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Lettre à Elisabeth

Maman,

J’ai fait rédiger cette lettre par l’intermédiaire d’un scribe que je me suis empressé de faire venir.

Encore à l’instant, je ne sais pas si cette idée est la bonne. En voyant la plaque de cire dans ses mains je me demande si l’importance du message que j’ai désiré te délivrer ne s’en trouve pas ridiculisé.

Qu’est-ce que la cire peut vraiment transmettre de ce que je m’apprête à te dire ?

La pierre, elle, est sûre. Je crois dans sa gravure d’une infinie durabilité, je la sais capable de supporter le doigt de Dieu… mais la cire ?… Elle fond, se tort, se plie à la moindre variation du désir tortueux de l’homme et du temps, je trouve sa nature bien trop changeante… Toutefois la pierre prend trop de temps, et mon annonce est pressante.

J’ai aussi pensé à te faire parvenir des messagers, cependant la cire semblait étrangement plus adéquate. Toi, maman, tu connais le son de ma voix, et tu sauras l’entendre résonner en ton for intérieur en lisant ce message. Et même si nous ne nous sommes pas vus depuis longtemps, la voix que tu me prêteras en ton cœur vaudra toujours mieux que la voix étrangère d’un messager inconnu, et pour comprendre ce que je vais te dire, il te faudra m’entendre moi, dans tout ce que je suis, à tes yeux de mère, et aux yeux de notre Père.

Maman, ça y est… je l’ai vu… j’ai croisé Yéshoua… J’ai frappé de plein fouet le zénith de la courbe de mon existence, à présent, je diminue et, lui, grandit.

Mes mots sont étranges pourtant je parle d’un déclin heureux, je me couche, joyeux comme le soleil en fin de journée, content d’avoir réussi, par la grâce d’Elohim, à faire briller toute ma lumière sur le peuple de son pâturage, juste le temps de donner l’occasion à un nouveau jour de paraître.

Maman, tout cela tu le savais déjà, ayant reçu les prémices de cette bonne nouvelle et la compréhension des choses qui étaient à venir, bien avant leur accomplissement. Moi aussi je le savais, l’ayant reçu en ton sein. En revanche, ce que je ne savais pas, ce que j’ignorais pleinement, c’était l’intensité de la gloire du moment que j’allais vivre.

Je te livre cette gloire telle qu’elle m’est venue, soudaine, bien qu’attendue, vive, mais si paisible, comme un éclatement cathartique, comme la déchirure d’un tissu épais qui, tout à coup, laisse entrer la lumière et sa chaleur.

Maman, je ne savais pas combien j’avais froid jusqu’à ce que je me tienne là, en présence de sa chaude lueur.

Ce jour-là, j’étais sur le bord du Jourdain qui borde l’endroit désertique où nous nous sommes installés mes disciples et moi. Comme l’Esprit me l’avait prédit, la foule n’a pas tardé.

J’ai croisé tant d’âmes en peine, maman, depuis que j’attends de le voir, que mon cœur en a été meurtri jusqu’au plus profond. J’aurais voulu devenir moi-même ce Jourdain et déborder sur tout le peuple en une seule fois. Oui, je serais sorti de mon lit avec fracas, avec la force inébranlable que donne l’amour, et j’aurais coulé en torrent à leur rencontre, je leur aurais épargné les longues heures d’attente avant de pouvoir plonger dans les eaux de la repentance. Maman, le Jourdain est immense, mais j’étais moi seul la porte pour y entrer.

À quoi sert un fleuve de repentance si large, quand il n’a qu’une porte aussi étroite pour y entrer ? Et quand bien même, le Jourdain est très grand, néanmoins j’ai vu que le péché du peuple l’était bien davantage… il l’est infiniment plus, maman.

Maintenant que j’y pense, nous devions avoir l’air absurde à ses yeux, le Jourdain et moi, écopant un bateau gigantesque avec une cuillère inadéquate et dérisoire… Ou peut-être nous a-t-il trouvé courageux, préparant son chemin de toutes nos forces ?

Maman, il est passé si vite… Je suppose que je ne le saurais jamais.

