Scène II
FRIDA – BORIS
FRIDA
Voici Ismaïlov ! Dire que je voulais un moment de solitude ! Je vais me trouver en joyeuse compagnie ! Disparaissons avant qu’il me voie.
(Elle se lève pour partir. Boris la rejoint.)
BORIS
Que voilà une colombe bien farouche ! Ne me dis pas que je te fais fuir, mon bel oiseau des steppes !
FRIDA
Ne soyez pas fâché, Boris Alexandrovitch. Je me levais simplement pour rejoindre ma sœur, comme je lui avais promis.
BORIS
Voilà mon esprit rasséréné. Je te croyais en colère contre moi et j’en aurais souffert jusqu’à mourir.
FRIDA
Pauvre petit bébé ! Vous avez pourtant un bataillon d’amies qui vous font des câlins quand vous avez un gros chagrin. Cette pauvre Nadia, par exemple.
BORIS
Pauvre Nadia ! Elle est bien plus riche que toi, pour commencer. Tout se paye et tout s’achète. Cette petite rêve de devenir danseuse étoile. Et elle le deviendra, c’est certain. Nous irons bientôt l’applaudir au Bolchoï, je te le garantis ; elle a un talent redoutable. Mais elle devra d’abord aller à Moscou poursuivre une formation très coûteuse. Ce ne sont pas ses parents qui pourront la lui payer. Alors comme je ne suis pas en peine de trouver de l’argent, je lui garantis une jeunesse à l’abri du besoin, je lui donne tout ce qu’elle veut. Et elle aussi me donne tout ce que je veux. C’est la loi du marché, rien de plus. Je ne comprends pas ce que ton pasteur de père et toi-même trouvez d’immoral à mon petit commerce.
FRIDA
Et votre malheureuse épouse Tatiana ! Elle qui est si aimable ! Vous arrive-t-il d’avoir pitié d’elle ?
BORIS
Pitié ? Pourquoi aurais-je pitié ? Et pourquoi dis-tu qu’elle est malheureuse ? Elle est bien plus heureuse que toi. D’abord, elle est mariée à l’homme le plus merveilleux du pays.
FRIDA
Et aussi le plus humble !
BORIS
Et elle profite de ma richesse. Elle peut s’acheter tous les manteaux d’Astrakhan qu’elle veut.
FRIDA
Le bonheur ne s’achète pas.
BORIS
Le plaisir s’achète. Il faut savoir en profiter.
FRIDA
Boris Alexandrovitch ! Tatiana est si malheureuse ! Et n’avez-vous pas remarqué comme elle a maigri ?
BORIS
Elle a maigri ? Non, je n’ai rien remarqué. D’ailleurs, il n’y a que les femmes qui s’inquiètent de leurs kilos en plus ou en moins. Nous, les hommes, on mange, on boit, on rit. On s’achète des chemises plus larges.
FRIDA
Vous ne comprenez donc pas, Boris. Tatiana souffre tant de vos écarts de conduite qu’elle refuse de manger. Elle est à la limite de l’anorexie. Elle peut en mourir. Vous ne l’aimez donc pas ?
BORIS
Quelle importance ! Une femme, c’est comme un cheval. S’il n’est plus capable de tirer la charrue, on le remplace par un plus jeune.
FRIDA
Vous me répugnez, camarade Ismaïlov.
BORIS
Tu as tort de faire ta dégoûtée, ma chérie, et tu ne sais pas ce que tu perds. Quand le destin m’aura débarrassé de Tatiana, je t’épouserai, de gré ou de force. Et tu m’aimeras.
FRIDA
Je ne serai jamais votre épouse, encore moins votre maîtresse.
BORIS
Je t’aime encore plus quand tu envoies des ruades, ma belle petite pouliche.
FRIDA
Je vous interdis de m’aimer.
BORIS
Tu te débattras moins quand je t’aurai serrée dans mes bras. Tu y prendras goût, comme les autres.
FRIDA
Ne poussez pas trop loin ces propos, Boris. J’ai des mains de travailleuse, mes gifles sont sonores et puissantes.
BORIS
J’en ai fait plusieurs fois l’expérience.
FRIDA
Vous devez aimer en recevoir, puisque vous m’en réclamez sans cesse.
BORIS
J’avoue que j’y trouve un certain plaisir. D’autant plus que c’est le seul que tu consens à me donner… pour le moment…
FRIDA
Taisez-vous, Boris Alexandrovitch ! Oubliez-moi. D’ailleurs, je ne comprends pas votre obstination à me harceler. Vous préférez des filles plus dévergondées.
BORIS
C’est pourtant facile à comprendre. Tu es la plus jolie pouliche que j’ai jamais regardée.
FRIDA
Laissez de côté vos comparaisons chevalines. Votre regard suffit à me souiller. (Ironiquement.) Et d’ailleurs, je suis beaucoup trop vieille pour vous.
BORIS
Justement ! Tu as un long retard à rattraper. Mais je te fais confiance, tu apprendras vite.
(Elle lui donne une gifle.)
FRIDA
Je vous aurai prévenu.
BORIS
Tu frappes de plus en plus fort. C’est à croire que tu t’entraînes, comme Cassius Clay.
FRIDA
J’espère bien vous envoyer au tapis un de ces jours. Vous êtes un monstre, et qui plus est, un pédophile.
BORIS
Oh ! Pédophile ! Comme tu exagères ! Olga, la plus jeune de mes pouliches, a déjà onze ans et demi. D’ailleurs, elle m’a trompé sur son âge. Elle mesure un mètre soixante-dix. Si j’avais su qu’elle n’avait pas douze ans, je l’aurais fait patienter un peu. J’ai une conscience.
FRIDA
Une conscience !
BORIS
Parfaitement une conscience. Et je soigne ma réputation, c’est pourquoi j’ai besoin d’une ou deux juments un peu plus mûres dans mon écurie. Et tu remplirais très bien ce rôle. Tu les dominerais d’une bonne encolure.
FRIDA
Je vous exècre.
(Elle le griffe au visage et s’enfuit.)
© 2025 Lilianof

J’ai bien lu que l’action s’inspire de faits réels. Vite vite qu’il aille en tôle ce monstre ! Ou peut-être être ai-je mal lu ce chapitre.
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En effet, il va finir au goulag.
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Hâte de connaître la suite !
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