Acte II
Même décor
Scène première
ÉSAÏE – MANASSÉ
ÉSAÏE
Mon Seigneur, vous voilà joliment chamarré !
Pourquoi ce collier d’or, ce manteau bigarré ?
Par cet habit de fête il faut qu’on vous remarque.
N’est-ce pas aujourd’hui que paraît ce monarque,
Ce bel Asarhaddon qui tous nous fait trembler ?
Nous le verrons alors près de vous s’attabler.
C’est un immense honneur que d’avoir pour convive
L’empereur d’Assyrie, le maître de Ninive.
MANASSÉ
Prophète, es-tu venu pour te moquer de moi ?
ÉSAÏE
Mais qui donc oserait te persifler, mon roi ?
MANASSÉ
Un prophète ! Un prophète a toute latitude
Et de tancer les rois tous ont pris l’habitude.
De ce brillant sommet tu rediras encor
Et de la part de Dieu répondras que j’ai tort.
ÉSAÏE
C’est certain, mon Seigneur. D’ailleurs, sur ce chapitre,
Ne t’ai-je point déjà fait remettre une épître ?
Mais laissons tout ceci. Je voudrais te parler
D’un mystère qu’hier mon Dieu m’a révélé.
MANASSÉ
Un message de Dieu. Un oracle sans doute.
Parle, cher Ésaïe, je suis à ton écoute.
ÉSAÏE
Au sujet du Messie, le sauveur d’Israël,
Celui qui nous assure un royaume éternel,
Celui que de tout temps annonçaient les prophètes,
Celui qui forgera une harmonie parfaite.
Mais hélas ! qui a cru la prédication
Et reconnu le bras du Puissant de Sion ?
Comme une plante faible et privée de sa sève,
Comme un sec rejeton de la terre il s’élève.
Pour nous plaire il n’avait nul éclat ni beauté,
Pour éblouir nos yeux aucune majesté.
Cet homme détesté, cet homme qu’on méprise,
Cet homme de douleur, homme à la face grise,
Cet homme dédaigné dont on s’est détourné,
Dont nul ne se soucie, cet homme abandonné,
Il ressemble à celui dont on fuit le visage
Et qui de tous les siens dut subir les outrages.
Mais c’est de nos souffrances, mais c’est de nos douleurs
Qu’il a chargé son dos. Il a porté nos pleurs.
L’homme semblait subir du grand Dieu la vengeance :
Frappé, humilié, châtiment, pénitence.
Pour laver nos péchés cet homme était blessé ;
Pour nos iniquités le Messie fut brisé.
La paix nous est donnée au sang de ses blessures
Et nous sommes guéris de par ses meurtrissures.
Comme brebis perdues nous étions égarés,
Sur de sombres chemins l’on nous voyait errer.
Nous courrions par les rues sans bonheur et sans joie,
Chacun de nous marchait selon sa propre voie ;
Dieu fit tomber sur lui l’infâme iniquité,
Les lourds forfaits commis par notre humanité.
Opprimé, maltraité, il gardait le silence ;
Mené vers le boucher, cruelle violence,
Muet comme un agneau sous le fer du tondeur,
Il se taisait, ployant sous l’injuste rigueur.
Qui croyait qu’il était retranché de la terre,
Frappé pour les péchés de mon peuple, ô mystère ?
On a mis son sépulcre au milieu des méchants,
Au milieu des profanes et des riches marchands,
Lui qui n’avait commis ni crime ni maraude,
De la bouche duquel ne sortait nulle fraude.
Il plut à l’Éternel, pourtant, de le briser ;
Sous le poids des souffrances il voulut l’écraser.
Après avoir livré sa vie pour sacrifice
(Il faut que son dessein par sa mort s’accomplisse)
Une postérité prolongera ses jours
Et grandira de Dieu l’œuvre sainte en retour.
Il se rassasiera par son travail immense ;
Mon juste serviteur, de par sa connaissance,
Justifiera des âmes en portant leurs péchés.
Des hommes en grand nombre, à l’enfer arrachés
Goûteront du malheur la douce délivrance
Et de la rédemption l’ineffable espérance.
Il recevra sa part avecque les puissants
Parce qu’il s’est livré, qu’il a donné son sang.
Et, comme un criminel portant la félonie,
Il a prié pour nous sur la croix d’infamie.
MANASSÉ
Ce message est troublant par son étrangeté.
Sauras-tu m’éclairer, prophète, en vérité ?
ÉSAÏE
Quelques détails, souvent, m’échappent à moi-même,
Mais l’Esprit-Saint déjà m’a parlé sur ce thème :
David, fils d’Isaïe, souverain prestigieux
Doit porter la lignée du Messie, Fils de Dieu.
Un faible enfant naîtra parmi ta descendance,
Mais un roi dépourvu de force et de puissance.
Ce roi d’amour n’aura pour trône qu’une croix,
Face à ses oppresseurs nul n’entendra sa voix.
Monarque couronné d’une tresse d’épines,
Son sceptre est un roseau, devant l’homme il s’incline.
MANASSÉ
Je n’entends…
ÉSAÏE
Mais voici le prince Asarhaddon.
Je m’efface humblement. Nous en reparlerons.
(Sort Ésaïe. Trompettes. Entrent un chambellan et deux gardes.)
Scène II
MANASSÉ – un CHAMBELLAN – Gardes
CHAMBELLAN
Sa Majesté le roi de la grande Assyrie.
Il est accompagné de sa fille chérie.
(Sort le chambellan. Entrent Asarhaddon et Salia.)
© 2024 Lilianof
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