Lundi matin, Xavier fit un détour par le chalet d’Hugo et Salomé. Peut-être l’un des garçons serait-il d’accord de l’accompagner chez Monsieur Salamin ? Il lui semblait plus facile de tenir sa résolution s’il n’était pas seul. Il sonna et bientôt Hugo lui ouvrit la porte.
– Salut Hugo !
– Salut Xavier ! Ça fait plaisir de te revoir ! Tu veux entrer ?
– En fait, je venais te demander un service. Ou à Patrice.
– Quoi ?
– J’ai trouvé un porte-monnaie à la boulangerie. Il appartient à Monsieur Salamin et je me demandais si l’un de vous voulait bien m’accompagner pour le lui rendre.
Hugo s’étonna de cette demande. D’ordinaire Xavier n’était pas timide.
– Oui, bien sûr ! assura-t-il. Je mets mes sandales et j’arrive.
– Tu vas où ? s’enquit sa sœur.
– Faire un tour avec Xavier.
– Je peux venir avec ? On n’a toujours pas trouvé notre myxomycète !
Une minute plus tard, ils se mettaient tous les cinq en route, à nouveau munis de petites boîtes en plastique. Cette fois, ils auraient peut-être l’occasion d’en trouver un.
– C’est quoi le truc que tu cherches ? demanda Xavier à Hugo.
– Un myxomycète. On l’appelle aussi blob. C’est à moitié champignon, à moitié animal. En fait, c’est une amibe géante. Un machin unicellulaire qu’on peut voir à l’œil nu et qui ressemble à de la gelée vivante. Jaune la plupart du temps.
– Quel drôle de truc. Et ça se trouve où ?
– Dans le bois pourri de préférence. Et pourquoi tu voulais qu’on t’accompagne chez Monsieur Salamin, en fait ? Parce que tu n’es pas timide d’habitude…
Xavier hésita un instant.
– C’est parce qu’il y a 500 francs dans le porte-monnaie.
Hugo stoppa net, les yeux ronds.
– Waouh ! 500 ! De quoi t’acheter un nouveau vélo !
– Oui, la tentation est très forte et je me suis dit que si quelqu’un m’accompagnait je risquais moins de les garder.
– Tu as bien fait. À ta place, je crois que j’aurais été drôlement tenté aussi !
Ils s’arrêtèrent bientôt devant la maison de Monsieur Salamin, un chalet comme tant d’autres.
– Ça ne sert à rien d’y aller tous les cinq, remarqua Xavier.
– Je viens avec toi, décida Hugo, les autres peuvent nous attendre ici.
Peu après, les deux garçons attendaient que l’on réponde à leur coup de sonnette. Bientôt, un homme d’environ 60 ou 70 ans vint leur ouvrir.
– Bonjour, le salua Xavier. Vous êtes Léon Salamin ?
– Oui, bonjour.
– Vous n’auriez pas des fois perdu votre porte-monnaie ?
Monsieur Salamin se gratta le front.
– Oui, je l’ai perdu. Comment tu sais ça ? Tu l’aurais retrouvé ?
Xavier voulait s’assurer que le monsieur face à lui était bien le juste propriétaire. C’était trop facile de dire « oui c’est moi qui ai perdu le porte-monnaie ».
– Il ressemblait à quoi le vôtre ? demanda-t-il.
Monsieur Salamin ne s’offusqua pas de la question.
– Il était en cuir brun, assez carré, avec une fermeture éclair et un petit écusson métallique en forme de taureau.
C’était bien la description de celui qu’il avait trouvé.
– Et à l’intérieur ?
– Différentes cartes et 500 francs. Mais ça m’étonnerait qu’ils y soient encore…
Xavier plongea la main dans sa poche, en retira le porte-monnaie et le tendit au monsieur.
– Ça alors, où l’as-tu trouvé ? s’étonna-t-il.
– À la boulangerie.
Monsieur Salamin l’ouvrit et compta son argent.
– Tout y est, chapeau ! D’autres l’auraient rendu vide.
Gêné, Xavier se frotta la nuque.
– J’y ai aussi pensé, avoua-t-il d’une petite voix.
