.

–  Là-bas c’est le garçon qui a réparé la chambre à air. Il s’appelle Xavier.

–  Tiens, s’étonna Garance avec une moue de mépris, il a le même vélo pourri que tu avais avant !

Justine se pinça un instant les lèvres, puis remarqua :

–  Ça ne l’empêche pas d’être doué !

–  Sans doute qu’il s’amuse sur la place de parc parce que son biclou ne vaut rien sur le terrain, cracha Garance avec dédain.

À ce moment, Xavier les aperçut et les rejoignit rapidement.

–  Alors, comment va ce vélo ? s’enquit-il avec un sourire complice.

–  Il va très bien, mais comme je le disais à Garance, la descente ce n’est pas mon truc et elle voudrait bien que je fasse la rouge.

–  Si tu as peur, il ne faut pas te forcer. Il regarda Garance. Moi je veux bien la faire !

Il y avait une note de défi dans sa voix.

–  Tu me charries ! Qui voudrait faire une piste avec un… truc pareil ! ricana-t-elle comme si le « truc » en question ne méritait pas le nom de « vélo ».

Le regard de Xavier se durcit. Sa voix aussi.

–  Moi !

–  Reste cool ! Garance leva les mains pour feindre la peur. Si tu insistes… Mais j’espère que tu as une trousse de secours, parce que je ne vois pas comment tu pourrais arriver en bas entier !

Xavier ne releva pas la moquerie.

–  Je suis prêt.

–  Qui d’autre vient avec nous ? s’enquit-elle.

–  Pas moi ! Liliane s’empressa de refuser l’invitation. J’ai bien trop peur !

–  Moi non plus, affirma Salomé. Je ne suis pas casse-cou !

–  Pas moi non plus, déclina Hugo.

–  T’as aussi peur ? Garance eut un rire condescendant. Remarque que je vous comprends, vous n’êtes encore que des gamins !

–  Moi j’habite ici et je préfère faire du vélo quand les touristes sont partis ! s’emporta Hugo. Et de toute façon, j’ai autre chose de prévu, aujourd’hui !

–  Et on peut savoir quoi ?

–  Je veux trouver un myxomycète. Je parie que tu ne sais même pas ce que c’est ! ajouta-t-il d’un air provocant.

Salomé posa une main sur son épaule.

–  Calme-toi, lui souffla-t-elle dans l’oreille. Il ne faut pas se laisser avoir par son mépris. Et plus fort elle ajouta : Liliane et moi nous venons avec toi. Ces derniers jours on n’a pas réussi à en trouver un.

Garance se tourna enfin vers Patrice. Avec son corps grand et souple, il semblait taillé pour le sport. Et le VTT.

–  Mais toi, tu viens avec nous ! ordonna-t-elle.

Patrice était au supplice.

–  J’aurais vraiment beaucoup aimé, mais j’ai pas le droit de faire du vélo pour l’instant.

Garance éclata de rire.

–  Elle est énorme, celle-là ! Et pourquoi tu ne pourrais pas faire du vélo, s’il te plaît ?

Patrice poussa un profond soupir.

–  Parce que je me suis blessé les poignets. Je dois les ménager encore une semaine.

–  Montre !

Patrice trouvait que tout cela ne la regardait pas et les cacha au fond de ses poches. Garance s’approcha tranquillement de lui et commença à lui tourner autour. Patrice pivota sur lui-même pour continuer à lui faire face. Les deux semblaient se jauger comme deux lutteurs. Que voulait-elle exactement ? Il commençait à se méfier. Pourvu… Pourvu qu’elle ne découvre pas son talon d’Achille…

Soudain, Garance s’approcha encore et, rapide comme l’éclair, tendit le bras pour le chatouiller à la taille. Oh ! Non ! Pas ça ! Il se recroquevilla sur lui-même comme mû par un réflexe et se mit à rire sans pouvoir se retenir.

