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La corde du diable

Par Chantal Girardin, en réponse au défi d’écriture sur la justice.

Salut toi !

Je n’ai pas l’air comme ça, mais en fait je suis un arbre. Un arbre comme il y en a partout, dans toutes les forêts, ou au bord des rivières, ou dans les jardins. Un arbre tout ce qu’il y a d’ordinaire, fait d’un tronc, de branches et de feuilles vertes.

Avec mes frères, je suis né juste à la lisière de cette belle prairie là-bas, de ce côté-ci du chemin boueux, celui qui monte au Bois de La Madeleine. Ce n’est pas très loin de la rivière argentée, tu sais, celle qui serpente en fredonnant la vie…

Tout jeune arbre, je ne pensais qu’à organiser des concours de charades avec mes frères et mes amis, ceux plantés de l’autre côté du sentier. Je m’amusais aussi très souvent avec les oiseaux et les écureuils, et j’aimais beaucoup faire chanter mon feuillage dans la brise du matin…

Mais voilà, un jour, un randonneur est arrivé. Enfin, je croyais que c’était un randonneur comme ceux qu’on aperçoit sur les sentiers, par ici. Ils marchent en s’aidant d’un bâton, courbés sous le poids de leur sac.

Celui-là ne ressemblait pas tout à fait à un promeneur. Il portait en bandoulière un grand rouleau de fil argenté et tenait à la main une caisse en bois où s’entrechoquaient clous et lourd marteau.

Cela m’a paru bizarre. J’en étais plus que certain maintenant : ce n’était pas un randonneur !

Je ne sais pas pourquoi, mais subitement j’ai eu peur et je me suis mis à trembler de toutes mes feuilles.

Et puis tout à coup, tout près de moi, j’ai entendu des chocs, et puis des « aïe « , et puis des sanglots. Et puis plus rien.  

Le drôle de randonneur s’est alors approché de moi. J’ai compris que c’était mon tour. Je ne pouvais pas y échapper. J’étais terrifié.

Ce faux marcheur n’a même pas eu un regard pour moi. Il n’a pas dit un mot, pas même un seul, et m’a laissé avec ma terreur…

Il a déroulé son fil d’argent et, d’un coup sec, il l’a cloué sur mon ventre. Aïe ! Et c’est ainsi qu’il me transforma en vulgaire poteau de clôture !

Mon tronc saignait.

Il n’y a pas que les clous qui faisaient mal. Sur le fil d’argent, une multitude de pointes acérées déchiquetaient inlassablement mon manteau d’écorce. La douleur était atroce.

Ce fil d’argent, c’était du fil de barbelé. La corde du diable, disent certains.

Dès cet instant, ma vie ne fut plus jamais la même. Je n’ai plus ri, ni souri. Je n’avais plus le cœur à chanter dans le vent. Je n’osais plus grandir, à cause de la peur et de la douleur.

Mes rêves étaient remplis de brumes et d’ombres. Jamais de soleil, ni de ciel bleu.

Même les écureuils, et les oiseaux qui me rendaient visite, ne parvenaient à me donner le désir de vivre.

J’étais devenu poteau de clôture. Ça ne rit pas, un poteau de clôture !

J’avais perdu espoir. Et quand il n’y a plus d’espoir, qu’est-ce qui donne le goût de vivre ?

J’étais né arbre. J’avais rêvé de porter des nichées d’oiseaux dans mes branches, et m’envoler avec eux pour danser haut, très haut dans le ciel.

J’avais rêvé de toucher le bel arc en ciel du bout de mes branches, et saupoudrer mon feuillage de ses rayons de lumières. Mais voilà, j’étais devenu poteau de clôture.

Un poteau de clôture, ça ne bouge pas. Ça ne vole pas. Ça ne danse pas. Ça n’a même pas d’amis. Ça reste debout sans rien dire, sans rire ni sourire, ni pleurer, toujours, malgré le vent et la pluie, et les années qui passent.

J’étais condamné à observer la vie, sans la vivre. J’étais devenu… séparation.

Quelque chose était totalement brisé en moi. Irréparable. Inguérissable.

Juste envie de mourir. Ne plus exister.

Un jour, un petit oiseau est venu me chanter une chanson à la fois très douce, et très triste. Elle racontait l’histoire du Fils de Dieu sur le corps duquel on a planté des clous, comme à moi ; sur la tête duquel on à mis des épines qui déchirent, comme à moi.

Le petit oiseau m’a expliqué que le Fils de Dieu est mort en emportant toutes mes épines, toutes mes souffrances, puis Il est revenu à la vie pour me donner la liberté.

L’oiseau a alors pépié : « crois, crois »…

J’ai réalisé que même un poteau de clôture, ça peut croire en Dieu. Alors, je me suis mis à croire. J’ai demandé à l’oiseau :

– Si le Fils de Dieu a subi les mêmes souffrances que moi, il peut donc comprendre ce que je ressens ?

– Il le comprend, répond l’oiseau.

– S’il a emporté toutes mes souffrances, pourquoi ai-je encore mal ?

– Parce que tu es blessé. Laisse Jésus te guérir.

– Si Jésus m’a libéré, pourquoi suis-je encore prisonnier de ces barbelés ?

– Tu n’es plus prisonnier de ces barbelés. Jésus t’a réellement libéré ! Mais en restant attaché à tes souffrances, tu es devenu ta propre clôture et tu t’empêches d’avancer. Crois simplement que Jésus t’a libéré…

J’ai regardé mon ventre. Quelques pointes de barbelé émergeaient ici et là de mon écorce boursouflée, et derrière s’appuyait l’épaisseur de ma souffrance. Une souffrance qui colle à la peau, comme un morceau de sparadrap.

Comment puis-je donc avancer ? Il est bien là, ce fil de clôture. Je ne l’ai pas rêvé ! Comment faire ?

Alors, j’ai décidé de croire que Jésus m’a vraiment libéré. Après tout, c’est Lui le Fils de Dieu ! Il a promis de me libérer donc Il peut le faire…

J’ai fait un pas en avant ; puis un pas sur le côté. Cela me faisait tout drôle. Le barbelé était toujours là, enchâssé dans mon ventre, mais j’avais avancé d’un pas.

Quel curieux mystère…

Je n’ai rien compris, mais depuis ce jour, je n’arrête pas de marcher !

Aujourd’hui, je suis venu ici pour te dire, à toi qui saignes sous les clous et le fil de barbelé depuis si longtemps :

– Jésus a coupé la corde du diable. Lâche-la, cette corde ! Bien sûr, tu as des cicatrices, et elles persisteront sans doute. Bien sûr tu as mal ; très mal. Mais crois-moi ; crois surtout Jésus quand Il te dit : « avance tel que tu es. »

Laisse ta culpabilité, ta peur et ta honte. Il n’y a pas d’avenir dans ton passé !

La corde du diable est vraiment coupée !

Chantal Girardin

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