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Jeux de Lettres

Confiné ? 🤢
Quoi de mieux qu’un innocent petit jeu d’intérieur pour te remonter le moral !

Le conte ci-dessous évoque un épisode biblique bien connu. En devinant de quel livre de l’Ancien Testament est tirée l’histoire initiale, tu gagneras une belle Bible au format pdf, dans une version peu répandue, mais qui a pourtant son charme.
Or ce serait par trop facile ; l’histoire fait encore allusion à trois titres de la littérature classique, que tu pourras aussi télécharger en les trouvant. A toi de jouer, en cliquant sur le lien tout en bas !

🦠

Au début de la catastrophe, le Prince Palabro s’était secrètement réjoui de la tournure prise par les évènements, et de la peur panique qui s’était emparé du peuple. Ils ne toussaient pas tous, mais tous restaient chez eux ; moralement abattus, appréhendant le pire. Il y avait là une circonstance idéale pour faire oublier l’incompétence et l’incurie prodigieuses avec lesquelles il avait jusqu’ici occupé le trône, et pour rejeter sur un fatum divin l’avenir malheureux auquel la plus grande partie de ses sujets semblait inéluctablement condamnés. La pauvreté et la désespérance avaient enfin trouvé une explication médicale incontestable.

Cependant, le taux de mortalité s’accroissait de jour en jour. Interrogés, les scientifiques ne purent plus cacher la vérité au public : le virus avait muté ! et nul ne pouvait prévoir jusqu’à quelles hécatombes s’élèverait la sinistre moisson. Bien qu’affolés, les gens, au fond d’eux-mêmes, n’y croyaient pourtant toujours pas : c’était trop bête, ça ne pouvait pas durer, ce serait terminé dans deux semaines ! Or la pandémie était bel et bien là, froide et absurde.

Le Prince Palabro prit peur à son tour. Sans preuves tangibles, il accusa son voisin oriental, le grand monarque Zhestokiy Medved, qui convoitait depuis longtemps ses richesses et ses terres, d’avoir créé une variante léthale, afin d’envahir le pays lorsque la population décimée ne pourrait plus opposer la moindre résistance. Puis Palabro résolut de se cloîtrer hermétiquement, dans son luxueux palais, en compagnie de sa chère Garbancera, et d’une cour de hauts fonctionnaires, triés sur le volet, et de leurs femmes et de leurs maîtresses.

Dehors c’était la toux obstinée, le souffle court, les sueurs, la fièvre, les râles de la fin… Depuis déjà quatre semaines, les stocks de riz et de pâtes étaient taris ; l’internet saturé avait fini par disjoncter ; la vie s’éteignait peu à peu, dans la famine et l’isolement.

Dedans c’était la santé insolente des dignitaires bien nourris, les conversations frivoles, les jeux d’esprit, les films pervers, les débauches masquées. D’immenses filtres à air, capables d’arrêter la moindre particule microscopique avait été installés à l’entrée de tous les conduits qui aboutissaient au bâtiment calfeutré. Un faisceau souterrain de fibre optique reliait directement le routeur principal du palais aux lointains data centers des régions boréales, permettant aux heureux reclus d’accéder quasi instantanément à toute la connaissance du monde.

Palabro et ses acolytes craignaient d’autant moins de manquer de quoi que ce soit que le Prince avait eu la fantaisie de faire placer au milieu de la grande et somptueuse salle à manger qui pouvait les contenir tous, un imposant prisme hexagonal tout en verre et en métal doré, de trois mètres de diamètre, de quatre de hauteur. Ce curieux monument était en réalité une imprimante 3D, de la dernière sophistication, qui connectée aux data centers sus-mentionnés pouvait reproduire n’importe quel article.

Lorsque l’opérateur souhaitait l’obtenir, il suffisait à l’aide de sa tablette ou de son smartphone, de le sélectionner dans un inépuisable catalogue, puis d’envoyer la requête. Une lumière bleue irradiait alors le prisme, un doux ronronnement se faisait entendre. Dans la partie haute apparaissait comme sur un écran l’objet tel qu’il serait une fois terminé, dans la partie basse on le voyait se matérialiser magiquement, couche après couche. Au cours de l’opération, la lumière du prisme changeait, successivement pourpre, verte, orange, blanche, violette… L’objet était alors achevé, les portes de verre s’ouvraient, il n’y avait plus qu’à le saisir.

Ce dimanche 28 juin, un gargantuesque déjeuner venait de s’achever. Les commensaux, diversement regroupés par tables circulaires, en étaient aux liqueurs et pousse-cafés. Sur l’estrade d’honneur, où se tenaient Palabro et Garbancera, flanqués de leurs douze ministres, la conversation tomba sur le célèbre tableau de Léonard de Vinci, La Cène.

— « Avez-vous vu, » lança Nouillard, ministre de la Culture, « cette application qui permet de faire disparaître les personnages d’un tableau ? »

— « Ah, ah, oui, j’ai vu çà sur leurs anciens réseaux sociaux, trop drôle, » répondit Farfallou, ministre de l’Education.

