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Regrets

La durée de notre vie s’élève à 70 ans, et pour les plus robustes à 80 ans, mais l’orgueil qu’ils en tirent n’est que peine et misère, car le temps passe vite et nous nous envolons. – Psaume 90.10 (S21)

Assis sur ce banc, à l’orée de la forêt – ce banc qui est devenu un peu le mien depuis quelques années – je regarde.
Je regarde de mes yeux las le paysage devant moi : les champs et la petite ville en contrebas.
Chaque jour, les pas qui m’amènent à cet endroit sont plus lents, plus fatigués.

J’ai vécu toute ma vie ici, dans ces montagnes.
Mais cette vie ne m’appartient plus. Je laisse faire. J’observe. Je me souviens.

La vie, c’est pour ceux qui savent encore se lever seuls. Réfléchir vite. Se démener.
Travailler. S’agiter. Voyager. Élever des enfants. Se rencontrer entre amis.
Faire des projets. S’engager. Rêver.

Je vois ces quelques maisons et j’imagine ceux qui y logent.
Ceux qui arrivent encore à oublier que leur vie s’arrêtera un jour.
Mais moi, maintenant, je sais.
Je le sais dans le tréfonds de ce corps qui m’appartient mais que je ne reconnais plus.
Dans chaque souffle, chaque articulation.
Je le sais dans mon ouïe devenue si faible, dans ma vue qui baisse, dans mon cerveau fatigué et mon cœur qui palpite comme le pic que j’arrivais encore à entendre au loin il y a quelques années.

Oui, je n’ignore pas que je les quitterai bientôt.
Ceux qui courent. Ceux qui Vivent.

Je ris. Je ris en les voyant ainsi. Se démener pour ces choses futiles.
Je ris pour ne pas pleurer.
Pour ne pas pleurer de les voir faire les mêmes choix que moi.
Sans réfléchir aux conséquences.
En faisant mine de ne pas savoir que leur vie est brève, qu’elle s’arrêtera dans pas si longtemps que ça.

J’aurais dû…

Argent, pouvoir, performance, séduction…
Je n’ai pensé qu’à moi.
Et maintenant me voilà un vieux.
Une charge. Inutile.
Seul sur ce banc avec mes regrets.

J’aurais dû…

Accepter tôt cette échéance.
J’aurais fait de meilleurs choix.
J’aurais fait plus d’efforts.

Ou peut-être pas. Mes épaules s’affaissent.
Oui, peut-être même que je n’aurais pas pu agir mieux que ce que j’ai fait.

Qu’est-ce que l’humain ?
Il se démène et n’arrive à rien ou pas grand-chose.

Des paroles me viennent tout doucement à l’esprit…
Petit à petit j’y prends garde…
Et je me revois gamin sur les bancs froids de l’église, chanter, la main dans celle de ma mère…

Les mots se mettent à couler en moi, tel un paisible ruisseau à l’eau claire.
Je les fredonne. Puis sans crier gare, ils me touchent, me transpercent, m’éclairent, me réchauffent, me sautent aux yeux comme une évidence, une réalité oubliée !

Mon Dieu est si bon, il prend bien soin de moi ;
Ce Dieu si fidèle, sais-tu qu’il pense à toi ?
Il voudrait t’aider dans tes difficultés ;
Il faut que tu viennes à lui tel que tu es.

Dieu sait si bien ce qui te semble lourd,
Qui te fait mal, te trouble chaque jour.
Il connaît tes besoins, ta peur du lendemain ;
Avec mon Dieu, tu sais, tout ira bien.

Il vit à jamais, c’est un Dieu tout-puissant,
Il te répondra, viens à lui simplement.
Quand tout semble noir, triste et désespéré,
Sais-tu que là-haut, tu n’es pas oublié ?

Devant le banc je m’effondre sur mes genoux fragiles tels de vieilles branches.
Je n’en ressens même pas la douleur !
Un cri du cœur… c’est lui qui souffre !
Dieu, Jésus !
Pardon, je t’avais ignoré, oublié !

Des larmes, tel un torrent tumultueux, se fraient un chemin sur les rides de mon visage.
Je pleure sur mes années gâchées.
Je déverse mes aigreurs, mes mauvais choix, mes regrets.
Je le sais, je le sens, Jésus est en train de laver à grande eau mon âme noircie et égoïste…
Oh pardon pour cette vie sans toi…

Je ressens alors son amour et une paix comme je n’en ai jamais connue.

J’entends quelqu’un m’appeler.
Devant mon nez des sabots apparaissent, puis une main se pose sur mon épaule.
On est venu me chercher.
Elle m’aide à me redresser.
De mes yeux larmoyants je vois la blouse aussi blanche que mes quelques cheveux restants.

— Vous m’avez fait peur ! Ça va ?

Et je souris, un sourire sincère pour une fois :

— Oh oui, je renais à la Vie !

Sarah

Un commentaire sur “Regrets

  1. Je dois dire que je me retrouve dans certaines de vos paroles ! Que d’entêtements et de mauvais choix ai-je faits !! Mais nous savons que notre Dieu est compatissant et miséricordieux ; sa patience et son amour sont infinis, et cela est très réconfortant 🙂

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