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C.S Lewis, F. Thompson et le chien du ciel

L’autobiographie de C.S Lewis, Surpris par la joie, ne m’avait d’abord pas plu, lorsque je l’ai lue en tant que jeune chrétien. Cela changeait beaucoup trop des témoignages chocs que je lisais sur TopChrétien ou ailleurs. En réalité, son témoignage de conversion au christianisme tient en quelques lignes dans le livre :

Par un matin ensoleillé, on me conduisit en voiture à Whipsnade. En partant, je ne croyais pas que Jésus-Christ était le fils de Dieu, et en arrivant au jardin zoologique, je le croyais. Je n’avais cependant pas passé le voyage à réfléchir. Ni à éprouver de profondes émotions, d’ailleurs. Le terme « émotionnel » est probablement le dernier que nous puissions appliquer à certains des événements les plus importants de notre vie. Ce que je ressentis ressemblait plutôt à ce qu’éprouve un homme qui, après un long sommeil, mais encore immobile dans son lit, prend conscience qu’il est maintenant réveillé. C.S. Lewis, Surpris par la joie, ed. Raphaël, chapitre XV, p.303

Lewis est allé au zoo et s’est converti sur le chemin… Je ne peux pas m’empêcher de voir dans ce passage une petite pincée d’humour britannique. Vous pensiez lire un témoignage poignant ? Eh bien, voici comment cela s’est passé : ma conversion n’a pas eu lieu devant la majesté d’un lion ou d’un tigre, c’était juste lors d’un trajet en voiture banal où je ne réfléchissais même pas. Quelques pages avant, il raconte aussi le jour où il a compris qu’il existait un Dieu (il était auparavant un athée convaincu) :

Essayez d’imaginer la chambre de Magdalen où j’étais seul, soir après soir, sentant que mes pensées quittaient mon travail ne fut-ce qu’une seconde, la venue continue, inexorable, de Celui que je désirais si profondément ne pas rencontrer. Ce que j’avais tellement redouté m’arrivait enfin. Pendant le trimestre de la Trinité, en cette année 1929, je cédai, j’admis que Dieu était Dieu, je me mis à genoux et je priai ; et je fus sans doute, ce soir-là, le converti le plus déprimé et le plus réticent de toute l’Angleterre. Je ne comprenais pas encore alors ce qui me semble maintenant la chose la plus éclatante et la plus évidente du monde : la divine humilité qui accepte un converti, même dans ces conditions. Le fils prodigue rentrait au moins à la maison dans une démarche volontaire ; mais qui pourra jamais adorer comme il convient l’Amour qui ouvre toutes grandes les portes à un enfant prodigue qui rentre à la Maison plein de ressentiment, en donnant des coups de pieds, en se débattant et en regardant dans toutes les directions comment il pourra s’échapper ? C.S. Lewis, Surpris par la joie, ed. Raphaël, chapitre XIV,p.291

Vous vous demandez probablement ce que peuvent alors raconter les 300 pages qui précèdent ces deux citations ? En relisant ce livre, je fus surpris de constater que ces pages qui me paraissaient arides et rébarbatives, me semblaient maintenant limpides et riches. Lewis, le converti le plus déprimé et le plus réticent de toute l’Angleterre nous raconte, en fait, comment Dieu l’a poursuivi depuis sa plus tendre enfance :

Il disait seulement « Je suis le Seigneur », « Je suis celui qui suis », « Je suis ». Les être naturellement religieux comprendront difficilement l’horreur d’une telle révélation. D’aimables agnostiques parlent joyeusement de la « recherche de Dieu » chez l’homme. Pour moi, dans l’état où j’étais, il auraient tout aussi bien pu me parler de la recherche du chat par la souris. C.S. Lewis, Surpris par la joie, ed. Raphaël, chapitre XIV, p.290

Ce que veut dire Lewis ici, c’est que Dieu l’a poursuivi comme un chat poursuit une souris et que ce n’est pas lui, la souris qui aurait pu chercher le chat, car il était bien trop terrifié. Cela m’a fait penser à un poème de la fin de l’ère victorienne, écrit par Francis Thompson, intitulé Le chien du ciel (ou Le lévrier du ciel). Le chat et la souris, le chien et le lièvre : dans les deux cas, la chasse est inlassable. C’est un poème assez long, c’est pourquoi je ne vous propose uniquement le début et la fin. Vous pouvez le lire en entier ici.

