Un article de Paul Gosselin
Je me souviens, entre autres, qu’au 16e siècle Agrippa d’Aubigné se plaignait déjà que ses confrères huguenots n’écrivaient que des trucs dévotionnels. Évidemment le massacre de la St-Barthélemy (qui a éliminé une part très importante des élites politiques et culturelles huguenotes en 1572) a pu contribuer à ce silence littéraire des protestants francophones, mais il y a lieu de penser qu’une tendance anti-littéraire avait déjà pris racine avant ces événements et y a contribué. Il faut admettre évidemment que les conditions matérielles des huguenots étaient difficiles (pauvreté, persécutions et exile), mais il arrive parfois que la grande littérature soit rédigée dans des conditions pénibles, voire même très dangereuses. Il suffit de penser au cas récent d’Alexandre Soljenitsyne et de son œuvre littéraire, rédigé sous la menace du KGB et, dans un contexte tout à fait comparable à celle des huguenots, l’œuvre de John Bunyan, rédigée en prison.
Mais récemment un contact suisse m’a mis au courant d’une exception qui confirme la règle, un auteur protestant francophone suisse du XIXe siècle, soit Urbain Olivier (1810-1888), qui fut l’auteur non pas d’un ou deux romans, mais plus d’une trentaine, rédigés pour la plupart entre 1860 et sa mort en 1888. En 30 ans, 125 000 volumes d’Olivier sortirent des presses chez Bridel.
Urbain Olivier est héritier à la fois de la Réforme et du Réveil ainsi qu’un protestant aux convictions tout à fait bibliques. Tous ses romans se passent dans le canton de Vaud, ce jardin clos de l’arrière-pays de la ville de Nyon, entre le lac et le Jura. Sa vision chrétienne de la réalité se retrouve constamment dans ses livres, mais la problématique humaine et sociale est toujours nouvelle. Toutes les grandes interrogations de notre civilisation (qui a mis Dieu au rancart) s’y retrouvent analysées de manière parfaitement romanesque, pleinement imaginée, parfois dramatique, parfois cocasse, toujours captivante. Ses romans, dont la forme se limite aux contraintes de l’esprit classique et dont le fond dépasse tous les âges, n’esquivent jamais les difficultés réelles auxquels ses personnages se confrontent. Mais l’auteur les perçoit toujours à la lumière de l’espérance chrétienne.
Olivier dépeint dans ses romans un christianisme biblique d’un grand réalisme spirituel : Dieu agit véritablement dans la vie des personnages qu’il décrit. Le christianisme est une action de Dieu dans le temps, et non pas un système théologique abstrait. La grâce qui touche des coeurs… En lisant Olivier ont voit bien le contraste entre la théologie Word-Faith de notre génération qui affirme que « par la foi » l’on peut établir notre « paradis » ici-bas, et la théologie protestante du XIXe siècle où le concept que le monde dans lequel nous vivons est un monde déchu, un monde où le chrétien souffre parfois aussi. Un de ces romans nous fourni ce cantique:
Hélas ! ils sont nombreux, les moments de nos peines;
Souvent nos durs sentiers traversent le désert.
Mais là même, ô Jésus! jaillissent tes fontaines;
Là même ton rocher nous reçoit à couvert.
Ô chrétien voyageur ! ne crains pas la tempête;
Ne crains pas du midi les brûlantes ardeurs.
Ne vois-tu pas Jésus, qui dès longtemps apprête
Le refuge où vers lui vont cesser tes langueurs.
Reprends donc le combat ; poursuis vers ta patrie
Le chemin que ton Dieu t’a lui-même tracé;
Et pense que pour toi dans le ciel Jésus prie,
Lorsqu’ici tu te plains, de fatigue oppressé.
Mais les convictions d’Olivier, manifestées dans la vie de ses personnages, ne sauraient être plus orthodoxes. Il est de la famille des Viret, des Gotthelf. Parfois on penserait lire du Jane Austen ou, même, dans des scènes comiques, du Molière…