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« Vouloir ce que Dieu veut », où l’art de la consolation par François de Malherbe

Consolation à M. Du Périer

Sur la mort de sa fille

1599, François de Malherbe

Ta douleur, Du Périer, sera donc éternelle,
                  Et les tristes discours
Que te met en l’esprit l’amitié paternelle
                  L’augmenteront toujours !

Le malheur de ta fille au tombeau descendue
                  Par un commun trépas,
Est-ce quelque dédale où ta raison perdue
                  Ne se retrouve pas ?

Je sais de quels appas son enfance était pleine,
                  Et n’ai pas entrepris,
Injurieux ami, de soulager ta peine
                  Avecque son mépris.

Mais elle était du monde, où les plus belles choses
                  Ont le pire destin,
Et rose elle a vécu ce que vivent les roses,
                  L’espace d’un matin.

Puis, quand ainsi serait que, selon ta prière,
                  Elle aurait obtenu
D’avoir en cheveux blancs terminé sa carrière,
                  Qu’en fût-il advenu ?

Penses-tu que, plus vieille, en la maison céleste
                  Elle eut plus d’accueil ?
Ou qu’elle eut moins senti la poussière funeste
                  Et les vers du cercueil ?

Non, non, mon Du Périer, aussitôt que la Parque
                  Ôte l’âme du corps,
L’âge s’évanouit au-deçà de la barque,
                  Et ne suit point les morts.

Tithon n’a plus les ans qui le firent cigale ;
                  Et Pluton, aujourd’hui,
Sans égard du passé, les mérites égale
                  D’Archémore et de lui.

Ne te lasse donc plus d’inutiles complaintes ;
                  Mais, sage à l’avenir,
Aime une ombre comme ombre, et des cendres éteintes
                  Éteins le souvenir.

C’est bien, je le confesse, une juste coutume
                  Que le cœur affligé,
Par le canal des yeux vidant son amertume,
                  Cherche d’être allégé.

Même quand il advient que la tombe sépare
                  Ce que nature a joint,
Celui qui ne s’émeut a l’âme d’un barbare,
                  Ou n’en a du tout point.

Mais d’être inconsolable, et dedans sa mémoire
                  Enfermer un ennui,
N’est ce pas se haïr pour acquérir la gloire
                  De bien aimer autrui ?

[…]

De moi, déjà deux fois d’une pareille foudre
                  Je me suis vu perclus ;
Et deux fois la raison m’a si bien fait résoudre,
                  Qu’il ne m’en souvient plus.

Non qu’il ne me soit grief que la tombe possède
                  Ce qui me fut si cher ;
Mais en un accident qui n’a point de remède
                  Il n’en faut point chercher.

La Mort a des rigueurs à nulle autre pareilles :
                  On a beau la prier,
La cruelle qu’elle est se bouche les oreilles
                  Et nous laisse crier.

Le pauvre en sa cabane, où le chaume le couvre
                  Est sujet à ses lois,
Et la garde qui veille aux barrières du Louvre
                  N’en défend point nos rois.

De murmurer contre elle, et perdre patience,
                  Il est mal à propos ;
Vouloir ce que Dieu veut, est la seule science
                  Qui nous met en repos.

Lire le poème en entier.

Ce poème de François de Malherbe (1555-1628), qui alterne alexandrins et hexamètres, est un chef-d’oeuvre baroque dans la pure tradition de l’art « Memento Mori ». L’auteur écrit à son ami Du Périer qui vient de perdre sa fille de cinq ans. Malherbe, qui lui aussi a perdu deux garçons en bas âge (« De moi, déjà deux fois d’une pareille foudre… »), s’inspire d’un genre répondu dans l’Antiquité : la consolatio, un genre rhétorique très codifié servant à consoler quelqu’un atteint par un chagrin ou par la mort d’un proche. Mais l’heure n’est pas au commentaire littéraire. Nous voulons simplement nous arrêter sur les 2 derniers vers, méditer un instant. L’auteur vient de remettre la mort dans l’optique de sa fatalité, nous rappelant que murmurer contre elle n’est que vanité, course après le vent. Même les larmes, bien qu’indispensables, sont limitées(Ne te lasse donc plus d’inutiles complaintes…). La seule source de consolation que propose Malherbe se trouve finalement les 2 derniers vers, d’une beauté rare :

Vouloir ce que Dieu veut, est la seule science
                  Qui nous met en repos.

Ce poème a d’ailleurs été cité par Charles Nicolas dans une très belle prédication sur la prière, intitulée à propos « Vouloir ce que Dieu veut ». Le prédicateur fait écho à Malherbes et nous offre lui-aussi une bienfaisante consolation lorsqu’il dit :

La prière que Dieu exauce est la prière que Dieu inspire.

La prédication est à retrouver ici ou à écouter directement ci-dessous :

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