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L’arbre du merci

Par Ivanova Nono Fotso

Ce conte a remporté le deuxième prix de notre concours de contes.

Vous pouvez le retrouver dans notre dernier livre numérique gratuit, Contes de la Grâce.

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Il était une fois, dans un petit village modeste, un arbre qui poussait au sommet d’une colline, et dont le fruit guérissait toutes les maladies. Personne ne connaissait le nom de cet arbre, ni de son fruit, car il n’y en avait pas de semblable dans tout le village, ni dans les contrées voisines.

Celui qui avait découvert l’arbre et ses fruits merveilleux, c’était le doyen du village, c’est-à-dire le plus vieux de tous les vieux. On l’appelait La Preuve, parce qu’il aimait dire :

– C’est la preuve que Dieu existe.

Quand on s’étonnait de son âge (qu’on avait même cessé de compter), il répondait :

– C’est la preuve que Dieu existe.

Quand le vent soufflait jusqu’à manquer de l’emporter, il disait en s’accrochant à sa canne :

– C’est la preuve que Dieu existe.

Et même quand on le voyait parler tout seul et qu’on le prenait pour un fou, il disait :

– Je ne suis pas tout seul. Je parle avec Dieu et Il me répond. C’est la preuve qu’Il existe.

Il aimait faire de longues balades dans les champs, même si cela lui prenait toute une journée pour aller et revenir. Après tout, un vieillard de son âge n’avait pas grand-chose à faire au village. C’est lors d’une de ces balades qu’il découvrit l’arbre. Ce jour-là, après avoir mangé un de ces fruits, il se sentit tellement fort qu’il redescendit la colline en moins de dix minutes en criant :

– Venez voir un arbre extraordinaire ! C’est la preuve que Dieu existe !

Quoiqu’il ressemblât davantage à un fou, cette annonce était trop importante pour l’ignorer.

Aussitôt, quelques hommes s’armèrent de leurs machettes et grimpèrent sur la colline afin de voir l’arbre de leurs propres yeux et de goûter à ses fruits. Arrivés au sommet, essoufflés et haletants, ils furent très surpris d’y trouver La Preuve qui les avait devancés. Comment ce vieillard avait-il pu gravir la colline aussi vite ?

Une autre surprise les attendait. Alors qu’ils se préparaient à grimper sur l’arbre, La Preuve les arrêta :

– Ce n’est pas comme ça qu’on cueille ses fruits. Il suffit de tendre les deux mains et de dire : « Merci », alors il vous tombera dans les mains, un pour chacun.

Il y eut un moment de silence, puis tous les hommes éclatèrent de rire jusqu’à se rouler au sol. Décidément, le doyen n’avait plus toute sa tête.

Ensuite, l’un d’eux saisit un fruit et tira de toutes ses forces. Non seulement le fruit resta bien accroché, mais quand il lâcha la branche, celle-ci s’élança comme un fouet et atterrit sur la joue de son voisin : PAF !

– Aïe ! Hé ! Fais attention !
– Oh ! désolé, je n’ai pas fait exprès.

Un autre décida de grimper tout en haut de l’arbre. Il s’assit, attrapa une branche et tira très fort, jusqu’à ce qu’elle lui glisse des mains… et VLAN ! Un autre ami en bas reçut une fessée !

– Ouille ! Attention là-haut ! Non mais…
– Ah pardon ! Je n’ai pas fait exprès !

Quand ils en eurent assez de recevoir des gifles et des fessées, ils décidèrent qu’il n’y avait rien à perdre à essayer la méthode de La Preuve. Le premier s’approcha de l’arbre, tendit ses deux mains et dit :

– Merci !

Un petit « crac », et un fruit bien mûr et bien rouge tomba dans ses mains ! Ils reçurent chacun un fruit, le mangèrent et retrouvèrent aussitôt leurs forces.

– Tout le village doit manger ce fruit. Il y a beaucoup de malades parmi nous. On pourrait en remplir nos sacs pour nos familles.
– Oh, ce n’est pas possible, interrompit La Preuve. Vous pouvez toujours essayer mais vous n’y arriverez pas. L’arbre ne donne qu’un fruit à chacun et vous avez déjà reçu votre portion. Chacun doit venir chercher sa portion.

Cette fois, ils écoutèrent les conseils du vieil homme et descendirent au village annoncer la bonne nouvelle. Le même soir, quelques-uns se rendirent au pied de l’arbre et revinrent tout contents et revigorés.

