Cette nouvelle a été écrite suite à notre concours de nouvelles sur le thème « Allégories chrétiennes » clôturé en mars 2018. Toutes les nouvelles sélectionnées à cette occasion sont regroupées dans un eBook gratuit intitulé « Le point commun » que vous pouvez retrouver en cliquant sur l’image :
J’ai peur. Le froid qui commence à se faire sentir me glace déjà les articulations. Le jour décline, les ombres envahissent peu à peu mon environnement, l’arrivée de la nuit sombre et noire ne fait qu’empirer ma frayeur et ma solitude. Oui, je me sens seule, si seule… Et j’ai peur. Peur qu’on me découvre, peur qu’on m’écrase, peur qu’on m’enlève… Je ne peux m’empêcher de repenser à la façon dont je me suis mise dans cette situation. Oui, je ne peux m’en prendre qu’à moi. J’ai été stupide. J’ai voulu prendre mon indépendance, me débrouiller seule, montrer aux autres que je n’ai besoin de personne. Je me suis fourvoyée sur moi-même. Maintenant, qu’est-ce que j’aimerais retrouver le bras de cet être qui s’est si longtemps occupé de moi… C’est dans ces moments de peur et d’angoisse qu’on se rend compte de la véritable valeur de ceux qui sont chers à nos yeux. C’est dans ces moments qu’on remet tout en question, et qu’on cherche désespérément un espoir auquel se rattacher.
Quelqu’un est passé tout près de moi. Je viens de sentir l’air déplacé par ce passage, et je me mets à trembler. S’il m’avait vue… Que se serait-il passé ? Je ne préfère pas l’imaginer. Mais j’ai du mal à m’en empêcher. Une nuit sans lune est maintenant totalement tombée, l’obscurité est presque complète, à peine percée par la faible lueur de quelques lampadaires. Dans un sens, ça me rassure, car il y a alors moins de risques qu’on remarque ma présence. Mais l’on peut rarement se sentir véritablement à l’aise dans les ténèbres, et chaque bruit, chaque ombre se trouve être considérablement amplifié, et non moins terrorisant.
Je ne peux rien faire. Je ne peux pas bouger, je ne peux pas rentrer, je n’ai aucun recours ! Enfin… Il resterait bien une solution mais… Oui, c’est dans ces moments de détresse que l’on laisse de côté nos a priori pour tester n’importe quelle solution de secours qui s’offre à nous… Jamais je ne l’aurais fait en temps normal. Si on m’avait parlé d’une telle chose, j’aurais traité la personne de naïve, voire d’un peu stupide. Mais ce soir, tout est différent. Pour la première fois de ma vie, je vais faire appel au Grand Horloger.
Ça vous paraît sûrement ridicule… En fait, je n’ai jamais cru à cette histoire d’horloger. Un horloger qui construirait des montres et voudrait ensuite s’en occuper, les réparer quand elles en auraient besoin, les astiquer ? De toute ma vie de montre, personne ne s’était jamais vraiment préoccupé de mon sort. Ou du moins, c’était l’impression que j’avais. Mais jamais on n’a changé mes piles, jamais on ne m’a auscultée pour écouter mon tic-tac, jamais on ne m’a félicitée ou encouragée pour donner l’heure. Et puis, c’est absurde de penser qu’un être supérieur aurait eu l’intelligence de nous créer et de nous mettre au point comme nous sommes. Comment une seule personne pourrait-elle assembler tous nos rouages, confectionner certaines d’entre nous avec du quartz, d’autres avec affichage numérique ? Comment pourrait-elle concevoir chaque montre si différente l’une de l’autre, travailler les bracelets, les enjolivures ? Non, tout ça est arrivé par les forces de la nature et n’est sûrement pas le fruit de la réflexion d’un quelconque horloger. Enfin, du moins, c’est ce que je croyais jusqu’à maintenant.
