Scène III
KÉZIA – JUDITH
JUDITH
Je suis, ma chère amie, bien aise de te voir.
KÉZIA
Moi, votre amie ? Je suis dernière à le savoir !
Je n’espérais point tant vous retrouver, madame.
Qui donc vous a tirée de cette geôle infâme ?
JUDITH
J’ai le droit de jouir d’un peu de liberté.
Ne m’as-tu point comptée parmi tes invités ?
KÉZIA
À vieillir en prison vous étiez condamnée.
JUDITH
Libre comme l’oiseau !
KÉZIA
J’en suis fort étonnée.
J’espérais recevoir un autre visiteur.
JUDITH
Ton beau prince Joël, devenu serviteur,
Si fort épris de toi qu’il y perdrait son âme.
C’est vrai qu’il a bon goût lorsqu’il s’agit de femmes.
KÉZIA
Merci. Je n’attends pas de vous de compliments.
J’attends plutôt que l’on m’explique clairement
Du lourd verrou de fer qui vous a libérée ?
JUDITH
L’amour, ma chère amie, l’amour m’a délivrée.
KÉZIA
Dans cette histoire-là que vient faire l’amour ?
JUDITH
Le bon roi Manassé me rendait tous les jours
De courtoises visites à l’insu de la reine.
Il me fit délier les poignets de leurs chaînes,
Ordonna qu’on changeât ma paille contre un lit ;
Tout inquiet de mon teint que l’ombre avait pali,
Voulut que la lumière apporte à mon bien-être,
Il fit dans ma prison percer une fenêtre.
Il vit mon bol d’eau tiède et le ver en mon pain
De ma triste pitance il fit de grands festins.
KÉZIA
Qu’espérait-il de ses visites vespérales ?
JUDITH
Il parlait de la Loi, me faisait la morale,
Me promettant de m’accorder la liberté
Si d’invoquer les morts je jurais d’arrêter ;
Chaque soir me prêchait la divine parole
Et c’étaient des sermons ! De quoi me rendre folle !
KÉZIA
Il ne voyait en toi qu’une pauvre brebis
Égarée dans le noir.
JUDITH
Égarée, c’est tant pis !
Il voulait dans mon cœur faire entrer ses idées
Mais à servir mes dieux je suis bien décidée.
Il ressassait toujours les mêmes arguments,
J’écoutais, patiente, réfutais poliment,
Et plus les jours passaient, je voyais ce saint homme,
Plus j’insufflais en lui mon esprit de Sodome.
Il croyait me gagner à la sainte Torah
Mais, sa dévotion étouffée dans mes bras,
Je l’ai gagné, ce fou, terrassé par mes charmes,
Et noyé dans mes yeux, et versant quelques larmes,
De sa belle captive il tombe prisonnier.
Ne suis-je pas rusée ?
KÉZIA
Je ne puis le nier.
JUDITH
Et voici Manassé amoureux à folie,
De jour en jour baigné dans la mélancolie,
Il soupire après moi, il me baise les mains.
Il peut bien être roi, ce n’est qu’un faible humain.
Avec moi dans la geôle il vient prendre sa place.
C’est moi qui suis vaincue, il implore ma grâce.
Il ne résiste plus, le voici tout à moi.
C’est moi qui suis Judith, la maîtresse du roi.
KÉZIA
Il vous a libérée ?
JUDITH
Eh ! Qu’aurait-il fait d’autre
Après m’avoir si bien prêché, le bel apôtre ?
KÉZIA
Et vous l’aimez ?
JUDITH
Je vous demande bien pardon ;
Je livrerai bientôt son cœur à l’abandon
Après l’avoir vidé de son sang goutte à goutte.
Il l’aura mérité, il en mourra sans doute.
KÉZIA
Quel monstre êtes-vous donc ? Prêtresse du démon !
JUDITH
Vous me jugez, madame. C’est assez de sermons !
Du puissant dieu Moloch je suis l’humble servante
Et son seul nom devrait vous glacer d’épouvante.
KÉZIA
Je ne crains pas vos dieux et je ne vous crains pas.
JUDITH
Vous me craignez. Je puis vous livrer au trépas
Et je hais votre vie.
KÉZIA
(à part)
Tout en elle m’effraie :
Son regard de vipère et ses griffes d’orfraie.
JUDITH
Comme vous êtes belle habillée de satin !
Vous voilà donc princesse ! Quel merveilleux destin !
C’est gentil de m’avoir conviée à vos noces.
KÉZIA
Conviée tu n’es point, bête impure et féroce.
JUDITH
Paroles incongrues et de mauvais aloi !
Nous en reparlerons. Voici le fils du roi.
(Exit Judith. Entre Joël.)
© 2025 Lilianof
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