Le chien du ciel

Je l’ai fui dévalant les nuits et les jours ;
je l’ai fui traversant les arches des ans ;
je l’ai fui le long des voies labyrinthiques
de mon esprit ; et dans la brume des larmes
je me suis caché de lui, sous des cascades de rires.
Gravissant des horizons d’espoir j’ai couru ; puis dégringolé
dans les ténèbres titanesques d’abimes de peurs,
loin de ces pas puissants qui suivaient,
toujours suivaient ; mais dans une chasse tranquille,
au rythme imperturbable,
une vitesse délibérée, instance majestueuse,
ils claquaient – et une voix battait
plus pressante que les pas –
« Toutes choses te trahissent, à toi qui m’as trahi. »

[…]

« l’amour humain exige un mérite humain :
as-tu mérité ? – –
toi de toute la glaise durcie de l’homme la plus terne glaise
hélas tu ne sais pas
combien peu digne tu es de tout amour !
Qui trouveras-tu pour aimer, ignoble toi,
à part moi, et moi seul ?
Tout ce que je t’ai pris je ne l’ai pas pris
pour ton mal
mais pour que tu puisses le chercher dans mes bras.
Tout ce que ton erreur d’enfant
imagine perdu, je l’ai gardé dans cette maison pour toi :
relève-toi, prends ma main, viens ! »
Ce piétinement s’arrête-t-il ?
Serait-ce mon obscurité
l’ombre de sa main, tendue pour caresser ?
« Très-naïf, très-aveugle, très-faible,
je suis ce que tu cherches !
Tu as chassé l’amour de toi qui m’as chassé. »

Francis Thompson (1890), traduit de l’anglais par Jean-René Lassalle
Lire le poème en version originale

Francis Thompson à 19 ans

Francis Thompson, né le 16 décembre 1859 à Preston (Lancashire), a trouvé sa voie dans la poésie après un parcours difficile. Faisant face à la pauvreté et à une profonde dépendance à l’opium, il tenta d’abord d’étudier la théologie avant de se tourner vers la médecine. Cependant, ses études restèrent inachevées, et il se retrouva désœuvré dans les rues de Londres pendant plusieurs années.

Sauvé par un couple d’écrivains, Alice et Wilfrid Meynell, son tallent finit par être reconnu grâce à la publication de ses poèmes et ses collaborations à des journaux littéraires. Malgré des hauts et des bas, il parvint à composer plusieurs recueils, influençant même de nombreux poètes et auteurs. Sa santé minée par la drogue le rattrapa finalement, et il succomba à la tuberculose en 1907, laissant derrière lui une poésie profonde qui continue d’inspirer à travers le monde.

Cette homme comprenait, comme Lewis, qu’un Dieu aimant ne cesse jamais de poursuivre un cœur rebelle. L’histoire qu’il raconte dans Le Chien du ciel est est la poursuite de l’âme humaine par l’amour de Dieu L’utilisation de vers libres et de rythmes irréguliers reflète une certaine fébrilité de l’âme, tandis que le refrain structuré suggère la poursuite inexorable à mesure qu’elle se rapproche.

Le jésuite JFX O’Conor remarque à propos ce poème :

Le nom est étrange. Il surprend d’abord. Il est si audacieux, si nouveau, si intrépide. Il n’attire pas, plutôt le contraire. Mais quand on lit le poème, cette étrangeté disparaît. Le sens est compris. Comme le chien suit le lièvre, ne cessant jamais sa course, se rapprochant toujours dans la poursuite, avec une allure lente et imperturbable, Dieu suit l’âme fugitive avec Sa grâce divine. Et même si dans le péché ou dans l’amour humain, loin de Dieu, l’âme cherche à se cacher, la grâce divine la suit, inlassablement, jusqu’à ce qu’elle ressente sa pression et soit contrainte à se tourner vers Lui seul dans cette poursuite sans fin.   O’Conor, John Francis Xavier (1912)Une étude du Chien du Ciel de Francis Thompson, Compagnie John Lane. p.7

Lewis est entré dans la foi chrétienne en donnant des coups de pieds, en se débattant et en regardant dans toutes les directions comment il pourra s’échapper, alors que la poursuite fidèle de Dieu l’emportait dans sa vie.

Nos hauts et nos bas entre la foi et notre infidélité ne peuvent pas s’opposer à la grâce divine. Le Seigneur de l’univers nous aime et il nous poursuit. Il n’est pas nécessaire de courir, mais si nous le faisons, Dieu reste ferme dans sa poursuite acharnée et poursuit sa chasse, inlassablement.

En lui, Dieu nous a choisis avant la création du monde pour que nous soyons saints et sans défaut devant lui. Dans son amour, il nous a prédestinés à être ses enfants adoptifs par Jésus-Christ. C’est ce qu’il a voulu, dans sa bienveillance, pour que nous célébrions la gloire de sa grâce, dont il nous a comblés dans le bien-aimé. En lui, par son sang, nous sommes rachetés, pardonnés de nos fautes, conformément à la richesse de sa grâce. Éphésiens 1:4-7

2 commentaires sur “C.S Lewis, F. Thompson et le chien du ciel

  1. extraordinaire ce poème que j’ai cherché si longtemps , ayant lu 4 ou 5 phrases dans un livre traduit de l’anglais

    ne connaissant pas l’anglais je réalise combien de richesses m’échappent

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    1. Merci pour votre commentaire ! En effet, le poème est plus connu des anglophones, je l’ai entendu de mon côté dans la prédication d’un pasteur français… mais d’origine américaine.

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