– T’es un bon p’tit gars. Je vais voir si je trouve quelque chose pour te remercier.
Quand Monsieur Salamin quitta l’embrasure de la porte, Hugo et Xavier découvrirent le vestibule. Deux vélos étaient appuyés contre le mur. L’un d’eux était noir.
– Xavier ! s’écria Hugo, c’est pas ton vélo ?
– En tout cas le mien est exactement pareil ! Mais ce n’est pas un exemplaire unique, d’autres peuvent avoir le même… Il faudrait que je puisse le voir de près.
Monsieur Salamin revint vers les garçons avec un billet qu’il tendit à Xavier.
– Pour te remercier de ton honnêteté, précisa-t-il.
– Merci beaucoup, Monsieur. Dites… Je peux vous demander à qui appartient le vélo noir dans le hall d’entrée ?
L’homme se retourna et regarda un instant le VTT.
– Il est à Justine, ma petite-fille. Elle est en vacances chez moi avec sa cousine.
– Elle l’a depuis longtemps ?
– Oh ! J’en sais rien ! En tout cas, elle l’avait jeudi, quand elle est arrivée chez moi. Pourquoi ?
– Euh… C’est juste que j’ai le même vélo, alors ça m’intéressait. Merci beaucoup, Monsieur ! Au revoir !
Hugo et Xavier rejoignirent les autres qui s’étaient mis à l’aise en s’asseyant sur l’herbe du talus.
– Pourquoi tu ne lui as pas dit que c’était peut-être ton vélo ? lui reprocha Hugo.
– J’ai pas osé. C’était comme accuser sa petite-fille de vol. Il se serait peut-être rebiffé.
– Elle est arrivée chez son grand-père jeudi, le jour où ton vélo a disparu ! C’est louche, ça…
– Tu as vu ton vélo là-bas ? s’étonna Salomé.
– Un tout pareil en tout cas.
– Et il y est depuis jeudi, répéta Hugo avec un air chargé de sous-entendu.
– Et qu’est-ce que tu veux faire ? demanda Patrice.
Xavier hésita.
– Je ne sais pas trop. J’aimerais pouvoir vérifier que c’est bien le mien. Quelqu’un a une idée ?
– Peut-être qu’on pourrait faire en sorte de rencontrer Justine, proposa Salomé. Et la faire parler.
– Oui, bonne idée, acquiesça Xavier.
– À quoi ressemble le deuxième vélo ? voulut savoir Patrice qui aimait le sport.
– Il est jaune et gris, commença Hugo.
– C’est un VTT haut de gamme, poursuivit Xavier, avec un cadre en carbone, tout suspendu ! Je vous épargne les détails, mais il a des freins et une transmission du tonnerre ! C’est le rêve, un vélo pareil.
– Et le tien ? s’enquit Salomé.
– Le mien est aussi un excellent vélo, mais il coûte au moins cinq fois moins cher… Et avec les 500 francs du monsieur je n’aurais pu acheter qu’un vélo beaucoup moins bon.
– Quand je pense que le mien on l’a payé trois fois rien dans un magasin d’occasion, soupira Salomé.
– Bien sûr, mais tu l’emploies beaucoup moins, remarqua son frère. Xavier est toujours à vélo dans la montagne. C’est sa passion !
– Eh ! Regardez ! s’exclama Liliane. Il y a deux filles qui sortent du chalet !
Ils se turent instantanément et regardèrent deux adolescentes d’environ quatorze ans refermer la porte. Elles appuyèrent leurs VTT contre le mur de la maison. Celle qui se tenait près du vélo jaune et gris était de taille moyenne, presque grande, vêtue d’un cuissard turquoise, d’un gilet de protection à manches longues et de genouillères qui descendaient bas sur les tibias. L’autre portait des habits sportifs ordinaires.
– Celle près du vélo noir doit être Justine, souffla Hugo en la désignant du menton.