Ce fut d’abord comme un éclair qui traversa l’horizon. Mes yeux furent tout de suite attirés, car je reconnus aussitôt la brillance de l’Esprit, cette blancheur incomparable. Je m’avançais alors dans la foule, ignorant les regards perplexes des disciples et des gens de la foule qui me toisaient, je me frayais un chemin au milieu d’eux en suivant la lumière divine.

Elle virevolta, comme un oiseau qui cherche une branche, comme une colombe qui cherche un nid. Puis elle se posa sur l’épaule d’un inconnu.

J’avançais rapidement en bousculant maladroitement les gens qui s’étaient approchés pour me cerner et me poser mille questions que je n’entendais pas. Je voulais voir son visage.

Quand je fus suffisamment près pour le voir, je me figeais brusquement.

Il regardait la colombe sur son épaule en souriant sereinement.

À cet instant je ne me souviens plus de ce qu’est devenue la foule. Il n’y avait plus que le silence de ce moment. Il n’y avait plus que nous, comme si l’espace et le temps avaient perdu tout contrôle, toute emprise sur l’existence. Tout semblait se courber devant lui, les secondes et les éléments, les sons et les sentiments, mes aspirations et mes craintes. Tout.

Sa tête a commencé à pivoter dans ma direction avec une lenteur absolue, j’avais l’impression de voir des milliers d’années se déployer en éventail sous mes yeux, c’était un simple mouvement qui semblait aussi lourd et stable que toute une montagne.

Son regard a croisé le mien, et j’ai crié.

« VOICI L’AGNEAU QUI ÔTE LE PECHE DU MONDE ! »

J’ai crié si fort, maman, que j’ai failli basculer vers l’avant. J’ai senti tout mon corps se vider de toute énergie, tout ce que j’ai toujours été venait d’être aspiré en une fraction de seconde pour foncer sur lui et le recouvrir.

Maman, en criant cette phrase, j’ai tout compris. Tout avait subitement du sens : le Jourdain, la Porte étroite, tout ce qui semblait peser lourd sur mes épaules, tout ce que j’étais, mais qui m’écrasait… c’était pour lui… c’était Lui.

Il m’a pris tout ce que j’étais, et il m’a donné l’occasion de devenir autre chose. J’étais vidé de moi, mais, quelque part, j’étais rempli de lui. Il m’avait tout pris, mais j’étais alors libre du poids de ma propre naissance.

Suite à cela, le chaos de la vie a éclaté à nouveau et les milliers de questions et de corps revinrent s’entrechoquer tout autour de moi.

Il s’est approché et nous avons parlé brièvement, il a désiré que je le baptise, et je ne voulais pas. Mais cela aussi, j’ai fini par le comprendre. Nous en parlerons quand Adonaï permettra que je te voie face à face, maman.

Dans cette lettre, je voulais surtout que tu saches que ce qui devait être fait, est fait. Je voulais que tu sois fier de moi, parce que je voulais que tu sois fière de toi.

Maman, tu peux être fière de toi : le fils que tu as engendré a annoncé le Salut et il l’a annoncé pleinement, de toutes ses forces, sans rien retenir, sans rien ajouter, sans craindre.

Ton fils qui t’aime, Jean, surnommé « Le Baptiseur ».

Cette lettre est une réponse au défi d’écriture en cours sur Plumes Chrétiennes. Le tout est d’écrire sous la forme épistolaire (mail, lettre, carte postale, … en fonction du contexte) afin de communiquer une bonne nouvelle ! Là est tout le défi : partager une vraie source de joie tout en la transmettant de la manière la plus fidèle pour être suffisamment convainquant.

5 commentaires sur “Lettre à Elisabeth

  1. Magnifique.. très profond … « je ne savais pas combien j’avais froid jusqu’à ce que je me tienne là, en présence de sa chaude lueur »…
    merci !

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  2. Merci à vous pour ce retour ! Je suis très heureux de savoir que ça vous a fait du bien.

    Je remercie aussi tous ceux qui Like d’ailleurs, tout particulièrement les deux plumes (chrétienne et messagère) pour m’avoir aidé à parfaire cette lettre grâce à leurs corrections et leurs conseils avisés !

    Encore un défi qui m’a poussé plus loin dans l’imaginaire spirituel et la compréhension de notre Seigneur, ce site est une vraie réussite ! (une réu-site du coup ? héhé…)

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