Feuilleton d'Hermas

Épisode 16: Le plus grand revers que pouvait connaître Hermas

Nous avions eu notre coup d’éclat. Nous avions eu notre heure de gloire. Nous l’avons payé cher par la suite. Le jour, les gens venaient nous voir de toute part pour en savoir plus sur cet empereur dont ils n’avaient pas entendu parler. La nuit, nous étions pourchassés en tous points, obligé de déménager cinq fois en une seule nuit. Le nombre de ceux qui étaient recrutés le jour était tout juste annulé par ceux qui étaient arrêtés la nuit. Au commencement les arrestations étaient symboliques, et nos partisans relâchés. Puis ils avaient commencé à être torturés. Puis le premier mort avait eu lieu il y a une semaine.

J’ai eu à défendre des dizaines de fois la vie et le corps de ma Dame ces dernières semaines. Je suis devenu ainsi ce qu’il y a de plus proche du vétéran. Mon bouclier avait désormais une vie propre, et ma lame se guidait toute seule. Mes sens s’étaient affûtés et je devenais très bon pour détecter les embuscades. Mais j’étais seul, et je ne pouvais défendre tout le monde. J’ai vu une femme –peut-être devrais-je l’appeler une sœur tant elle nous faisait du bien- être battue à mort sous mes yeux, pendant que je devais rester immobile et silencieux dans une cachette. J’ai vu des dragons de l’Usurpateur incendier des maisons, risquant de communiquer le feu au quartier tout entier, juste pour être sûr de nous désorganiser. Car telle est la folie de l’Usurpateur : il est prêt à se détruire lui-même et à brûler toute la ville, tant que l’Empereur ne gagne pas.

Dans des circonstances aussi difficiles, il n’y a que deux résultats possibles : soit vous êtes brisés puis mort, soit vous survivez, aussi dense et trempé que l’acier. Je n’ai pas été brisé, mais c’est un pur accident que je ne m’explique pas. Au moment où je voulais me suicider, la volonté concrète ne venait pas. Au moment où je voulais hurler ma peur, la peur restait dans mon estomac. Dans les moments où je voulais fuir et laisser la dame à son propre sort, mes jambes restaient en place et mes bras sortaient la lame. Ce n’est pas que je ne voulais pas fuir : c’est que quelque part entre ma volonté et mon corps, un autre s’interposait et l’interdisait. Et ainsi, j’ai persévéré à travers toute la période. J’étais devenu comme une lame d’acier, mais une lame d’acier rougie et tâchée de suie, de traces de martelage et de brûlures.

La Dame en revanche, fut extraordinaire. Plusieurs fois, nous fûmes trahis par nos hôtes, et plusieurs fois, elle revenait le lendemain pour leur pardonner. Face à la violence de l’Usurpateur, elle déployait la grâce et la douceur, et ceci seul était une persuasion plus efficace que tous les prêcheurs du faux maître. Car ils étaient nombreux, les menteurs professionnels engagés par l’Usurpateur, destinés à semer le trouble et nous mettre sur le dos des rumeurs infâmes pour nous discréditer. Ils remplissaient les places, se prétendaient de notre parti et sortaient des paroles grotesques et scandaleuses  qui ruinait notre propre image. Il fallait confronter les menteurs le jour, et les dragons la nuit. C’était épuisant.

Mais ils étaient aussi nombreux, les partisans qui se levaient et prenaient à cœur la venue de l’empereur. De tous profils, de tout type. De tout âge, de tout sexe. Divers dans leur richesse, divers dans leurs situations sociales. Les partisans de l’empereur devenaient aussi nombreux que les corneilles de Mevett, et leurs murmures commençait à couvrir les clameurs des menteurs. Pendant deux abominables semaines, il y eut un pic de souffrances, où nous finîmes quasiment tous en prison. Puis nous avons recruté dans les prisons. L’Usurpateur, comme s’il avait la volonté brisée, nous a tous relâchés et cessés de nous importuner.

C’est au moment de notre victoire que s’est trouvé notre plus amère défaite.

Je tâchais, lorsque je le pouvais, de venir en aide aux partisans. C’était rare : ma priorité était toujours la sécurité de la Dame, mais à chaque fois que je savais la Dame en sécurité, je poussais jusqu’à la maison d’à côté et défendait les occupants jusqu’au jour. Un couple de partisans nous avait invités à passer la nuit, et conformément à mes habitudes, je m’étais endormi en travers de la porte tandis que ma Dame dormait dans une chambre dotée de barreaux aux fenêtres. J’avais la main sur le pommeau de mon épée.

Au milieu de la nuit, j’entendis confusément une corneille. Puis ce fut le chaos. Il y eut un grand craquement, et dix dragons de l’Usurpateur, caparaçonnés comme des scarabées firent irruption dans le salon. Très disciplinés, six d’entre eux se jetèrent sur moi pendant que quatre autres maniaient un bélier qu’ils avaient amené avec eux. Je tâchais de rester devant la porte, mais pour faire face à six assaillants talentueux, vous avez besoin de beaucoup de mobilité.  Je dus donc abandonner la porte, ne serait-ce que pour rester en vie assez longtemps pour défendre.

Jusqu’ici, les soldats de l’usurpateur n’avaient jamais fait preuve de discrétion. Jusqu’ici, ils n’avaient jamais fait preuve de prudence. Jusqu’ici, il s’étaient toujours précipités vers moi lame en avant, tandis que maintenant ils restaient assez hors de portée pour que je ne puisse pas les tuer rapidement, mais pas assez pour que je puisse baisser la garde et secourir la Dame dans l’autre pièce.

Au final, ils furent emmenés sans que je ne puisse rien faire, et je pris même deux estafilades aux bras. Alors que les gardes refluaient dehors et que je les poursuivais, les infâmes corneilles m’attaquèrent, visant mes yeux. Pendant que je faisais de grands moulinets pour les écarter, ils partirent tous sans attendre davantage.

Les corneilles se dispersèrent rapidement, et je vis tout juste une robe blanche encerclée par des armures noires disparaître derrière un poste de garde.

Qu’allais je faire maintenant ?

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