— « Et rudement symbolique ! » ajouta Rigaton, ministre de la Cohésion sociale, « nous les avons bien viandés, ces Nazaréens nasillards, en leur interdisant de se réunir, et… »

— « Oh, mais arrêtez vos blasphèmes, vilains impies ! » interrompit en riant Garbancera, « vous oubliez que je suis très croyante. D’ailleurs c’est aujourd’hui dimanche… et si nous faisions la Messe ? »

— « Oui, oui ! » cria-t-on des tables voisines qui écoutaient la conversation, « dites la Messe, Prince Palabro, dites la Messe ! »

Le Prince sourit : « Je ne le puis, nous sommes quatorze à ma table, et il faut treize. »

— « Mais mon lapin, tu ne sais pas compter ! toi et moi ne sommes qu’un ! » dit Garbancera, d’un ton faussement offensé.

— « Toutefois, il faut pour la Messe un certain nombre d’objets indispensables, que je ne vois pas ici, » intervint Orechiet, ministre du Renseignement : « une étole, un ciboire, un calice, un ostensoir… que sais-je encore ? »

— « Bah ! et l’imprimante 3D, à quoi sert-elle ? » répliqua Linguino, ministre de la Santé.

— « Allez ! Allez ! » cria maintenant toute la salle, « nous voulons la Messe ! imprimez le matériel pour la Messe ! »

Toujours plus dédaigneusement amusé, le Prince Palabro fit un signe d’assentiment en direction de Tagliatel, ministre de l’Equipement. Celui-ci sortit son smartphone, pour se loguer sur l’imprimante, et aidé des suggestions de ses collègues, il se mit à pianoter une liste de mots ad hoc.

Le prisme de verre scintilla, le cyle de production démarra, les couleurs se succédèrent.

Une salve d’applaudissements, saluait chaque ouverture des portes, quand l’article achevé était porté triomphalement à la table du Prince, où allait se dérouler une parodie de sainte Cène. Enfin la couleur violette annonça la livraison du dernier objet commandé : le tabernacle, petit coffre en métal précieux ouvragé, qui devait contenir les hosties consacrées.

La salle fit silence ; le Prince Palabro, étole cramoisie sur les épaules, se saisissait de l’hostie pour l’élever aux yeux de tous, lorsque soudain la lumière bleue jaillit de nouveau du prisme, et le ronronnement se fit entendre.

Le Prince tourna vers Tagliatel une face irritée, comme pour lui demander ce que cela signifiait.

— « Mais je vous assure, Votre Grâce, que je n’ai absolument rien commandé de plus… vraiment je ne comprends pas… » balbutia le ministre.

Cependant d’imperceptibles lettres, d’apparence hébraïque, se dessinaient maintenant en haut du prisme, toujours plus accusées, jusqu’à ce que chacun pu les distinguer clairement :

כוד, כוד, תשע עשרה

A leur vue, le Prince Palabro, qui n’en comprenait pas plus le sens que ses ministres, pâlit ; ses pensées le troublèrent ; ses genoux s’entre-heurtèrent ; les jointures de ses reins se relâchèrent ; une odeur nauséabonde enveloppa sa chaise.

Quant au compartiment du bas il restait absolument vide ; les couleurs pourtant se succédaient au rythme habituel : pourpre, verte, orange, blanche… aucun objet n’apparaissait. Vint la couleur violette…, les portes s’ouvrirent… il n’y avait toujours rien !

Terrorisé Palabro vociféra : « La moitié de mes biens et le second rang dans mon gouvernement, à quiconque me traduira ces lettres ! »

Ce fut inutile. Seule une inopinée quinte de toux de la Garbancera, faisant reluire comme deux escarboucles vertes les yeux de son visage émacié, interrompit un silence de plomb.

Soudain un rire sardonique s’échappa du prisme, suivi d’une voix de basse profonde :

« La moitié de ton royaume ? O Prince Palabro, sache qu’il m’appartient en entier ! La richesse, les talents, les vertus, le bonheur de ton peuple, ne lui venaient que du Nazaréen ressuscité, qui autrefois, dans la nuit des temps, l’avait tiré de sa barbarie. L’amour de la vérité et de la justice, les soins apportés aux plus faibles, le respect de la femme et de l’enfant, la magnificence des arts, les merveilles de la science, tout cela c’est à l’Esprit du Christ qu’il le devait. Et toi, Prince Palabro, instruit de ces choses par tes maîtres depuis ton adolescence, tu n’as pourtant pas hésité à couper toujours plus ta nation de ses racines chrétiennes, pour l’asservir à ton ego, jusqu’à ce qu’elle devienne aussi orgueilleuse et aussi nulle que toi !

« Moi, Zhestokiy Medved, j’ai hacké ta machine. Voici la clé des lettres que j’y ai tracées :

Kovid, Kovid, Tesha Esré
Covid, Covid, 19

Et le prisme de verre s’éteignit. Et la toux et les raclements de gorge gagnèrent tout le palais. Et le dedans devint comme le dehors.

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