Les habitants décidèrent de l’appeler « l’arbre du Merci », à cause de la façon dont on obtenait ses fruits.
Or, il y avait dans tout le village, un seul homme qui n’était pas allé à l’arbre et n’avait pas l’intention d’y aller. Et pourtant, il habitait au pied de la colline et chaque matin, il voyait passer devant sa porte les visiteurs du jour, et il les voyait repasser à leur retour, tout sourire, le fruit dans les mains, déjà entamé.

C’était pourtant l’homme le plus brave du village. Quand il pleuvait, pendant que tous les autres s’abritaient, il sortait pour faire des réserves d’eau.

Il était intelligent et fort. Il avait réussi à se construire une grande maison sur un lopin de terre au bord d’un ravin. Chaque fois que les gens regardaient sa maison, ils se demandaient comment il avait pu faire tenir les fondations.

– Il faut bien creuser la terre et se creuser la cervelle, disait-il avec fierté, quoiqu’au fond de son cœur, il s’étonnait lui-même de cet exploit.

Certes, il y avait encore beaucoup à faire pour achever la maison, notamment une partie de la toiture. Chaque fois que le vent soufflait, il y avait ce bruit :

Tac tac tac tac…

L’homme se promettait de monter un jour pour voir ce qu’il fallait réparer. Il était aussi généreux. Il donnait souvent les produits de ses champs à ses voisins. Quand ceux-ci le remerciaient, il répondait :

– Il y a de quoi. Tout ce que j’ai, je l’ai mérité. J’ai travaillé dur pour l’avoir.

À cause de tout cela, on l’appelait Le Méritant. Il n’avait jamais mangé du fruit de l’arbre du Merci. Il n’aimait pas trop cette idée de tendre juste les mains pour recevoir le fruit.

– C’est trop facile, disait-il. C’est pour les faibles et les lâches. Moi je suis un battant, je vais planter mes propres arbres et récolter de plus beaux fruits.

Mais, voyant l’engouement des villageois pour ce fruit, Le Méritant se dit qu’il pourrait en faire une bonne affaire.

– Si je cueille une grande quantité de fruits, je pourrais les mettre à sécher ou en faire une confiture pour les vendre. Ainsi, les gens n’auraient plus besoin d’aller jusqu’en haut de la colline.

Une nuit, alors que tout le monde dormait, il vint au pied de l’arbre, tendit une main et ordonna à l’arbre :

– Donne-moi ton fruit.

Mais ce n’était ni la bonne formule, ni la bonne attitude. Alors il ne reçut rien.

– Allez ! Je ne t’ai jamais rien demandé. Tu me dois bien une bonne centaine de fruits, si on fait le compte.

Encore rien.

– Ah ! Je commence à perdre patience ! Si quelqu’un dans ce village mérite une récompense, c’est bien moi. Car non seulement je suis travailleur, mais en plus je donne souvent le produit de mon travail aux autres.

Toujours rien.

Il essaya de faire tomber les fruits à l’aide d’un crochet, en secouant les branches, en grimpant sur l’arbre. Rien n’y fit. Le Méritant était très en colère !

– Si je ne peux pas avoir de ton fruit, personne ne l’aura ! Je vais couper ton tronc et en faire mon bois de chauffe. Ensuite je vais déterrer tes racines pour que tu ne puisses plus repousser !

Il se mit à donner des coups de hache dans le tronc jusqu’à ce que l’arbre tombe dans un grand bruit de branches cassées. Aussitôt qu’ils touchèrent le sol, les fruits pourrirent et ne pouvaient plus être consommés.

Le Méritant découpa le tronc en morceaux et en fit un fagot. Puis il creusa la terre pour retirer les racines. Celles-ci s’étendaient dans tous les sens. Il les déterra l’une après l’autre.
Mais la plus grosse racine lui donnait du fil à retordre. Elle s’étendait sur une longue distance, tout le long de la colline. Il avait beau creuser, il n’arrivait toujours pas au bout. Il creusait, soufflait, transpirait, mais ne voulait pas s’arrêter. Bientôt il se retrouva au pied de la colline. Derrière lui, le jour se levait déjà.
Toujours courbé, Le Méritant continuait de creuser la terre et de déterrer la racine en espérant voir enfin l’extrémité.
Tout à coup, il se cogna la tête contre quelque chose. Il se redressa en gémissant, et fut surpris de se retrouver devant le mur de sa maison !

