ACTE PREMIER (deuxième partie)
Scène V
MALIA – SALIA – BEN-HADAD – NAZAR – NAAMAN – FARIKA – LÉA – figurants
(Entre Naaman, Farika à son bras, Léa les suit.)
BEN-HADAD
Le général en chef : Naaman, le vaillant,
Le glorieux soldat qui vainquit l’assaillant,
Le héros de Damas, sauveur de la Syrie,
Valeureux protecteur de la terre chérie.
Acclamons Naaman.
(Applaudissements.)
VOIX DU PEUPLE
Naaman ! Naaman !
SALIA
C’est lui ! C’est Naaman ! Ma chère, quel tourment !
MALIA
Je vais m’évanouir. Je péris. Je trépasse.
SALIA
M’abandonne la vie ! Malia, tant qu’il passe,
Regarde à ses côtés sa femme Farika,
Soumise, les suivant, leur esclave, Léa.
NAAMAN
Mes soldats courageux, au cours de mes batailles,
De la ville ennemie ont forcé les murailles.
Le bélier en brisa la porte avec fracas,
Nos glaives ont tranché des têtes et des bras,
Nos flèches ont forcé les soldats à se rendre.
De la cité rebelle il n’est que flamme et cendre.
Oui, de cette campagne au succès glorieux
Nous rapportons pour toi un butin généreux :
Or, argent, fer et bronze, topazes et sardoines,
Nous avons des vaincus pillé le patrimoine,
Vases et diadèmes de rubis incrustés,
Dagues aux longs fourreaux dans l’ivoire sculptés,
Boucliers d’or, tapis de peau, manteaux de soie,
Chevaux d’ébènes, paons bigarrés, oiseaux de proie.
Le trésor envié que tenaient ces vauriens,
Gage de ma victoire, aujourd’hui t’appartient.
Les chevilles ferrées de solides entraves,
Voici venir à toi de forts et beaux esclaves,
Enfants aux doux visages, hommes aux bras musclés,
Filles à la peau douce, femmes au front voilé.
Puissent ces beaux garçons, ces femmes gracieuses
Te servir avec zèle, rendre ton âme heureuse.
Que ces simples présents à tes pieds rassemblés
Fassent de Ben-Hadad un monarque comblé.
BEN-HADAD
Nous t’accordons, ami, notre reconnaissance
Pour l’or et pour l’argent et pour notre défense.
Il est temps maintenant d’honorer le sauveur
Véritable, et louer, au pied de sa splendeur
Celui qui, du méchant brisa le glaive infâme.
Celui qui la louange à son peuple réclame.
À Rimmon, le Seigneur du soleil et du vent,
Proclamons notre foi dans un culte fervent.
NAZAR
À Rimmon, le pouvoir et la toute-puissance,
À l’homme soit la foi et soit l’obéissance.
Adorons sa statue dans un élan pieux
Car en elle se plaît l’âme de notre dieu.
À l’homme n’appartient ni force ni courage.
Tout lui vient de Rimmon dont seul il est l’ouvrage.
LÉA
Ce qu’il nous faut entendre !
FARIKA
Tais-toi, Léa !
LÉA
Pardon.
NAZAR
Implorons à présent le grand maître Rimmon.
LÉA
Je ne sers pas Rimmon.
FARIKA
Léa, veux-tu te taire ?
NAZAR
Que chacun, désormais, le genou contre terre,
Accorde à sa statue son adoration.
LÉA
À la pierre muette, point de dévotion.
FARIKA
Te tairas-tu, Léa ?
NAZAR
Ici dans son saint temple,
Chantons à ce grand roi des cieux qui nous contemple.
LÉA
Il n’y a qu’un seul Dieu sur terre et dans le ciel :
Rimmon n’est pas son nom. Son nom est l’Éternel.
FARIKA
Léa, par tous les dieux !
NAZAR
À genoux, chair mortelle.
(Tous s’agenouillent, sauf Léa.)
LÉA
Je ne sers pas Rimmon.