Toujours assis sur le talus, les cinq enfants lorgnaient vers le chalet de Monsieur Salamin. Pour se donner une contenance, Hugo commença un exposé sur tout ce qu’il savait sur les myxomycètes. En réalité, ils essayaient tous d’écouter la conversation des deux filles devant eux. Ce n’était pas trop compliqué. Au moins pour ce qui concernait celle dont ils ne connaissaient pas le nom. Elle parlait haut et clair et était occupée à enfiler des gants.
– Pourquoi je mets toutes ces protections ? ! Mais ma pauvre Justine ! C’est le B.A.-BA du VTT ! Quand on roule vite en forêt ou en montagne, on risque de se faire très mal si on tombe. Alors il est indispensable de se protéger la tête, le menton, les yeux, le dos et les articulations ! Si on veut faire quelque chose, il faut le faire sérieusement !! Toi, tu as juste un petit casque de rien du tout !
Tout le monde n’a pas les moyens d’avoir le même matériel que toi, grogna Patrice avec une pointe d’envie.Avec de telles protections, il ne se serait pas fait mal en chutant lors de la course de trottin’herbe de l’autre jour.
– Mais je suis impatiente de pouvoir rouler un peu, poursuivit la jeune fille. Vendredi il a plu et ce week-end il y avait tellement de nuages ! Quelle guigne ! Grand-père aurait quand même pu nous inviter quand il fait beau !
Justine parlait beaucoup plus bas, ils ne comprirent pas sa réponse.
Comme si le grand-père pouvait commander la météo ! bougonna Salomé.
Comme si les nuages empêchaient de faire du vélo, grommela Xavier.
– Tu as déjà été au bike-park ? Moi non plus, du moins pas à celui-ci, mais j’en ai l’habitude. Il doit ressembler à tous les autres…
C’est ça, s’exaspéra Hugo, fais la blasée !
– En tout cas, ma pauvre Justine, fit-elle en mettant un casque intégral, tu as enfin un vélo potable. Avec ça tu pourras faire quelques descentes intéressantes…
Potable ! se vexa Xavier. Bien sûr, avec le vélo grand luxe qu’elle a, elle regarde tous les autres de haut ! Je me demande ce qu’elle vaut, sur un vélo ! Le plus important, c’est pas le luxe de la bécane, mais le talent du vététiste !
– Quand il fait un peu plus sec, le myxomycète se prépare à fructifier… poursuivit Hugo tant bien que mal. Ce n’était pas facile de donner des explications tout en écoutant une autre conversation.
– Et qu’est-ce qui se passe, alors ? s’enquit consciencieusement Liliane tout en guettant la prochaine réplique de la fille au beau vélo.
– Il migre sur un point plus élevé et il commence à se dessécher…
– Il ne faut pas t’inquiéter, ma pauvre Justine ! entendirent-ils devant eux. Il y a des pistes pour tous les niveaux. Je suis prête, on peut y aller ! Mais qu’est-ce que tu fabriques à la fin ?
Je plains Justine, pensa Liliane avec irritation. Se faire traiter de « pauvre » à chaque phrase, ce n’est pas agréable !
Une fois de plus, la réponse de Justine ne leur parvint pas. L’autre enfourcha son vélo.
– Attends-moi à la station du funiculaire ! Je vais déjà faire quelques descentes !
La cycliste disparut bientôt au tournant du chemin. Les cinq amis se regardèrent. Justine était penchée sur la roue du vélo.
– C’est qui, qui va lui parler ? demanda Patrice à voix basse.
– Pas toi, en tout cas, coupa Hugo. Tu risques de lui faire peur.
– Pourquoi ? s’offusqua son cousin.
– Ben, tu as les marques de toutes les chutes et les blessures que tu t’es faites pendant les vacances. Ça donne un style… un peu… spécial !
– Ah ! C’est ça, être casse-cou ! se moqua gentiment Xavier.
– Ça se voit tant que ça ? soupira-t-il en se grattant la tête. Maman va encore me gronder, elle trouve que je ne fais pas assez attention à moi…
– Elle n’a pas tout à fait tort, remarqua sa cousine.
– Je propose Salomé, souffla Liliane. Elle sait mettre les gens à l’aise, moi je ne sais jamais quoi dire.
– Bonne idée, approuva Xavier.