Pitié ! Non ! Patrice n’arrivait même plus à parler. Garance s’amusait bien et savourait son pouvoir. Son adversaire était quasiment incapable de se défendre, désarmé par un rire irrépressible.

–  Je ne savais pas que Patrice était tellement chatouilleux, remarqua Salomé. Elle souriait d’une oreille à l’autre.

Hugo et Xavier ne purent retenir un fou rire. Ils en pleuraient. Quand Patrice se faisait chatouiller, il avait un rire vraiment trop drôle ! Même Liliane arborait un sourire amusé.

Finalement, Garance réussit à lui attraper un poignet. Frustré, Patrice s’avoua vaincu et essuya les larmes de l’autre main. Il suffoquait un peu et avait mal au ventre d’avoir trop ri. Curieuse, Justine s’approcha aussi.

–  Ah ! ouais ! constata-t-elle surprise. C’est une méchante blessure. Et t’as ça des deux côtés ? Comment t’as pu te faire ça ? s’étonna Garance.

–  C’est ma faute, avoua Xavier.

–  Et aussi la mienne, renchérit Hugo.

Patrice leur lança un regard noir pour les inviter à se taire, mais ils n’en tinrent pas compte.

–  Nous avons joué aux explorateurs dans la forêt et Patrice était notre prisonnier. Je l’ai attaché à un arbre, expliqua Hugo.

–  Il n’y a pas besoin de tout raconter, feula Patrice à voix basse. La séance de chatouilles l’avait mis de mauvaise humeur.

Xavier mit une main devant la bouche, taisant ce qu’il s’apprêtait à dire.

–  Sauf qu’un orage… Salomé s’interrompit à son tour en remarquant les éclairs que lui lançait son cousin.

–  J’ai essayé de me libérer, coupa-t-il sèchement.

–  Mais tu peux faire une exception pour aujourd’hui, le tenta encore Garance. Si tu n’as pas de vélo, tu prends celui de Justine. Je suis sûre qu’elle voudra bien te le prêter ! À moins que tu aies la trouille ?

La trouille ! Et puis quoi encore ! Patrice avait terriblement envie de capituler. Il n’avait encore jamais roulé sur une piste de VTT, spécialement aménagée pour cela, avec des virages relevés et des tremplins… Plein de sensations fortes, exactement ce qu’il aimait. Il ferma un instant les yeux, puis secoua la tête.

–  Non, décida-t-il. Je veux que mes poignets guérissent le plus rapidement possible pour pouvoir à nouveau les utiliser comme d’habitude.

–  D’habitude Patrice fait des acrobaties, des roues et il marche sur les mains, le vanta Hugo.

Son cousin lui jeta un regard sombre. Tout cela ne regardait pas cette fille snob et énervante.

–  Je fais du « parkour[1] » d’habitude, mais si tu ne me crois pas, c’est pas grave, lâcha-t-il toujours courroucé. Je n’ai rien à prouver et je vais aussi chercher des myxomycètes.

Il lui tourna le dos pour mettre fin à la conversation.

–  Et nous, on monte à vélo, précisa Xavier.

–  Monter à vélo ? s’étrangla Garance. Tu es fou ! Il y a le funiculaire !

–  Avec le vélo que tu as, ça ira tout seul ! la provoqua Xavier. Ou t’es pas cap’ ?

Le visage de Garance se crispa.

–  Montre-moi le chemin.

Xavier sauta sur la selle et partit en trombe.

–  T’as qu’à me suivre !

Garance enfourcha son VTT et partit aussi, furieuse qu’un « péquenaud » ose la mettre au défi.


[1] Le « parkour » est une discipline sportive acrobatique qui consiste à franchir des obstacles urbains ou naturels, par des mouvements rapides et agiles (course à pied, sauts, gestes d’escalade, déplacements en équilibre, etc.) et sans l’aide de matériel. Les pratiquants sont dénommés « traceurs ». (source : Wikipédia)

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