NAZAR
Dis-moi, fille rebelle,
Du dieu qui place en nous la crainte et la terreur
Sur ta tête oses-tu attirer la fureur ?
LÉA
Je ne sers pas Rimmon.
NAZAR
Écoute, je te prie
Mon conseil, jeune fille, ne joue pas sur ta vie,
Du dieu de la Syrie détourne le courroux :
Au pied de sa statue rampe sur tes genoux.
LÉA
Je ne sers pas Rimmon.
FARIKA
Léa, fille insensée,
Implore le pardon de l’idole offensée.
LÉA
Je ne sers pas Rimmon.
NAZAR
À genoux, je le veux,
Avant que sur ta tête il abatte son feu.
LÉA
Je ne sers pas Rimmon.
NAZAR
À genoux, juive impie.
Ou bien je châtierai ton ignoble hérésie.
LÉA
Je ne sers pas Rimmon.
NAZAR
Très bien, je vais sévir,
Impénitente esclave, je saurai te punir.
LÉA
Je ne sers pas Rimmon. Que Nazar me pardonne !
MALIA
Quelle forte leçon de courage elle donne !
Je ne crains pas Rimmon, mais Nazar me fait peur.
Me voici prosternée sans aucune ferveur.
La juive méprisable, sans crainte pour sa vie
Résiste à l’irascible prêtre et le défie.
NAZAR
Pour la dernière fois : Te prosterneras-tu ?
LÉA
Je ne sers pas Rimmon. Longtemps mon cœur s’est tu,
Mais aujourd’hui, mon Dieu m’interdit le silence,
Et de plaider pour lui mon désir est immense.
Le vrai Dieu, le Dieu fort, est le Dieu d’Israël.
Je ne sers que lui seul. Oui, je n’adore qu’El.
Il m’a donné la vie, bien haut je le proclame.
Il a formé mon corps, lui a donné une âme.
Il a créé les lacs, les fleuves et les monts.
Il a créé le roc dont vous fîtes Rimmon.
NAZAR
Paroles sacrilèges ! Te tairas-tu, vipère ?
LÉA
L’Éternel est mon maître, il est aussi mon Père.
NAZAR
Rimmon te détruira.
LÉA
Quoi ? Ce produit humain ?
Dieu le renversera du revers de la main.
Un jour, les Philistins capturèrent son arche.[1]
Au temple de Dagon, ridicule démarche,
En quête d’autre objet pour leur dévotion
Et de divinité pour leur collection,
Le mirent en Asdod au pied du dieu de pierre.
Tel un fauve dressé, cette idole altière,
Tel un maître en ce lieu paraissant dominer
Et le coffre de cèdre il voulait contempler.
La nuit vint assombrir la cité philistine.
À l’aube, les servants, exerçant la routine,
Trouvèrent contre terre le visage tourné
Devant l’arche le dieu de marbre prosterné.
NAZAR
Qu’on la force à se taire ! Cette folle délire.
LÉA
Les prêtres, tout confus, sans en oser rien dire,
Replacèrent Dagon sur le socle scellé,
Puis à leurs liturgies se laissèrent aller.
Une autre nuit passa, pour l’idole funeste,
Laquelle s’abattit dans une chute leste.
La tête et les deux bras de ce pauvre Dagon
Se brisèrent au sol, ne laissant que le tronc.
NAZAR
J’interdis d’écouter de pareilles sottises.
LÉA
Ô prêtre vénéré, souffrez que je le dise :
Je ne sers pas Rimmon, ni Dagon, ni Baal.
Ces dieux faits de main d’homme se défendent trop mal
Face au Dieu des Armées, celui que mon cœur aime.
NAZAR
Par l’enfer ! vous venez d’entendre ce blasphème.
Je réclame vengeance et Rimmon veut du sang.
L’insensée a brisé son cœur en l’outrageant.
Son amour infini s’est transformé en haine,
En malédiction au peuple damascène.
Le dieu m’avait en songe averti d’un malheur,
Sa vision m’a comblé d’angoisse et de terreur.
