Par Brigitte Mathis
Malencontreusement confinée de mars à mai dans le studio meublé d’une petite résidence privée, j’ai cherché sans délai de saines activités. Je me suis d’abord consacrée à la lecture (éclectique), mon Grönlid convertible de connivence. Puis à l’écriture (de ces chroniques), avec persévérance. Mais rien de tout cela n’a suffi : pour ma petite économie de survie, il fallait que je me dépense. Question de culture (physique), et de maintenance.
J’ai essayé les tutos de gym douce adaptée aux seniors et les séances anti-bourrelets de Chloé, les abdos réservés aux warriors[1] et les pompes version pieds sur mon tabouret, pour finalement opter pour des exercices tueurs de calories à faire dans les escaliers. Histoire de « bosser mon cardio et mon explosivité » et de « trouver mon Rocky intérieur » – bien caché.
Dans mon marcel en coton peigné j’ai squatté les marches hospitalières, entre le deuxième et le rez-de-chaussée pour y faire mes squats stairs. Flexions sous la parallèle pour solliciter mes quadriceps et amortis tout en souplesse. Une à une, deux à deux et pas croisés, la descente pour souffler, mille huit cents marches au bas mot. Fentes marchées et extensions de mollets, deux séries de quinze par jumeau.
Les semaines ont passé. Le trop-plein d’énergie évacué. Un voisin du quatrième croisé de temps à autre, claustrophobe forcément. Et puis un matin, une idée : m’avisant que la terre était vraiment trop basse, au moment de lacer mes godasses, j’entrepris de finir ma séance par une série d’assouplissements. La rambarde de l’escalier, quart tournant sur le palier, ferait avantageusement office d’espalier.
Voûte plantaire sur la rampe, orteils vers le haut, penchez doucement votre corps en avant, avait dit le tuto. Le premier mouvement déclencha tout à trac une violente douleur dans le dos. En péril pour récupérer ma gambette et la remettre en place. Les vingt mètres les plus longs de ma vie pour regagner mon canap. Le médecin diagnostiqua un méchant lumbago. Suggéra des exercices plus doux. Mes lombaires accusaient le coup. Et criaient grâce. Il convint d’accéder à leur requête : au bout de huit jours d’AINS[2], je n’enfilais toujours pas mes chaussettes.
Je dus donc me résoudre à revoir mon programme à la baisse. Me résigner à suivre les conseils de la doctoresse. Et de mes enfants. « Maman tu n’as plus vingt ans ». Bien sûr, j’aurais pu consulter en amont un frère, un coach, un expert, un proche, pour leur soumettre ma brillante idée. Je n’y ai pas pensé. Trop sûre de mon fait. Une personne avisée m’aurait soufflé que la rambarde était bien trop haute à cent dix. C’est à quatre-vingts qu’une barre de ballet se fixe. Les trente centimètres fatals pour mon rachis vieillissant. J’ai présumé de mes capacités. Et manqué de discernement.
Il faut, autant qu’on peut, solliciter autrui. Nous trouvons souvent avantage à écouter nos amis. Pour dégoter une berline, un boulot. Un banquier, un bureau. Un divan, un dîner. Une maison, sa moitié. L’orgueil précède la chute et la suffisance le lumbago.
L’humilité suppose que je concède mon besoin d’un autre que moi. Et souffre qu’il m’arraisonne. Ébranle mes convictions, ma foi. Il n’y a que Sanson[3] pour n’avoir besoin de personne.
La confrontation incommode mais ouvre les portes de la sagesse. À se laisser rejoindre, on progresse. « Rien ne laisse plus intranquille qu’une rencontre… qui est cet autre dont je n’arrive pas à oublier le visage et dont les paroles me rattrapent dans le silence ? », demande Marion Muller-Colard[4].
Le roi Salomon affirme que celui qui tient compte des observations qu’on lui fait est sur la voie de la vie, alors que celui qui ne veut pas admettre ses torts est en danger de se fourvoyer[5]. Aux petites décisions comme aux grands projets de nos vies, nous devrions toujours confronter nos amis. Les légitimes. Ceux qui partagent nos valeurs et notre espérance intime.
La danse du cavalier seul est un funeste jeu. Le « nous » vaut toujours mieux que le « je ».
Le salut se trouve dans le grand nombre de conseillers. (Proverbes 1.14)
[1] Littéralement « les guerriers », possiblement en lutte contre d’importunes adiposités.
[2] Anti-inflammatoires non stéroïdiens.
[3] Véronique Sanson, Besoin de personne, Elektra/Warner, 1972.
[4] Marion Muller-Colard, L’intranquillité, Éditions Bayard, 2016, collection J’y crois, p.83.
[5] Proverbes 10.17, Sagesse vivante, transcription dynamique sous la direction d’Alfred Kuen.
Ce texte est extrait du livre de Brigitte Mathis, Chroniques chrétiennes à croquer – Vol. 2, que l’auteur nous envoie dans le cadre du défi en cours sur les fables.