– Oh ! La racine de cet arbre passe sous ma maison ! C’est donc elle qui empêche la terre de s’écrouler dans le ravin…

Des cris derrière lui le firent se retourner.

– Arrêtez-le ! Arrêtez-le ! Il a détruit l’arbre !

C’étaient les villageois qui étaient allés de bonne heure sur la colline et avait découvert l’arbre abattu et ses fruits détruits. Cela n’avait pas été difficile de découvrir le coupable. Il avait suffi de suivre la terre fraîchement retournée. Les hommes couraient vers lui avec des gourdins !

Le Méritant se précipita dans sa maison et verrouilla toutes les serrures de la porte et des fenêtres. Puis il alla se cacher sous son lit en tremblant de peur et de fièvre, car toute cette activité nocturne avait eu raison de sa santé.

Tac tac tac tac…

– Ah ce bruit sur le toit, ce n’est vraiment pas le moment ! gémit-il. J’ai besoin d’entendre ce qui se dit dehors…

Dehors, on pouvait entendre la vieille voix de La Preuve qui essayait de calmer la foule :

– Attendez, laissez-moi lui parler.
– Non ! Nous ne voulons pas discuter avec lui. Il a détruit l’arbre qui nous soignait. Il mérite d’être traité avec violence !
– La violence ne fera pas repousser l’arbre. Calmez-vous et laissez-moi lui parler. Il a peut-être une explication.

La foule se calma enfin et le vieux put entrer dans la maison.

– J’ai fait du tort à tout le village, reconnut Le Méritant. Je mérite leur colère. Il s’en est fallu de peu que je détruise ma propre maison, car j’ai découvert aujourd’hui que ce sont les racines de cet arbre qui empêchent ma maison de s’effondrer.
– Merveilleux ! s’écria le vieil homme. C’est la preuve que Dieu t’aime !
– Mais que vais-je faire maintenant ? L’arbre est mort et les villageois sont en colère contre moi.
– Je vais leur parler…

Tac tac tac tac…

– Quel est ce bruit ? demanda La Preuve.
– Ça doit être une tuile mal fixée ou cassée.
– On ne dirait pas que ça vient du toit. Je vais jeter un coup d’œil.

Le vieux alla ouvrir la fenêtre de la salle de bain, pencha la tête à l’extérieur et poussa un cri de surprise !

– Qu’est-ce qu’il y a ? demanda Le Méritant, effrayé.
– Viens voir ! Tu n’en croiras pas tes yeux !

Le jeune homme accourut, passa la tête par la fenêtre et se trouva nez à nez avec un gros fruit bien rouge qu’il reconnût aussitôt.

– L’arbre du Merci ! Je n’arrive pas à croire qu’il a repoussé juste derrière ma maison ! Moi qui ne le mérite pas !
– C’est une autre preuve que Dieu t’aime !
– Ah parle-moi encore de ton Dieu !
– De la même façon que Dieu a créé les arbres et les différentes saisons pour notre bien alors que nous n’étions même pas encore nés, c’est ainsi qu’il a envoyé Jésus mourir sur la croix pour nous alors que nous étions encore pécheurs. Quand nous répondons à son appel, nous devenons enfants de Dieu, ses filles et ses fils adoptifs.
– Pour recevoir le don gratuit du salut, ajouta le vieux, il faut l’accepter par la foi, tout comme pour cueillir le fruit, il faut des mains ouvertes et un cœur reconnaissant.

Le jeune homme tendit les mains vers le fruit et dit un « Merci » qui venait du fond du cœur. Le fruit tomba dans ses mains. Il se dépêcha de le manger et retrouva toutes ses forces. Il n’eut plus peur d’ouvrir grand les portes de sa maison et annonça à tous :

– Venez ! L’arbre a repoussé derrière ma maison ! Désormais, appelez-moi Le Gracié, parce que Dieu m’a fait grâce.

Fin

Ivanova Nono Fotso écrit des scénarios de bandes dessinées, des livres pour enfants, des articles et méditations, et aussi des calligrammes. Elle partage ses écrits, particulièrement les témoignages de sa marche avec Dieu, dans son blog et sa page Facebook Ivanova’s writings. Elle vit à Yaoundé (Cameroun).

Lire la petite histoire de ce conte sur son blog.

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