Qu’à l’instant, sur l’autel, en un flot se déversent
Les ondes cramoisies de la juive perverse.
Alors, rasséréné, le maître écartera
Peste, famine, lèpre, misère et choléra.
Oui, le dieu vénéré nous réclame justice ;
Offrons-lui cette vierge en vivant sacrifice.
Saisissez-la !
(Deux soldats la saisissent chacun par un bras, elle les repousse.)
LÉA
Ne posez pas sur moi vos mains.
Votre autel est tout près, je connais le chemin.
(Elle va se placer devant l’idole.)
Je ne veux pas m’offrir à ce dieu ridicule,
Mais pour le seul vrai Dieu qu’on m’égorge ou me brûle,
C’est mourir en témoin, glorifiant son nom.
NAZAR
Que meure en se taisant cet enfant du démon !
(Des prêtres forcent Léa à s’agenouiller, l’un d’eux lui place un couteau sur la gorge. Elle n’oppose aucune résistance.)
FARIKA
À me servir, Léa déploie son plus beau zèle
Et je ne veux pas perdre une esclave fidèle.
Interviens, Naaman.
NAAMAN (à Ben-Hadad)
Mon Seigneur et mon roi,
De ton humble servant daigne écouter la voix.
Nous ne voulons pas perdre l’enfant précieuse
Qui par tant de bonté rend ma famille heureuse.
Au retour de campagne, au pays d’Israël,
J’arrachai la fillette au foyer paternel,
Je l’offris en présent à mon épouse aimée ;
L’âme de Farika s’y est fort attachée.
Hélas ! Nous la perdons, qui nous consolera ?
NAZAR
Il nous faut tout donner à Rimmon.
NAAMAN
Pas Léa.
BEN-HADAD
Nous devons châtier cette juive rebelle.
Allons ! Je t’offrirai deux esclaves comme elle.
NAAMAN
Je ne veux que Léa.
BEN-HADAD
N’as-tu pas entendu
Les paroles du prêtre ? Un sacrifice est dû.
Et ta jeune servante, pour sa parole impie,
Rimmon l’a décidé, ne peut qu’être punie.
Au courroux de mon dieu livrez-la sans sursis.
NAAMAN
Je ne veux que Léa.
NAZAR
Rimmon la veut aussi.
NAAMAN
Agis, roi magnanime. J’ai servi la patrie.
De la main du bourreau sauve l’enfant chérie.
En échange, à Rimmon, je donne de l’argent,
De l’or et des rubis, saphirs et diamants.
Pour mes actes de guerre, unique récompense,
J’implore sur Léa ta royale clémence.
BEN-HADAD
Pour avoir terrassé le prédateur maudit,
J’accède à ta demande. Ainsi, le roi l’a dit :
Qu’on libère à l’instant cette esclave insoumise !
Mais nous n’acceptons pas qu’elle pèche à sa guise.
Qu’un fouet lourd et cruel lui lacère la peau !
Qu’on épargne sa gorge et déchire son dos !
NAZAR
Le dieu que jour et nuit je sers sans un murmure
Est frustré de l’esclave aux croyances impures.
Elle aime un autre dieu et vénère un rival.
Ainsi parle Rimmon sur son trône impérial ;
Ainsi parle Rimmon dans sa juste colère :
Faible roi Ben-Hadad, tremble et te désespère,
Car aujourd’hui ton dieu ne te protège plus.
Et pour toi, Naaman, il n’est point de salut.
Rimmon n’accordera ni faveur ni clémence,
Il s’éloigne de toi, trop grave est ton offense :
Ta peau deviendra blanche et se morcellera,
Tout ongle et tout cheveu, toute dent tombera,
La force s’enfuira de ta musculature,
Le mal rendra hideux les traits de ta figure.
Comme un sceau, comme un fer, il marquera ton front.
Tes mains perdront leurs doigts qui s’en détacheront.
Par ta propre famille, épave abandonnée,
Errant de grotte en grotte, larve désespérée,
Tu fuiras dans la honte et mourras dans l’oubli.