Hé oui, voilà donc mon histoire. Je suis une montre, et j’ai passé toute ma triste vie à donner l’heure. J’étais presque constamment attachée à un poignet, et mon seul rêve était d’enfin fuir ce bras et vivre ma vie comme je le souhaitais. Je voulais enfin me sentir libre ! J’avais tout mijoté depuis longtemps. Il suffirait de choisir le bon moment. Ma retenue au poignet ne dépendait finalement que de cette attache de métal qui se clipsait. Je n’avais qu’à faire en sorte qu’elle s’ouvre, il n’y avait rien de plus simple. Alors, un jour que l’être auquel j’appartenais se promenait dans une rue, j’ai mis mon plan à exécution, je me suis détachée et… je suis tombée. Et alors que la personne continuait son chemin, n’ayant absolument rien remarqué, je me retrouvais seule sur le trottoir, un peu sonnée par ma chute, mais libre… Libre, vraiment ? Est-ce vraiment ça, la liberté ? Désormais, je comprends parfaitement que j’étais dans l’erreur la plus totale. C’était attachée à cette personne que j’étais libre. Je pouvais alors aller n’importe où ! Et surtout… Et surtout on prenait soin de moi. Parce que c’était ça, la réalité. Je ne la voyais pas, parce que je n’étais jamais satisfaite de ce que j’avais. Je ne me rendais pas compte à quel point j’avais de la chance ! Je servais à quelqu’un, et cette personne me montrait à quel point elle tenait à moi en ne me quittant jamais, en me faisant dormir dans un écrin pour que je ne m’abîme pas… Maintenant, elle devait avoir constaté ma disparition, et devait certainement se trouver très en colère. Oui, je l’avais trahie, lui avais fait défaut… Certainement, elle irait chercher une nouvelle montre, qui ne serait pas aussi stupide que moi, et pour me punir, je resterais le restant de ma vie sur ce trottoir, constamment en proie à la peur d’être cassée, de rouiller, d’être volée… Cette perspective me fait de nouveau frissonner (hé oui, les montres aussi frissonnent, parfois…), et je me sens envahie par un tel désespoir, que de tous mes rouages et mes aiguilles, je me tourne vers le ciel, et je crie à cet horloger que je me suis complètement trompée, que je n’aurais jamais dû faire ça, que j’espère qu’il existe, et que je le prie de faire quelque chose pour moi… Je ne vois vraiment pas comment est-ce qu’il pourrait même m’entendre, et même s’il connaissait mon malheur, pourquoi voudrait-il me venir en aide, moi qui l’ai toujours rejeté ? Pourtant, soudain, un étrange sentiment me gagne peu à peu. C’est un sentiment que l’on ressent tellement plus fortement et plus intensément lorsqu’on a vécu la peur et l’angoisse… Oui, soudain, je me sens en paix. Je ne sais pas pourquoi. Mais j’ai alors un peu moins froid, un peu moins peur, et je réussis à m’endormir quelques heures.
Quand ma mécanique mise en veille se réveille peu à peu, je me rends compte que la nuit noire a laissé place à un soleil radieux. Ça y est, la peur me reprend. Il doit être tard dans la matinée, et je sens de nombreuses personnes passer à mes côtés… Soudain, l’une d’entre elle s’arrête près de moi. Oh non. Je ne veux pas qu’elle me prenne, qu’elle m’emmène, qu’elle me fasse subir je ne sais quoi… Tout ce que je veux, c’est retrouver mon bras, ce bras qui m’a porté pendant si longtemps, qui m’a permis d’être utile ! L’être se baisse, me ramasse, pousse un profond soupir de soulagement. Il me place délicatement dans sa poche, et s’en va en chantant et en sautillant. Je l’ai reconnu. C’est lui qui m’a apporté tant de soins, et a toujours veillé sur moi. Il a refait tout le trajet pour pouvoir me retrouver, lui-même était angoissé à l’idée qu’on ait pu m’écraser ou me voler ! Et le voilà heureux de m’avoir retrouvée… Dans sa poche, bien au chaud, je me sens enfin en sécurité. Et je sais que je suis aimée et que j’ai du prix à ses yeux, malgré la bêtise que j’ai pu faire. Et je sais que le Grand Horloger existe vraiment, que c’est lui qui m’a construite… Et cet être qui me porte au poignet, ne serait-ce donc pas son fils ?
Oui, c’est dans les moments de peur et de terreur que l’on se remet en question, et que l’on se tourne vers les solutions qui nous paraissent les plus désespérées. Mais c’est aussi dans ses moments que l’on prend conscience de l’amour des gens pour nous, et que l’on prend vraiment le temps de se tourner vers son Créateur…
Anne-Sophie
C’est l’un de ceux que j’ai préféré. Le symbole est très clair.
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Quand les aiguilles coincent, oser s’abandonner pour recevoir la Paix … Merci Seigneur d’être l’horloger de nos vies et merci à toi pour ce texte !
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Belle allégorie que je viens de découvrir bravo !
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Merci beaucoup ! 🙂
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