Le Forgeron d'Audresselles·Théâtre

Le Forgeron d’Audresselles (5)

Scène III

MAUPRAT – CLAIRE – MICHEL – BOCQUILLON

MAUPRAT

Mais voici Maître Bocquillon, notre curé. Qu’est-ce qui nous vaut l’honneur de votre visite ?

BOCQUILLON

Je passais dans le secteur, j’en profite pour prendre de vos nouvelles. En fait, j’ai un service à demander à Claire.

CLAIRE

C’est toujours une joie de vous être utile.

BOCQUILLON

Jeanne Mauduy vient d’avoir une petite fille, et son mari est toujours malade depuis deux mois. Est-ce que vous pourriez aller la visiter ?

CLAIRE

Avec le plus grand plaisir. Je dois justement aller voir un nouvel ami qui vient de s’installer à Audinghen et qui m’a promis de m’apprendre la lecture. Ah ! Maître Bocquillon ! Quelle joie ! Bientôt je saurai lire !

BOCQUILLON

Un nouvel ami, à Audinghen ? J’ose espérer qu’il ne s’agit pas de ce Taillebos, que l’on surnomme « L’Hollandais ».

CLAIRE

Je suis surprise de votre réticence.

BOCQUILLON

Mon enfant, il faut que je vous explique certaines choses.

****

Gardez-vous bien des luthériens,
Calvinistes
Zwinglistes
Et autres melanchtoniens.
Comme tous ces énergumènes,
On m’apprend que ce phénomène
Loin de l’Église s’en veut fuir
Et trouve tout son plaisir
Dans les pratiques des païens.
Il m’est décrit comme un vaurien
Mécréant de la pire espèce,
Il ne paraît jamais à confesse.

MAUPRAT

Taillebos est de mes amis,
Notre curé, je vous le dis,
C’est un homme des plus honnêtes
Et bien qu’il ait la forte tête,
Je le jure sur tous les miens,
C’est un fidèle chrétien.

BOCQUILLON

Sans doute, ami Mauprat, sans doute,
Mais notre homme a suivi sa route :
Dix ans en Hollande, ma foi !
Les Hollandais ont renié la loi
De notre Pape et de l’Église.
Notre Sainte Mère ils méprisent.
De l’eucharistie même ils ne font aucun cas.
Cantons maudits que sont les Pays-Bas !
Leur hérésie, c’est le grand crime
Qui précipitera dans l’abîme
Tous ceux qu’elle aura fourvoyés.
Par l’enfer ils seront broyés.
Mon enfant, prends bien garde au malin,
Guettant sa proie tel un félin,
Séduisant les chrétiens par des paroles vaines,
Il voudrait t’arracher à l’Église Romaine.
L’hérésie, comme la peste
Est contagieuse et du reste,
J’irai voir Taillebos et lui toucher deux mots.
Et pour vous éviter quelques maux
Que pourrait vous causer cette secte maudite
Je vous demanderai d’éviter ces visites.

CLAIRE

Je vous dois l’obéissance
Et le respect, mais je prends la licence
D’agir selon mon cœur et de partir ce soir.
Retrouver cet ami ne se pourrait surseoir.

BOCQUILLON

Vous m’auriez mal compris, jeune fille, il me semble.
C’est pour votre âme que je tremble.
Vous êtes jeune, et pleine de faiblesse.
Du vieux pasteur écoutez la sagesse.
Ma pauvre enfant, éloignez-vous du mal.
Qui vous protégera des griffes de Bélial ?

CLAIRE

Pour résister au diable,
Ne suis-je pas capable
De lutter par la foi ?
Mon Père, dites-moi :
Quelle preuve avez-vous pour accuser ainsi ?

BOCQUILLON

Il traîne sur le port, à la taverne aussi ;
Il y fume, il y boit.
Des témoins l’y ont vu : Robert, Etienne, Lise.
Mais à l’église,
Jamais on ne le voit.

CLAIRE

À grand regret, je vais vous décevoir,
Mais il est notre ami, je veux aller le voir.

BOCQUILLON

Votre insolence
N’a d’égal que votre turbulence.
Vous n’irez pas.

CLAIRE

                                               J’irai.

BOCQUILLON

Craignez donc ma colère.

CLAIRE

Je ne redouterai
Que celle de mon Père.

****

BOCQUILLON

Vous me décevez beaucoup, Mademoiselle ! Comment osez-vous tenir ainsi tête à un représentant de la Sainte Église ? Vous m’en voyez marri, mais j’irai moi-même chez les Mauduy. Je me passerai désormais de vos services. Et vous, Mauprat, je regrette d’avoir à vous le dire, mais vous avez accueilli l’infamie dans votre maison. Fille d’hérétique elle est, hérétique elle deviendra, si nous n’y mettons pas bon ordre. J’y perdrai une fille. Et vous aussi, Mauprat, vous la perdrez.

MAUPRAT

Ah ! Ne dites pas cela, notre curé ! Cela m’est insupportable.

Scène IV

CLAIRE – MICHEL

MICHEL

Qu’as-tu fait ?

****

CLAIRE

J’ai tranché l’amarre, brisé le lien
Qui me laisse au port à quai me retient.
Je vois s’éloigner déjà le rivage.

MICHEL

Mais du prêtre, Claire, as-tu vu la rage ?
Tu dois sans retard aller confesser,
Toi qui sa requête osas transgresser.

CLAIRE

Ai-je donc commis un péché si grave ?
Vouloir naviguer sans aucune entrave.
Vouloir pénétrer les plus doux secrets
Du livre et sonder les divins décrets.

MICHEL

Mais, le prêtre…

CLAIRE

                                   Qu’est-il d’autre qu’un homme ?
D’os et de chair, il est ce que nous sommes,
Et comme nous il a soif, il a faim.
Pour te sauver tu l’appelles en vain.
Comme chacun formé de la poussière,
Dieu l’a pétri d’une poignée de terre.
Au-dessus du prêtre est le créateur.
Regarde la terre. Quel en est l’auteur ?

MICHEL

Que dirait le prêtre ?

CLAIRE

                                               Que veux-tu qu’il dise ?

MICHEL

Que tu perds ton âme en fuyant l’Église.

CLAIRE

Que je perds mon âme ! Le peut-il prouver ?
Peut-il te damner ou bien te sauver ?

MICHEL

Ma sœur, ces propos sentent le blasphème.
Le prêtre pourrait te rendre anathème.
Tu vogues trop loin, ma petite sœur.
Tu feras naufrage et tu me fais peur.
Au prêtre tu dois toute obéissance.
Que gagneras-tu par telle licence ?

CLAIRE

Je veux seulement la vraie liberté
De connaître Christ, sa divinité.
Laisse donc le prêtre à la sacristie,
À son goupillon et à ses hosties.
Bientôt je saurais lire et méditer
Le livre d’oracles et de vérité.

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© 2021 Lilianof

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