Craignant toujours les hommes tu mourras dans la nuit.
Ainsi parle Rimmon : ton audace est punie.
Ainsi s’achève ici notre cérémonie.
(Les participants se retirent les uns après les autres. Naaman reste seul. Puis Léa le rejoint.)
Scène VI
NAAMAN – LÉA
NAAMAN
Hélas ! Je suis perdu, le prêtre m’a maudit.
La terreur est mon lot. L’espoir m’est interdit.
LÉA
Ne perds pas ton courage. Relève-toi, mon maître,
Et regarde la vie.
NAAMAN
Il m’a maudit, ce prêtre.
LÉA
Il t’a maudit, la belle affaire !
NAAMAN
L’horrible mal
Souille déjà mon sang. Je meurs !
LÉA
Mon général,
N’as-tu pas asservi le monde entier, ou presque ?
Et te voici vaincu par ce vieillard grotesque !
NAAMAN
Le prêtre de Rimmon ! Ne parle pas ainsi,
Ou ce mal effrayant va te détruire aussi.
LÉA
Ô superstition ! humanité crédule !
Que pourrait contre toi ce caillou ridicule ?
NAAMAN
Rimmon est bien vivant, et plus puissant que moi.
Aussi bien qu’un mortel il parle, mange et boit.
LÉA
Il boit ! S’enivre-t-il, ce coquin véritable,
Lorsque dans sa cuisine Rimmon se met à table ?
NAAMAN
N’insulte pas Rimmon, tu en as assez fait !
LÉA
J’aimerais trop le voir assécher d’un seul trait
Ces amphores de terre à ses pieds entassées.
NAAMAN
Laisse ton ironie, jeune juive insensée !
Des offrandes du peuple est notre dieu nourri.
LÉA
Il mange tout cela ? Quel féroce appétit !
NAAMAN
Oies et poules farcies jamais ne rassasient
Le dieu qui cette nuit les aura dégluties.
LÉA
Le roc ne mange pas.
NAAMAN
Rimmon mange, et demain,
De tous ces vivres-là il ne restera rien.
LÉA
La pierre n’a pas faim. Le vieux Nazar vous berne,
Et je vais sur-le-champ éclairer ta lanterne.
(Elle va chercher un sac de farine parmi les offrandes.)
NAAMAN
Mais que fais-tu, Léa ?
LÉA
Je confonds ce lascar !
Observe bien ceci : prête-moi ton poignard.
NAAMAN
Ne va pas te blesser. C’est une arme de guerre.
LÉA
J’ai connu ce matin menaces plus sévères.
(Elle crève le sac et répand la farine autour de l’idole.)
NAAMAN
Que signifie ce jeu ? Explique-moi, Léa.
LÉA
Au milieu de la nuit, ton dieu se servira.
Au matin tu verras les marques, ô scandale,
Des prêtres de Rimmon des augustes sandales.[2]
[1] 1 Samuel 5.1/4
[2] On trouve une semblable anecdote dans un chapitre apocryphe du livre de Daniel.
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© 2019 Lilianof
Merci, j’aime beaucoup ! Un vrai plaisir cette pièce, beaucoup d’intertextualité, de poésie, d’humour et d’émotion… Tu excelles dans ce domaine !
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C’est super bien écrit, bravo ! Une petite erreur toutefois. J’en profite pour le signaler, car c’est une erreur souvent commise dans les milieux chrétiens. Léa est dite juive; mais du temps d’Elisée, on était en Samarie et non en Juda, et on pouvait donc s’attendre à ce que Léa qui connaissait Naaman (celui qu’Elisée avait guéri de la lèpre, je présume) soit une femme de la Samarie (Ephraïmite par exemple). Les Juifs (de Judée) sont issus de l’ancien royaume de Juda. Voilà, c’est tout. Ce n’est pas très grave.
Mais c’est vraiment très bien ce passage autour de la foi éclairée de Léa qui affirme sa foi et dénonce la vaine idolâtrie de ses proches. De beaux alexandrins dans le style classique. Merci pour cette belle scène de théâtre.
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